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on trouve dans les registres de la chambre des comptes un arrêté fait par cette chambre, portant qu’elle ne députeroit point à ces états.

On tient encore de tems en tems des états particuliers dans quelques provinces, qu’on appelle par cette raison pays d’états ; tels que les états d’Artois, ceux de Bourgogne, de Bretagne, &c. & autres, dont on parlera dans les subdivisions suivantes.

Quelques personnes peu au fait des principes de cette matiere, croyent que toute la robe indistinctement doit être comprise dans le tiers-état ; ce qui est une erreur facile à réfuter.

Il est vrai que les gens de robe qui ne sont pas nobles, soit de naissance ou autrement, ne peuvent être placés que dans le tiers-état ; mais ceux qui joüissent du titre & des prérogatives de noblesse, soit d’extraction ou en vertu de quelque office auquel la noblesse est attachée, ou en vertu de lettres particulieres d’annoblissement, ne doivent point être confondus dans le tiers-état ; on ne peut leur contester le droit d’être compris dans l’ordre ou état de la noblesse, de même que les autres nobles de quelque profession qu’ils soient, & de quelque cause que procede leur noblesse.

On entend par ordre ou état de la noblesse, la classe de ceux qui sont nobles ; de même que par tiers-état on entend un troisieme ordre distinct & séparé de ceux du clergé & de la noblesse, qui comprend tous les roturiers, bourgeois, ou paysans, lesquels ne sont pas ecclésiastiques.

Chez les Romains la noblesse ne résidoit que dans l’ordre des sénateurs, qui étoit l’état de la robe. L’ordre des chevaliers n’avoit de rang qu’après celui des sénateurs, & ne joüissoit point d’une noblesse parfaite, mais seulement de quelques marques d’honneur.

En France anciennement tous ceux qui portoient les armes étoient réputés nobles ; & il est certain que cette profession fut la premiere source de la noblesse ; que sous les deux premieres races de nos rois, ce fut le seul moyen d’acquérir la noblesse : mais il faut aussi observer qu’alors il n’y avoit point de gens de robe, ou plûtôt que la robe ne faisoit point un état différent de l’épée. C’étoient les nobles qui rendoient alors seuls la justice : dans les premiers tems ils siégeoient avec leurs armes ; dans la suite ils rendirent la justice sans armes & en habit long, selon la mode & l’usage de ces tems-là, comme sont présentement les gens de robe.

Sous la troisieme race il est survenu deux changemens considérables, par rapport à la cause productive de la noblesse.

L’un est que le privilége de noblesse dont joüissoient auparavant tous ceux qui faisoient profession des armes, a été restraint pour l’avenir à certains grades militaires, & n’a été accordé que sous certaines conditions ; ensorte que ceux qui portent les armes sans avoir encore acquis la noblesse, sont compris dans le tiers-état, de même que les gens de robe non-nobles.

L’autre changement est qu’outre les grades militaires qui communiquent la noblesse, nos rois ont établi trois autres voies pour l’acquérir ; savoir la possession des grands fiefs qui annoblissoit autrefois les roturiers, auxquels on permettoit de posséder fiefs ; l’annoblissement par lettres du prince ; & enfin l’exercice de certains offices d’épée, de judicature, ou de finance, auxquels le roi attache le privilége de noblesse.

Ceux qui ont acquis la noblesse par l’une ou l’autre de ces différentes voies, ou qui sont nés de ceux qui ont été ainsi annoblis, sont tous également nobles, car on ne connoît point parmi nous deux sortes de noblesse. Si l’on distingue la noblesse de robe de celle d’épée, ce n’est que pour indiquer les différentes cau-

ses qui ont produit l’une & l’autre, & non pour établir entre ces nobles aucune distinction. Les honneurs

& priviléges attachés à la qualité de nobles, sont les mêmes pour tous les nobles, de quelque cause que procede leur noblesse.

On distingue à la vérité plusieurs degrés dans la noblesse ; savoir celui des simples gentilshommes nobles ou écuyers ; celui de la haute noblesse, qui comprend les chevaliers, comtes, barons, & autres seigneurs ; & le plus élevé de tous, qui est celui des princes. Le degré de la haute noblesse peut encore recevoir plusieurs subdivisions pour le rang : mais encore une fois il n’y a point de distinction entre les nobles par rapport aux différentes causes dont peut procéder leur noblesse. On ne connoît d’autres distinctions parmi la noblesse, que celles qui viennent de l’ancienneté, ou de l’illustration, ou de la puissance que les nobles peuvent avoir à cause de quelque office dont ils seroient revêtus : tels que sont les offices de judicature, qui conferent au pourvû l’exercice d’une partie de la puissance publique.

Ce qui a pu faire croire à quelques-uns que toute la robe étoit indistinctement dans le tiers-état, est sans doute que dans le dénombrement des gens de cet état on trouve ordinairement en tête certains magistrats ou officiers municipaux, tels que les prevôts des marchands, les maires & échevins, capitouls, jurats, consuls, & autres semblables officiers ; parce qu’ils sont établis pour représenter le peuple, qu’ils sont à la tête des députés du tiers-état pour lequel ils portent la parole. On comprend aussi dans le tiers-état tous les officiers de judicature & autres gens de robe non nobles ; & même quelques-uns qui sont nobles, soit d’extraction ou par leur charge, lorsqu’en leur qualité ils stipulent pour quelque portion du tiers-état.

Il ne s’ensuit pas de-là que toute la robe indistinctement soit comprise dans le tiers-état ; les gens de robe qui sont nobles, soit de naissance, ou à cause de leur office, ou autrement, doivent de leur chef être compris dans l’état de la noblesse, de même que les autres nobles.

Prétendroit-on que les emplois de la robe sont incompatibles avec la noblesse, ou que des maisons dont l’origine est toute militaire & d’ancienne chevalerie, ayent perdu une partie de l’éclat de leur noblesse pour être entrées dans la magistrature, comme il y en a beaucoup dans plusieurs cours souveraines, & principalement dans les parlemens de Rennes, d’Aix, & de Grenoble ? ce seroit avoir une idée bien fausse de la justice, & connoître bien mal l’honneur qui est attaché à un si noble emploi.

L’administration de la justice est le premier devoir des souverains. Nos rois se font encore honneur de la rendre en personne dans leur conseil & dans leur parlement : tous les juges la rendent en leur nom ; c’est pourquoi l’habit royal avec lequel on les représente, n’est pas un habillement de guerre, mais la toge ou robe longue avec la main de justice, qu’ils regardent comme un de leurs plus beaux attributs.

Les barons ou grands du royaume tenoient autrefois seuls le parlement ; & dans les provinces la justice étoit rendue par des ducs, des comtes, des vicomtes, & autres officiers militaires qui étoient tous réputés nobles, & siégeoient avec leur habit de guerre & leurs armes.

Les princes du sang & les ducs & pairs concourent encore à l’administration de la justice au parlement. Ils y venoient autrefois en habit long & sans épée ; ce ne fut qu’en 1551 qu’ils commencerent à en user autrement, malgré les remontrances du parlement, qui représenta que de toute ancienneté cela étoit reservé au roi seul. Avant M. de Harlai, lequel sous Louis XIV. retrancha une phrase de la formule du serment des ducs & pairs, ils juroient de se com-