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suivant que nous l’avons supposé, de 85990506 milles quarrés ; par conséquent la quantité d’eau que toutes les rivieres portent à la mer sera 1874 fois plus considérable que la quantité d’eau fournie par le Pô. Or ce fleuve porte à la mer 4800,000 perches cubiques d’eau ; la mer recevra donc de tous les fleuves de la terre 89,952,00000 perches cubiques dans le même tems : ce qui est bien moins considérable que l’évaporation que nous avons déduite de l’expérience. Car il résulte de ce calcul que la quantité d’eau enlevée par évaporation de dessus la surface de la mer, & transportée par les vents sur la terre, est d’environ 245 lignes ou de vingt pouces cinq lignes par an, & des deux tiers d’une ligne par jour ; ce qui est un très-petit produit en comparaison d’un dixieme de pouce que l’expérience nous donne. On voit bien qu’on peut la doubler pour tenir compte de l’eau qui retombe sur la mer, & qui n’est pas transportée sur les continents, ou bien de celle qui s’éleve en vapeurs de dessus la surface des continents, pour retomber en pluie dans la mer. Toutes ces raisons de compensation mettront entre la quantité d’eau que la mer perd par évaporation, & celle qui lui rentre par les fleuves, une juste proportion. Hist. nat. tome I.

Si nous faisons l’application de ces calculs à quelques golfes particuliers, on peut approcher encore plus de cette égalité de pertes & de retours : la Méditerranée, par exemple, reçoit neuf rivieres considérables, l’Ebre, le Rhône, le Tibre, le Pô, le Danube, le Neister, le Boristhène, le Don, & le Nil. Nous supposerons, après M. Halley, chacune de ces rivieres dix fois plus forte que la Tamise, afin de compenser tous les petits canaux qui se rendent dans le bassin de ce golfe : or la Tamise au pont de Kingston, où la marée monte rarement, a cent aulnes de large & trois aulnes de profondeur ; ses eaux parcourent deux milles par heure : si donc on multiplie cent aulnes par trois, & le produit trois cents aulnes quarrées par quarante-huit milles, ou 84480 aulnes quarrées que la Tamise parcourt en un jour, le produit sera de 25 344 000 aulnes cubiques d’eau, ou 20 300 000 tonnes que la Tamise verse dans la mer. Mais si chacune des neuf rivieres fournit dix fois autant d’eau que la Tamise, chacune d’elles portera donc tous les jours dans la Méditerranée deux cents trois millions de tonnes par jour. Or cette quantité ne fait guere plus que le tiers de ce qu’elle en perd par l’évaporation. Bien loin de déborder par l’eau des rivieres qui s’y déchargent, ou d’avoir besoin de canaux soûterreins qui en absorbent les eaux, cette mer seroit bien-tôt à sec, si les vapeurs qui s’en exhalent n’y retomboient en grande partie par le moyen des pluies & des rosées.

Comme la mer Noire reçoit elle seule presqu’autant d’eau que la Méditerranée, elle ne peut contenir toute la quantité d’eau que les fleuves y versent ; elle en décharge le surplus dans la mer de Grece, par les détroits de Constantinople & des Dardanelles. Il y a aussi un semblable courant dans le détroit de Gibraltar ; ce qui compense aussi en bonne partie ce que l’évaporation enleve de plus que le produit des fleuves. Comme la mer Noire perd insensiblement plus d’eau salée qu’elle n’en reçoit, en supposant que les fleuves y en portent une certaine masse, cette déperdition successive doit diminuer la salure de la mer Noire, à moins qu’elle ne répare cette perte en dissolvant quelques mines de sel.

Il est aisé de faire voir que les grands lacs, comme la mer Caspienne & le lac Aral, ne reçoivent pas plus d’eau qu’il ne s’en évapore de dessus leur surface. Nulle nécessité d’ouvrir des canaux soûterreins de communication avec le golfe Persique. Le Jourdain fournit à la mer Morte environ six millions

de tonnes d’eau par jour ; elle en perd neuf par évaporation ; les trois millions de surplus peuvent lui être aisément restitués par les torrens qui s’y précipitent des montagnes de Moab & autres qui environnent son bassin, & par les vapeurs & les pluies qui y retombent.

Il est donc prouvé par tous ces détails, que l’Océan & ses différens golfes, ainsi que les grands lacs, perdent par évaporation une plus grande quantité d’eau que les fleuves & les rivieres n’en déchargent dans ces grands bassins ; maintenant il ne nous reste qu’à fortifier cette preuve, en comparant ce qui tombe de pluie sur la terre avec les produits de l’évaporation & avec la dépense des fleuves.

Il résulte des observations faites par l’académie des Sciences pendant une suite d’années considérable, que la quantité moyenne de la pluie qui tombe à Paris est de dix-huit à dix-neuf pouces de hauteur chaque année. La quantité est plus considérable en Hollande & le long des bords de la mer ; & en Italie elle peut aller à quarante-cinq pouces. Nous réduisons la totalité à trente pouces, ce qui se trouve excéder la détermination de la dépense des fleuves, que nous avons déduite ci-devant d’une évaluation assez grossiere. Mais nous remarquerons qu’il tombe beaucoup plus de pluie qu’il n’en entre dans les canaux des rivieres & des fleuves, & qu’il ne s’en rassemble dans le réservoir des sources, parce que l’évaporation agit sur la surface des terres, & enleve une quantité d’eau assez considérable qui retombe le plus souvent en rosées, ou qui entre dans la dépense des végétaux.

Pour grossir cette dépense des végétaux, on allegue une expérience de M. de la Hire (Mém. de l’Académ. ann. 1703. page 60.) par laquelle il paroît constant que deux feuilles de figuier de moyenne grandeur absorberent deux gros d’eau depuis cinq heures & demie du matin jusqu’à onze heures du matin ; on objecte de même les expériences de Hales, qui présentent des résultats capables d’appuyer les mêmes inductions.

Mais j’observe d’abord que l’imbibition de ces expériences est forcée, & ne se trouve pas à ce degré dans le cours ordinaire de la végétation. D’ailleurs, s’il paroît par des expériences de M. Guettard, ann. 1752. que les feuilles de végétaux ne tirent pas pendant la chaleur les vapeurs de l’atmosphere, ou que les végétaux peuvent subsister sans ce secours ; tout se réduira donc à considérer la dépense que les végétaux font de la pluie, comme une espece d’évaporation, puisque tout ce qui entre dans la circulation est fourni par les racines. Ainsi l’on doit entendre que les végétaux tirent de la terre plus ou moins humide par leurs racines, de l’eau qui s’évapore pendant le jour par les pores des feuilles.

Cette dépense est considérable, mais il ne faut pas en abuser pour en conclure l’insuffisance des pluies ; car quand un terrein est couvert de plantes, il ne s’évapore que très-peu d’eau immédiatement du fond de la terre ; tout s’opere par les végétaux : d’ailleurs cette évaporation ne dure qu’une petite partie de l’année, & dans un tems où les pluies sont plus abondantes. Au surplus, il pleut davantage sur les endroits couverts de végétaux, comme de forêts ; ainsi ce que les végétaux évaporeroient de plus que ce qui s’éleve de la terre immédiatement, peut leur être fourni par les pluies plus abondantes : le surplus sera donc employé à l’entretien des sources, à-peu-près comme dans les autres cantons nuds.

Tous les observateurs ont remarqué que l’eau évaporée dans un vase étoit plus considérable que l’eau pluviale, & cela dans le rapport de 5 à 3. Si la surface de la terre étoit par-tout unie, sans mon-