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bans les plus voisins ; une médiocre attention suffit, pour découvrir à l’œil cette communication ; elle forme sur les deux côtés de la feuille, une espece de réseau qu’on ne se lasse point d’admirer, lorsqu’il est devenu plus sensible par une longue macération, ou que de petits insectes ont consumé la substance délicate qui en remplissoit les moelles ; mais cette correspondance réciproque jusqu’où s’étend-elle ? Les feuilles se transmettent-elles mutuellement les sucs qu’elles ont pompés ?

Il est bien prouvé que les plantes tirent leur humidité par leurs feuilles ; il ne l’est pas moins, qu’il y a une étroite communication entre ces feuilles, & que cette communication s’étend à tout le corps de la plante. Ainsi on peut dire que les végétaux sont plantés dans l’air, à peu près comme ils le sont dans la terre. Les feuilles sont aux branches, ce que le chevelu est aux racines. L’air est un terrain fertile, où les feuilles puisent abondamment des nourritures de toute espece. La nature a donné beaucoup de surface à ces racines aëriennes, afin de les mettre en état de rassembler plus de vapeurs & d’exhalaisons : les poils dont elle les a pourvûes, arrêtent ces sucs ; de petits tuyaux, toujours ouverts, les reçoivent, & les transmettent à l’intérieur. On peut même douter si les poils ne sont pas eux-mêmes des especes de suçoirs.

Dans les feuilles des herbes, les deux surfaces ont une disposition à-peu-près égale à pomper l’humidité ; au lieu que dans les feuilles des arbres, la surface inférieure est ordinairement plus propre à cette fonction que la surface supérieure : la raison de ces différences vient vraissemblablement de la nature du tissu.

Les bulles qui s’élevent en si grand nombre sur les feuilles qu’on tient plongées dans l’eau, prouvent que l’air adhere fortement à ces parties de la plante ; on peut en inférer que les feuilles ne servent pas seulement à pomper l’humidité, mais qu’elles sont encore destinées à introduire dans le corps des végétaux beaucoup d’air frais & élastique.

Les expériences de M. Hales démontrent que les feuilles sont le principal agent de l’ascension de la séve, & de sa transpiration hors de la plante. Mais la surface supérieure étant la plus exposée à l’action du soleil & de l’air (causes premieres de ces deux effets), on pourroit inférer que cette surface est celle qui doit avoir ici le plus d’influence : elle est d’ailleurs très-propre par son extrème poli, à faciliter le départ du suc ; il ne se trouve ordinairement ni poils, ni aspérités qui puissent le retenir & l’empêcher de céder à l’impression de l’air qui tend à le détacher. Ainsi le principal usage de la surface supérieure des feuilles consiste peut-être à servir de défense ou d’abri à la surface inférieure, à fournir un filtre plus fin, qui ne laisse passer que les matieres les plus subtiles.

Dès que les feuilles servent à la fois à élever le suc nourricier & à en augmenter la masse, nous avons un moyen très-simple d’augmenter ou de diminuer la force d’une branche dans un arbre fruitier : nous l’augmenterons en laissant à cette branche toutes ses feuilles ; nous le diminuerons par le procédé contraire. Nous comprendrons par le même moyen, que le vrai tems d’effeuiller n’est pas celui où le fruit est dans son plein accroissement ; il a besoin alors de toutes ses racines : les feuilles qui l’environnent immédiatement, sont ses racines.

Si l’on dépouille une plante de toutes ses feuilles à mesure qu’elles paroissent, cette plante périra. L’herbe commune de nos prairies & celle de nos paturages, semble d’abord une exception à cette regle générale ; mais il faut considérer, que quoique nos bestiaux, mangent les feuilles à mesure qu’elles crois-

sent, néanmoins ils n’emportent qu’une très-petite

partie de la feuille qui s’éleve pour lors en tige. D’ailleurs il y a une succession constante de nouvelles feuilles, qui poussent à la place des vieilles, & comme elles sont enfoncées en terre, & très courtes, elles suppléent à celles qui ont été dévorées. De plus, il est certain que l’on fait tort au sainfoin, aux luzernes, aux trefles, quand on les fait paître de trop près par les bestiaux. Quoique la racine vivace du sainfoin, le fasse pousser plusieurs années, la récolte de cette denrée, qui est un objet de conséquence, est souvent détruite de bonne heure, lorsqu’on souffre que le bétail s’en nourrisse à discrétion. On ne peut donc approuver la pratique des fermiers, qui mettent leurs troupeaux sur leurs blés quand ils les trouvent trop forts.

Personne n’ignore que plusieurs especes de plantes ont pour leur conservation des feuilles printannieres, & des feuilles automnales. Ces dernieres rendent un service infini à quelques arbres, par exemple, au mûrier, & lui sauvent la vie quand toutes les feuilles printannieres ont été mangées par les vers à soie.

Il est des feuilles dont les principales fonctions sont moins de pomper l’humidité, & d’aider à l’évaporation des humeurs superflues, que de préparer le suc nourricier, & de fournir peut-être de leur propre substance, une nourriture convenable à la petite tige qu’elles renferment ; la pomme du chou en est un exemple extrèmement remarquable : concluons que les feuilles, de quelque façon qu’on les considere, fournissent aux plantes de tels avantages, que leur vie dépend de leurs feuilles, de maniere ou d’autre. Ainsi l’étroite communication qui est entre les parties d’un arbre, & sur-tout entre les feuilles & les branches, doit rendre très-attentif à l’état des feuilles ; & s’il leur survient quelquefois des maladies qu’elles communiquent aux branches, on en préviendra l’effet en retranchant les feuilles altérées ou mal-saines.

On ne peut douter de la vérité des expériences d’Agricola sur la multiplication des plantes par leurs feuilles ; M. Bonnet a répété ces expériences avec un succès égal, sur-tout dans les plantes herbacées. Voyez son excellent ouvrage cité ci-dessus.

La direction des feuilles est un autre objet qui mérite notre considération. M. Linnæus parle de la direction des feuilles comme d’un caractere, mais elle n’est qu’un pur accident. On a beaucoup admiré le retournement de la radicule dans les graines semées à contre-sens ; on n’a pas moins admiré le mouvement des racines qui suit ceux d’une éponge imbibée d’eau. Les feuilles si semblables aux racines dans une de leurs principales fonctions, leur ressembleroient-elles encore par la singuliere propriété de se retourner, ou de changer de direction ? M. Bonnet s’est assûré de la vérité de cette conjecture par diverses expériences très-curieuses. Toutes choses égales, les jeunes feuilles se retournent plus promptement que les vieilles, celles des herbes, que celles des arbres ; & ce retournement est plus prompt dans un tems chaud & serain, que dans un tems froid & pluvieux.

Les feuilles qui ont subi plusieurs inversions, paroissent s’amincir ; leur surface inférieure se desseche, & semble s’écailler. Le Soleil par son action sur la surface supérieure des feuilles, change souvent leur direction, & les détermine à se tourner de son côté ; il rend encore la surface supérieure des feuilles concave en maniere d’entonnoir ou de gouttiere, dont la profondeur varie suivant l’espece ou le degré de chaleur ; la rosée produit un effet contraire.

Quoique le retournement des feuilles s’exécute sur