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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/106

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sont susceptibles d’une très-grande justesse, cette source jette par minute, dans les basses eaux, 1550 piés cubes, & dans les grandes eaux, ou ses accès d’augmentation, 5814. Cette fontaine sort d’une roche entrouverte, & dont l’ouverture est dans une situation horisontale. Le fond où elle est placée est l’extrémité d’une gorge formée par deux revers de collines, qui à deux lieues au-dessus vers le midi, vont se réunir à quelques montagnes d’une moyenne grandeur. Cette disposition forme un cul de sac, & leur aspect présente une espece d’amphithéatre dont la pente est favorable à l’écoulement des eaux, & les dirige toutes vers le bourg au milieu duquel la source est placée. C’est une observation constante, que s’il pleut dans l’étendue de cet amphithéatre, à la distance d’une ou de deux lieues & demie, la source augmente, & acquiert une impétuosité qui lui fait franchir les bords d’un bassin en mâçonnerie qui a 82 piés de longueur 63 de largeur, sur 10 d’élévation au-dessus du sol de la place où cette cage de pierre est construite. L’eau devient trouble, & prend une teinture d’une terre jaune, que les torrens entraînent dans son réservoir ; & cette couleur se soûtient pendant plusieurs jours, suivant l’abondance ou la continuité de la pluie : ces effets sont des signes certains pour les habitans du bourg, qu’il y a eu quelques orages entre Bar-sur-Aube & le bourg, supposé qu’ils n’en ayent pas eu connoissance autrement. La teinture jaune s’annonce dans la source trois ou quatre heures après la chûte de la pluie. Nous observerons que cette source, malgré cette dépendance si marquée qu’elle a avec les pluies, n’a jamais éprouvé d’interruption dans les plus grandes sécheresses ; & les autres sources voisines présentent le même changement de couleur après les pluies, & sur-tout après les pluies d’orages.

Les observations de M. de la Hire faites pendant 17 ans, prouvent que l’eau de pluie ne peut pas pénétrer à 16 pouces en assez grande quantité pour former le plus petit amas d’eau sur un fond solide. (ann. 1703. mém. de l’acad.) Mais ces expériences ne sont pas contraires à la pénétration de la pluie ; puisqu’au même endroit où cet académicien les a faites, (à l’Observatoire), il y a dans les caves, à une profondeur considérable, un petit filet d’eau qui tarit pendant la grande sécheresse, & qui tire par conséquent ses eaux des pluies qui doivent pénétrer au-travers de l’épaisseur de la masse de terre & de pierres qui est au-dessus des caves. On peut voir le détail des observations de M. Pluche, sur la maniere dont l’eau pluviale pénetre dans les premieres couches de la montagne de Laon, & fournit à l’entretien des puits & des fontaines ; tome III. du spectacle de la nature.

De tous ces détails nous concluons, qu’on doit partir de la pénétration de l’eau pluviale, comme d’un sait avéré, quand même on ne pourroit en trouver le dénouement : mais il s’en faut bien que nous en soyons réduits à cette impossibilité. La surface du globe me paroît être organisée d’une maniere très-favorable à cette pénétration. Dans le corps de la terre nous trouvons des couches de terre glaise, des fonds de tuf, & des lits de roches d’une étendue de plusieurs lieues : ces couches sont sur-tout paralleles entr’elles, malgré leurs différentes sinuosités ; ces lits recouvrent les collines, s’abaissent sous les vallons, & se portent sur le sommet des montagnes ; & leur continuité se propage au loin par la multiplicité de plusieurs lits qui se succedent dans les différentes parties des continens. Tout le globe en général est recouvert à sa surface de plusieurs lits de terre ou de pierre, qui en vertu de leur parallélisme exact, font l’office de siphons propres à rassembler l’eau, à la transmettre aux réservoirs des fontaines, & à la laisser échapper au-dehors.

Il faut sur-tout observer que ces couches éprouvent plusieurs interruptions, plusieurs crevasses dans leurs sinuosités ; & que ces prétendues défectuosités sont des ouvertures favorables que les eaux pluviales saisissent pour s’insinuer entre ces couches : on remarque ordinairement ces especes d’éboulemens sur les penchans des vallons ou sur la croupe des montagnes. Ensorte que les différens plans inclinés des masses montueuses ne sont que des déversoirs qui déterminent l’eau à se précipiter dans les ouvertures sans lesquelles la pénétration ne pourroit avoir lieu : car j’avoue que l’eau de la pluie ne peut traverser les couches de la terre suivant leur épaisseur ; mais elle s’insinue entr’elles suivant leur longueur, comme dans la capacité cylindrique d’un aqueduc naturel. Parmi les interruptions favorables & très-fréquentes, on peut compter les fentes perpendiculaires que l’on remarque non-seulement dans les rochers, mais encore dans les argilles ; V. Fentes perpendiculaires. Ces couches étant fendues de distance en distance, les pluies peuvent s’y insinuer, augmenter la capacité des fentes, & s’ouvrir vers les côtés des passages qui procurent leur écoulement : elles pénetrent même le tissu serré de la pierre, criblent les lits, imbibent, dissolvent les matieres poreuses, & forment différens dépôts, & des crystallisations singulieres dans le sein des rochers ou aux voûtes des cavernes.

Ainsi la pluie qui tombe sur le rocher de la Sainte-Baulme en Provence, pénetre en très-peu d’heures à 67 toises au-dessous de la superficie du rocher par les fentes, & y forme une très-belle citerne, qui fourniroit à un écoulement, si la citerne pouvoit couler par-dessus ses bords. Mém. de l’académie, année 1703.

Les sommets élevés des montagnes principales, les croupes de celles qui sont adossées à la masse des premieres, présentent plus que tout le reste du globe, des surfaces favorables à la pénétration des eaux. Les Alpes, les Pyrénées offrent à chaque pas des couches interrompues, des débris de roches entr’ouvertes, des lits de terre coupés à-plomb ; ensorte que les eaux des pluies, les brouillards, les rosées, se filtrent aisément par toutes ces issues, & forment des bassins, ou se portent dans toute l’étendue des couches ; jusqu’à ce qu’une ouverture favorable verse cette eau. Ainsi les sources ne seront proprement que les extrémités d’un aqueduc naturel formé par les faces de deux couches ou lits de terre. Si ces couches sont plus intérieures, & qu’elles aillent aboutir au-dessous du niveau des plaines, en suivant les montagnes adossées aux principales, comme dans la plaine de Modene, elles forment des nappes d’eau qui entretiennent les puits ou des sources qui s’échappent au milieu des pays plats. Comme ces couches s’étendent quelquefois jusques sous les eaux de la mer, en s’abaissant insensiblement pour former son bassin ; elles y voiturent des eaux douces qui entretiennent des puits sur ses bords, ou des sources qui jaillissent sous l’eau salée, comme dans la mer Rouge, dans le golfe Persique, & ailleurs.

Linschot rapporte que dans la mer Rouge, près de l’île de Bareyn, des plongeurs puisent de l’eau douce à la profondeur de 4 à 5 brasses ; de même aux environs de l’île de Baharan dans le golfe Persique, on prend de l’eau douce au fond. Les hommes se plongent avec des vases bouchés, & les débouchent au fond ; & lorsqu’ils sont remontés, ils ont de l’eau douce, (Gemelli Carreri, tome II. p. 453.) Le fond de la mer laissé à sec près de Naples, lors des éruptions du Vésuve, a laissé voir une infinité de petites sources jaillissantes ; & le plongeur qui alla dans le goufre de Charibde, a prétendu avoir trouvé de l’eau douce. De même, en creusant les puits sur le riva-