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porter comme de bons & sages conseillers au parlement.

Les gouverneurs de certaines provinces sont conseillers nés dans les cours souveraines du chef-lieu de leur gouvernement.

Les maréchaux de France, qui sont les premiers officiers militaires, sont les juges de la noblesse dans les affaires d’honneur.

Les autres officiers militaires font tous la fonction de juges dans les conseils de guerre.

Nos rois ont aussi établi dans leurs conseils des conseillers d’épée, qui prennent rang & séance avec les conseillers de robe du jour de leur réception.

Ils ont pareillement établi des chevaliers d’honneur dans les cours souveraines, pour représenter les anciens barons ou chevaliers qui rendoient autrefois la justice.

Enfin les baillis & sénéchaux qui sont à la tête des jurisdictions des bailliages & sénéchaussées, non-seulement sont des officiers d’épée, mais ils doivent être nobles. Ils siégent l’épée au côté, avec la toque garnie de plumes, comme les ducs & pairs ; ce sont eux qui ont l’honneur de conduire la noblesse à l’armée, lorsque le ban & l’arriere-ban sont convoqués pour le service du roi. Ils peuvent outre cet office, remplir en même tems quelque place militaire, comme on en voit en effet plusieurs.

Pourroit-on après cela prétendre que l’administration de la justice fût une fonction au-dessous de la noblesse ?

L’ignorance des barons qui ne savoient la plûpart ni lire ni écrire, fut cause qu’on leur associa des gens de loi dans le parlement ; ce qui ne diminua rien de la dignité de cette cour. Ces gens de loi furent d’abord appellés les premiers sénateurs, maîtres du parlement, & ensuite présidens & conseillers. Telle fut l’origine des gens de robe, qui furent ensuite multipliés dans tous les tribunaux.

Depuis que l’administration de la justice fut confiée principalement à des gens de loi, les barons ou chevaliers s’adonnerent indifféremment, les uns à cet emploi, d’autres à la profession des armes ; les premiers étoient appellés chevaliers en lois ; les autres, chevaliers d’armes. Simon de Bucy premier président du parlement en 1344, est qualifié de chevalier en lois ; & dans le même tems Jean le Jay président aux enquêtes, étoit qualifié de chevalier. Les présidens du parlement qui ont succédé dans cette fonction aux barons, ont encore retenu de-là le titre & l’ancien habillement de chevalier.

Non-seulement aucun office de judicature ne fait décheoir de l’état de noblesse, mais plusieurs de ces offices communiquent la noblesse à ceux qui ne l’ont pas, & à toute leur postérité.

Le titre même de chevalier qui distingue la plus haute noblesse, a été accordé aux premiers magistrats.

Ils peuvent posséder des comtés, marquisats, baronnies ; & le roi en érige pour eux de même que pour les autres nobles : ils peuvent en prendre le titre non-seulement dans les actes qu’ils passent, mais se faire appeller du titre de ces seigneuries. Cet usage est commun dans plusieurs provinces, & cela n’est pas sans exemple à Paris : le chancelier de Chiverni se faisoit appeller ordinairement le comte de Chiverni ; & si cela n’est pas plus commun parmi nous, c’est que nos magistrats préferent avec raison de se faire appeller d’un titre qui annonce la puissance publique dont ils sont revêtus, plûtôt que de porter le titre d’une simple seigneurie.

Louis XIV. ordonna en 1665 qu’il y auroit dans son ordre de S. Michel six chevaliers de robe.

Enfin le duché-pairie de Villemor fut érigé pour le chancelier Séguier, & n’a été éteint que faute d’hoirs mâles.

Tout cela prouve bien que la noblesse de robe ne forme qu’un seul & même ordre avec la noblesse d’épée. Quelques auteurs regardent même la premiere comme la principale : mais sans entrer dans cette discussion, il suffit d’avoir prouvé qu’elles tiennent l’une & l’autre le même rang, & qu’elles participent aux mêmes honneurs, aux mêmes priviléges, pour que l’on ne puisse renvoyer toute la robe dans le tiers-état.

M. de Voltaire en son histoire universelle, tom. II. pag. 240, en parlant du mépris que les nobles d’armes font de la noblesse de robe, & du refus que l’on fait dans les chapitres d’Allemagne, d’y recevoir cette noblesse de robe, dit que c’est un reste de l’ancienne barbarie d’attacher de l’avilissement à la plus belle fonction de l’humanité, celle de rendre la justice.

Ceux qui seroient en état de prouver qu’ils descendent de ces anciens Francs qui formerent la premiere noblesse, tiendroient sans contredit le premier rang dans l’ordre de la noblesse. Mais combien y a-t-il aujourd’hui de maisons qui puissent prouver une filiation suivie au-dessus du xij. ou xiij. siecle ?

L’origine de la noblesse d’épée est à la vérité plus ancienne que celle de la noblesse de robe : mais tous les nobles d’épée ne sont pas pour cela plus anciens que les nobles de la robe. S’il y a quelques maisons d’épée plus anciennes que certaines maisons de robe, il y a aussi des maisons de robe plus anciennes que beaucoup de maisons d’épée.

Il y a même aujourd’hui nombre de maisons des plus illustres dans l’épée qui tirent leur origine de la robe, & dans quelques-unes les aînés sont demeurés dans leur premier état, tandis que les cadets ont pris le parti des armes : diroit-on que la noblesse de ceux-ci vaille mieux que celle de leurs aînés ?

Enfin quand la noblesse d’épée en général tiendroit par rapport à son ancienneté le premier rang dans l’ordre de la noblesse, cela n’empêcheroit pas que la noblesse de robe ne fût comprise dans le même ordre ; & il seroit absurde qu’une portion de la noblesse aussi distinguée qu’est celle-ci, qui joüit de tous les mêmes honneurs & priviléges que les autres nobles, fût exceptée du rôle de la noblesse, qui n’est qu’une suite de la qualité de nobles, & qu’on la renvoyât dans le tiers état, qui est la classe des roturiers, précisément à cause d’un emploi qui donne la noblesse, ou du moins qui est compatible avec la noblesse déjà acquise.

Si la magistrature étoit dans le tiers-état, elle seroit du moins à la tête ; au lieu que ce corps a toûjours été représenté par les officiers municipaux seulement.

Qu’on ouvre les procès-verbaux de nos coûtumes, on verra par-tout que les gens de robe qui étoient nobles par leurs charges ou autrement, sont dénommés entre ceux qui composoient l’état de noblesse, & que l’on n’a compris dans le tiers-état que les officiers municipaux ou autres officiers de judicature qui n’étoient pas nobles, soit par leurs charges ou autrement.

Pour ce qui est des états, il est vrai que les magistrats ne s’y trouvent pas ordinairement, soit pour éviter les discussions qui pourroient survenir entre eux & les nobles d’épée pour le rang & la préséance, soit pour conserver la supériorité que les cours ont sur les états.

Il y eut en 1558 une assemblée de notables, tenue en une chambre du parlement. La magistrature y prit pour la premiere fois séance ; elle n’y fut point confondue dans le tiers-état ; elle formoit un quatrieme ordre distingué des trois autres, & qui n’étoit point inférieur à celui de la noblesse. Mais cet arrangement n’étoit point dans les principes, n’y ayant en France que trois ordres ou états, & qu’un seul ordre de no-