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elles font des révolutions subites ; c’est pourquoi on doit éviter soigneusement qu’il ne leur soit annoncé aucun évenement qui soit propre à exciter tout-à-coup une grande joie, un grand chagrin, ou une grande crainte ; qu’elles ne soient affectées de rien qui puisse les effrayer, les épouvanter, en un mot qui puisse causer des agitations subites, violentes dans l’ame, ou en suspendre considérablement les influences sur le corps. Elles doivent donc sur-tout être fort attentives à ne pas se laisser aller à la disposition qu’elles peuvent avoir à la colere, à la tristesse, ou à toute autre affection vive, forte, dont les rend susceptibles leur sensibilité naturelle, qui est fort augmentée ordinairement, comme il a été dit, par les changemens que la grossesse occasionne dans l’économie animale. Il faut qu’elles s’abstiennent généralement, autant qu’il est possible, de tout ce qui peut animer le sang & lui donner de l’acreté, pour ne pas augmenter cette disposition, c’est-à-dire le trop d’érétisme du genre nerveux dont elle dépend : on doit leur procurer de la dissipation & mettre en usage tous les moyens, tant physiques que moraux, propres à conserver ou à ramener le calme dans leur esprit.

Une autre sorte de passion qu’ont la plûpart des femmes enceintes, qui n’est pas la moins nuisible aux fœtus qu’elles portent dans leur sein, c’est le soin qu’elles prennent de la partie de leurs ajustemens, qui tend à leur conserver ou à leur faire paroître la taille aussi-bien faite qu’elles peuvent en être susceptibles. Elles employent communément pour cet effet, ce qu’on appelle corps, qui est une espece de vêtement peu flexible, armé de busques roides, dont elles se serrent le tronc pour le tenir droit ; qui comprime fortement la partie moyenne & inférieure de la poitrine & toute la circonférence du bas-ventre au-dessus des hanches & des os pubis, autant qu’elle en est susceptible, par le moyen des lacets qui rapprochent avec violence les pieces de ce vêtement, que l’on tient toûjours fort étroit, pour que le resserrement, la constriction en soit d’autant plus considérable : ensorte que le bas-ventre prend la figure en en-bas d’un cone tronqué, dont la poitrine est la base : ce qui ne peut manquer de gêner tous les visceres de l’abdomen dans leurs différentes fonctions, d’empêcher notablement le jeu des organes de la respiration, & de presser les mammelles, d’en comprimer les vaisseaux en les tenant soulevées vers la partie supérieure du thorax, qui est la moins resserrée par l’espece de cuirasse dans laquelle le bas de la poitrine se trouve emboîté tout comme le bas-ventre.

Mais tous ces mauvais effets sont encore plus marqués dans les femmes grosses, en tant qu’elles se servent de ce vêtement, joint au poids des jupons & des paniers liés fortement & suspendus sur les hanches, pour empêcher autant qu’il est possible, le ventre de grossir en-avant, & de leur gâter la taille ; ce qui ne peut que gêner la matrice dans sa dilatation, l’empêcher de prendre une forme arrondie, rendre sa cavité moins ample, déranger la situation naturelle du fœtus & de ses enveloppes, rendre ses mouvemens moins libres, &c. d’où doivent s’ensuivre bien des desordres, tant par rapport à l’enfant, que par rapport à la mere, dont tous les visceres du bas-ventre trop pressés entre eux, ne lui permettent pas de prendre des alimens, d’augmenter le volume de l’estomac, sans empêcher ultérieurement le jeu, l’abaissement du diaphragme, & disposer à la suffocation ; embarrassent le ventricule & les intestins dans leurs fonctions, en détruisant la liberté du mouvement péristaltique ; dérangent les digestions, la distribution du chyle ; resserrent la vessie, le rectum ; causent des rétentions d’urine,

des constipations ou des évacuations forcées ; exposent en un mot la mere à un grand nombre d’accidens qui augmentent considérablement les dérangemens de sa santé, qui peuvent même occasionner des avortemens : attendu que le fœtus se ressentant de tous ces desordres par les vices qui en résultent dans le cours & la qualité des humeurs qu’il reçoit de sa mere, est d’ailleurs exposé à des compressions qui nuisent à sa conformation & à son accroissement ; & tous ces funestes inconvéniens ont lieu, sans que les femmes y gagnent autre chose que l’apparence d’un peu moins de rotondité ; tandis qu’elles augmentent par-là réellement les défectuosités qui résultent de la grossesse pour leur ventre, qui en est ensuite plus ridé, plus mou, plus pendant, à-proportion que les enveloppes, c’est-à-dire les tégumens ont été plus forcés à se recourber en en-bas, à s’étendre sous les busques, pour donner au bas-ventre dans un sens ou dans un autre, la capacité qui lui est nécessaire pour loger les visceres & tout ce que la matrice contient de plus qu’à l’ordinaire.

M. Winslow a écrit en général sur les abus des corps, des busques, dont se servent les femmes : on peut le consulter sur ce qui a plus particulierement rapport aux femmes grosses, à cet égard, pour avoir un détail qui ne peut pas trouver sa place ici.

Grossesse (maladies dépendantes de la). Les femmes enceintes sont sujettes à des desordres plus ou moins considérables dans l’économie animale, qui ne proviennent absolument que des changemens qu’y occasionne la grossesse.

La plûpart des lésions de fonctions qu’elles éprouvent dans les commencemens, dans les premiers mois, ne doivent être attribuées qu’à la suppression du flux menstruel, à la pléthore, qui résulte de ce que cette évacuation n’a pas lieu comme auparavant, à cause que les effets de la conception ont excité une sorte d’érétisme dans la matrice, qui en a fermé l’orifice & resserré tous les pores, par lesquels se faisoit l’excrétion du sang utérin ; d’où s’ensuit le reflux dans la masse des humeurs, de la portion surabondante de ce sang qui auroit été évacuée : reflux qui subsiste tant que le fœtus & ses dépendances contenues dans la matrice ne sont pas suffisans pour consumer, pour employer à leur accroissement cette portion de la masse des humeurs qui est destinée à en fournir les matériaux.

Les indispositions qui surviennent dans des tems plus avancés de la grossesse, proviennent du volume & de la masse du fœtus & de ses dépendances, qui en distendant la matrice, en pressant les parties ambiantes, en opérant sur elles, gênent leurs fonctions, y font obstacle au cours des humeurs, y causent des dérangemens qui se communiquent souvent à toute la machine, soit en augmentant le renversement d’équilibre dans les fluides, soit en augmentant la sensibilité, l’irritabilité des solides qui en sont susceptibles par la communication de proche en proche, de ces qualités que possede plus éminemment la matrice, à-proportion qu’elle souffre une plus grande distension dans ses parois.

Ainsi les maladies de la grossesse commençante & de ses premiers tems, sont les nausées, les vomissemens, le dégoût ou la dépravation de l’appétit, les défaillances, les vertiges, les douleurs que la plûpart des femmes ressentent alors aux reins, aux aînes, aux mammelles, la pesanteur, la lassitude, la difficulté de respirer, & souvent des dispositions aux fausses-couches, des symptomes qui en sont les avant-coureurs. Et comme toutes ces lésions sont les effets d’une même cause, c’est-à-dire du reflux dans la masse des humeurs, du sang surabondant dans la matrice, on réussit ordinairement à y remé-