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tagne & sans vallons, & que la pluie demeurât au même endroit où elle tombe, la surface de la terre seroit seche une grande partie de l’année, au moins à Paris : mais parce que cette surface est inégale, une partie de l’eau s’imbibe dans les terres, comme nous le verrons par la suite, & s’y conserve sans s’évaporer ; l’autre partie se rassemble dans les lieux bas, où étant fort haute, & n’ayant que peu de surface par rapport à son volume, elle n’éprouve qu’une évaporation peu sensible. Cette distribution des eaux fait que la somme de la pluie, quoiqu’inférieure à l’évaporation possible, fournit aisément au cours perpétuel des fontaines. D’un autre côté, les lieux élevés moins imbibés d’eau, ramassent les rosées, les brouillards, &c.

En second lieu, si nous comparons la quantité de l’eau pluviale avec celle qui est nécessaire pour fournir le lit des rivieres, nous trouverons que l’eau pluviale est plus que suffisante pour perpétuer le cours des fontaines & des eaux qui circulent sur la surface des continens. M. Perrault (voyez p. 198 de l’origine des fontaines) est le premier qui ait pensé à recourir à cette preuve de fait capable d’imposer silence à ceux qui ne veulent qu’imaginer pour se dispenser d’ouvrir les yeux sur les détails qu’offre la nature. Il établit pour principe, qu’un pouce d’eau douce donne en vingt-quatre heures 83 muids d’eau à 240 pintes par muid ; ou ce qui est la même chose, huit piés cubes d’eau ; il se restreint à dix-neuf pouces un tiers pour la quantité moyenne de pluie qui tombe aux environs de Paris. D’après ces principes, il a évalué la quantité d’eau que la Seine charrie depuis sa source jusqu’à Arnay-le-Duc ; & il donne trois lieues de long sur deux lieues de large, à la surface du terrein qui peut décharger dans le canal de la Seine les eaux que la pluie peut verser. Si sur cette étendue de six lieues quarrées, qui font un million 245144 toises quarrées, il est tombé dix-neuf pouces un tiers de pluie, ce sera une lame d’eau de dix-neuf pouces un tiers qui recouvrira tout le terrein ; en supposant que toute cette eau y soit retenue, sans pouvoir s’écouler. Si on en calcule le total, on trouvera que cette grande quantité d’eau monte à deux cents vingt-quatre millions 899 942 muids, qui peuvent se jetter dans le canal de la Seine, au-dessus d’Arnay-le-Duc, pendant l’année, en retranchant ce qui est enlevé par évaporation. M. Perrault s’est assûré ensuite que le canal de la Seine ne contenoit que douze cents pouces d’eau courante, qui produisent, suivant ses principes, 36 millions 453 600 muids d’eau pendant un an ; laquelle somme étant soustraite de 224 millions 899 942 muids, produit total de la pluie, donne pour reste 188 millions 446 342 muids : ensorte que la Seine ne dépense pas la sixieme partie de l’eau qui arrose le terrein qu’elle parcourt.

A ce calcul Plot oppose le produit des sources de Willow-Bridge, qui est de 33 millions 901 848 muids ; pendant que le terrein qui pourroit rassembler les eaux de pluie dans les réservoirs de ces sources, ne donne sur le pié de 19 pouces un tiers, que 29 millions 89 994 muids, ce qui fait 4 millions 811 854 muids de moins que la quantité produite par les sources ; sans y comprendre ce que l’évaporation, les torrens, & les plantes peuvent soustraire aux réservoirs des sources. Nous répondrons que dans certains endroits de l’Angleterre, suivant des observations faites avec précision, il tombe jusqu’à quarante pouces d’eau. Suivant Derham, il tombe 42 piés de pluie dans la province de Lancastre. Hales a trouvé 3 pouces de rosée & 22 pouces de pluie ; ce qui fait 25 pouces. Statiq. des vég. exp. 19.

Il ne paroît pas que Plot, qui a diserté si longuement sur les fontaines, ait fait aucune observation sur le produit des pluies à Willow-Bridge ; ni qu’il se soit

assûré de la plus grande étendue des couches qui pouvoient verser de l’eau dans leur réservoir.

M. Mariotte, en suivant le plan de M. Perrault, a embrassé par ses calculs une plus grande étendue de terrein ; il a trouvé, en estimant le produit de la pluie à 15 pouces, qu’il formoit en un an sur toute la superficie que traversent l’Armanson, l’Yonne, le Loin, l’Aube, la Marne, & les autres rivieres qui grossissent la Seine, une masse de 714 milliards 150 millions de piés cubes. Le total eût été d’un quart plus fort, s’il eût fait l’évaluation sur le pié de vingt pouces. Ensuite M. Mariotte ayant mesuré la quantité de l’eau de la Seine qui passe sous le pont-royal, il la trouva seulement de douze millions de piés cubes par heure, c’est-à-dire, de 5 milliards 120 millions de piés cubes par an. L’eau pluviale se trouve être sextuple de la dépense de la Seine ; proportion déjà trouvée à-peu-près par Perrault, au-dessus d’Arnay-le-Duc.

Je ne dois pas dissimuler ici que M. Gualtieri a trouvé des rapports bien différens, en comparant l’eau de pluie qu’il suppose tomber en Italie, avec la quantité que les fleuves & tous les canaux portent à la mer. Il réduit toute la surface de l’Italie en un parallélogramme rectangle, dont la longueur est de 600 milles & la largeur de 120 : ensuite il trouve deux trillions sept cents billions de piés cubes d’eau pour le produit de la pluie évaluée sur le pié de 18 à 19 pouces ; évaluation trop peu considérable pour l’Italie : car, suivant des observations faites avec soin pendant dix ans par M. Poleni, à Padoue, il paroît que la quantité moyenne de la pluie dans cette partie de l’Italie, est de 45 pouces, & 43 pouces un quart à Pise ; il est vrai qu’il n’en tombe que dix-sept à Rome : mais en se restraignant à 40 pouces, on trouve un résultat fort approchant de la quantité d’eau que portent dans la mer toutes les rivieres de l’Italie pendant un an, suivant des déterminations trop vagues ou trop visiblement forcées pour être opposées à celles de Mariotte : car M. Gualtieri, pour déterminer la quantité d’eau que toutes les rivieres de l’Italie portent à la mer pendant un an, la suppose, sans aucun fondement, égale à celle que verseroit un canal de 1250 piés de largeur, & de 15 piés de profondeur, qu’il trouve de 5 522 391 000 000 000 piés cubes ; ce qui fait 2 trillions 822 billions 391 millions de plus que n’en peut fournir la pluie.

Il en est de même du calcul de M. Gualtieri sur la comparaison de la quantité d’eau évaporée de dessus la surface de la Méditerranée, avec celle que les fleuves y portent : nous croyons qu’il n’ébranle point celui que nous avons donné plus haut, ses apprétiations étant dirigées sur les prétentions d’un système pour la défense duquel nous l’avons vû figurer assez foiblement.

Après la discussion dans laquelle nous venons d’entrer, on peut puiser de nouveaux motifs qui en appuyent les résultats, dans la considération générale de la distribution des sources & de la circulation des vapeurs sur le globe. Voyez Source, Vapeurs, Pluie, Rosée, Fleuve. On trouve que ces deux objets sont liés comme les causes le sont aux effets.

Nous observerons ici qu’il y a une très-grande différence entre les estimes de Riccioli sur la quantité d’eau que le Pô décharge dans la mer ; & celles de MM. Perrault & Mariotte par rapport à la Seine. Le terrein qui verse ses eaux dans le Pô doit lui en fournir à raison de 20 pouces & demi de hauteur ; & suivant les déterminations de Perrault, le terrein qui environne le canal de la Seine au-dessus d’Arnay-le-Duc, lui en fournit seulement trois pouces trois quarts ce qui est la sixieme partie de dix-neuf pouces quelques lignes à quoi on évalue le produit moyen de la pluie aux environs de Paris ; & le