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droit les organes de la génération dans les hommes absolument semblables à ceux des femmes, s’il en faisoit partie.

M. Daubenton appuie ce système sur la description de quelques fœtus peu avancés, que Ruysch a fait connoître, ou qui sont au cabinet du Roi. Ces fœtus, quoique du sexe féminin, paroissent mâles au premier coup-d’œil, & Ruysch en a fait une regle générale pour les fœtus femelles de quatre mois environ, dans un passage qu’on peut ajoûter à ceux que M. Daubenton a cités, thes. jv. n°. 42. fœtus humanus quatuor præter propter mensium, quamvis primâ fronte visus masculini videatur sexus, tamen sequioris est, id quod in omnibus fœtibus humanis, sexus fæminini ea ætate reperitur.

M. Daubenton s’est rencontré jusqu’à un certain point avec Galien, qui dans le second livre περὶ σπέρματος, chap. v. ne met d’autre différence entre les parties génitales de l’homme & de la femme, que celle de la situation ou du développement. Pour prouver que ces parties, d’abord ébauchées dans le sac du péritoine, y restent renfermées, ou en sortent suivant les forces ou l’imperfection de l’animal ; il a aussi recours aux dissections de femelles pleines, & aux fœtus nés avant terme. On retrouve la même hypothèse dans le traité de Galien, de usu partium, l. XIV. c. vj. & Avicenne l’a entierement adoptée dans le troisieme livre de son canon, fen. 21. tract. I. cap. j.

Mais Galien ne croit pas que les hommes manquent de matrice ; il croit qu’en se renversant, elle forme le scrotum, & renferme les testicules, qui sont extérieurs à la matrice. Il fait naître la verge d’un prolapsus du vagin, au lieu de la chercher dans le clitoris.

Piccolhomini & Paré avoient embrassé l’opinion de Galien ; Dulaurent, Kyper, & plusieurs autres anatomistes, n’y ont trouvé qu’un faux air de vraissemblance. Cette question paroît intimement liée avec celle des hermaphrodites, d’autant plus que nous n’avons que des exemples fabuleux & poétiques d’hommes devenus femmes ; au lieu qu’on trouve plusieurs femmes changées en hommes, dont les métamorphoses sont attestées sérieusement. Cette remarque singuliere, avec les preuves dont elle est susceptible, se trouve dans Frommann, de fascinatione magicâ, pag. 866. Voyez Hermaphrodite.

Hippocrate, aphor. 43. liv. VII. dit positivement qu’une femme ne devient point ambidextre. Galien le confirme, & ajoûte que c’est à cause de la foiblesse qui lui est naturelle ; cependant on voit des dames de charité qui soignent fort bien avec l’une & l’autre main. Je sai que cet aphorisme a été expliqué par Sextus Empiricus, p. m. 380. des fœtus femelles qui ne sont jamais conçus dans le côté droit de la matrice. J. Albert Fabricius a fort bien remarqué que cette interprétation a été indiquée par Galien dans son commentaire ; mais il devoit ajoûter que Galien la desapprouve au même endroit.

Les Anatomistes ne sont pas les seuls qui ayent regardé en quelque maniere la femme comme un homme manqué ; des philosophes platoniciens ont eu une idée semblable. Marsile Ficin dans son commentaire sur le second livre de la troisieme enneade de Plotin (qui est le premier περὶ προνoίας), chap. xj. assûre que la vertu générative dans chaque animal, s’efforce de produire un mâle, comme étant ce qu’il y a de plus parfait dans son genre ; mais que la nature universelle veut quelquefois une femelle, afin que la propagation, dûe au concours des deux sexes, perfectionne l’univers. Voyez tom. II. des œuvres de Marsile Ficin, pag. 1693.

Les divers préjugés sur le rapport d’excellence de l’homme à la femme, ont été produits par les coûtu-

mes des anciens peuples, les systèmes de politique & les religions qu’ils ont modifiés à leur tour. J’en excepte la religion chrétienne, qui a établi, comme je le dirai plus bas, une supériorité réelle dans l’homme, en conservant néanmoins à la femme les droits de l’égalité.

On a si fort négligé l’éducation des femmes chez tous les peuples policés, qu’il est surprenant qu’on en compte un aussi grand nombre d’illustres par leur érudition & leurs ouvrages. M. Chrétien Wolf a donné un catalogue de femmes célebres, à la suite des fragmens des illustres greques, qui ont écrit en prose. Il a publié séparément les fragmens de Sappho, & les éloges qu’elle a reçus. Les Romains, les Juifs, & tous les peuples de l’Europe, qui connoissent les lettres, ont eu des femmes savantes.

A. Marie de Schurman a proposé ce probleme : l’étude des lettres convient-elle à une femme chrétienne ? Elle soûtient l’affirmative ; elle veut même que les dames chrétiennes n’en exceptent aucune, & qu’elles embrassent la science universelle. Son deuxieme argument est fondé sur ce que l’étude des lettres éclaire, & donne une sagesse qu’on n’achete point par les secours dangereux de l’expérience. Mais on pourroit douter si cette prudence précoce ne coûte point un peu d’innocence. Ce qu’on peut dire de plus avantageux, pour porter à l’étude des Sciences & des Lettres, c’est qu’il paroît certain que cette étude cause des distractions qui affoiblissent les penchans vicieux.

Un proverbe hébreu borne presque toute l’habileté des femmes à leur quenouille, & Sophocle a dit que le silence étoit leur plus grand ornement. Par un excès opposé, Platon veut qu’elles ayent les mêmes occupations que les hommes. Voyez le cinquieme dialogue πολιτειῶν.

Ce grand philosophe veut au même endroit que les femmes & les enfans soient en commun dans sa république. Ce réglement paroît absurde ; aussi a-t-il donné lieu aux déclamations de Jean de Serres, qui sont fort vives.

La servitude domestique des femmes, & la polygamie, ont fait mépriser le beau sexe en Orient, & l’y ont enfin rendu méprisable. La répudiation & le divorce ont été interdits au sexe qui en avoit le plus de besoin, & qui en pouvoit le moins abuser. La loi des Bourguignons condamnoit à être étouffée dans la fange, une femme qui auroit renvoyé son légitime époux. On peut voir sur tous ces sujets l’excellent ouvrage de l’Esprit des lois, liv. XVI. Tous les Poëtes grecs depuis Orphée, jusqu’à S. Grégoire de Nazianze, ont dit beaucoup de mal des femmes. Euripide s’est acharné à les insulter, & il ne nous reste presque de Simonide, qu’une violente invective contr’elles. L’on trouvera un grand nombre de citations de poëtes grecs, injurieuses aux femmes, dans le commentaire de Samuel Clarke, sur les vers 426 & 455, liv. XI. de l’Odyssée. Clarke a pris ce recueil de la Gnomologia Homerica de Duport, page 208, qu’il n’a point cité. Le galant Anacréon, en même tems qu’il attribue aux femmes une beauté qui triomphe du fer & de la flamme, dit que la nature leur a refusé la prudence, φρόνημα, qui est le partage des hommes.

Les poetes latins ne sont pas plus favorables au sexe ; & sans parler de la fameuse satyre de Juvénal, sans compiler des passages d’Ovide, & de plusieurs autres, je me contenterai de citer cette sentence de Publius Syrus : mulier qua sola cogitat, male cogitat, qu’un de nos poëtes a ainsi rendue : femme qui pense, à coup sûr pense mal. Platon dans son dialogue, Νόμων, tom. II. pag. 909. E. attribue principalement aux femmes l’origine de la superstition, des vœux, & des sacrifices. Strabon est du même senti-