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terrein qui décharge ses eaux dans la Seine au-dessus de Paris, n’en fournit, suivant Mariotte, qu’à raison de deux pouces & demi de hauteur. En prenant un milieu entre les deux estimes de Perrault & de Mariotte, la quantité d’eau que la Seine recevroit de tous les pays qui épanchent leurs eaux dans son canal, se réduiroit à une couche de trois pouces d’épaisseur. Or cette quantité n’est que la septieme partie ou environ, de celle que reçoit le Pô au terrein qu’il parcourt. Le Piémont paroît, il est vrai, plus abondant en eau que la Bourgogne & la Champagne ; & d’ailleurs étant couvert de neiges pendant plusieurs mois de l’année, il y a moins d’évaporation : cependant il semble que l’estime de Riccioli est trop forte ; & Guglielmini l’insinue assez clairement.

Cette discussion nous donne lieu de remarquer que quelque probabilité que les résultats locaux puissent avoir, on ne doit pas s’en appuyer pour en tirer des conséquences générales. On ne peut être autorisé par les déterminations de MM. Mariotte & Perrault à conclure, par exemple, qu’il n’entre dans le canal des rivieres que la sixieme partie de l’eau des pluies : car, suivant celles de Riccioli sur le Pô, on trouveroit que les rivieres entraîneroient tout le produit des eaux pluviales, en l’estimant à vingt pouces : plusieurs raisons peuvent contribuer à ces variations. Il tombe une plus grande quantité d’eau dans un pays que dans un autre : les canaux qui rassemblent les eaux peuvent les réunir plus favorablement. Une surface, quoique peu étendue, se trouve coupée par des ruisseaux fort multipliés ; dans d’autres, les canaux sont plus au large ; & suivant qu’on opérera sur un terrein ou sur un autre, on en tirera des conclusions plus ou moins défavorables au système des pluies.

On pourra conclure quelque chose de plus certain & de plus décisif pour les inductions générales, si au lieu d’un terrein arbitraire que l’on suppose fournir de l’eau à une riviere, on s’attachoit à un pays pris en totalité, comme à l’Angleterre, à l’Italie. Mais alors si la variété des terreins se fait moins sentir, il y a plus de difficulté d’apprétier d’une vûe générale & vague, comme M. Gualtieri, la masse totale que les rivieres charrient dans la mer. On ne peut tirer parti de ces généralisations, qu’autant qu’on a multiplié les observations dans un très grand nombre d’endroits particuliers, sur le produit de la pluie & la quantité d’eau que les rivieres charrient : ensorte que ces observations scrupuleuses sont les élémens naturels d’un calcul général, qui se trouve assujetti à des limites précises.

Si l’on prouve constamment que ce que chaque pays verse dans une riviere peut lui être fourni par la pluie, outre ce qui circule dans l’atmosphere en vapeurs, on sera en état de tirer des conclusions générales. Ainsi MM. Perrault & Mariotte ont travaillé sur un bon plan ; & il doit être suivi, quoi qu’en dise M. Sedileau, t. X. mém. de l’acad. ann. 1699.

Au reste, les calculs généraux que nous avons donnés, d’après M. Halley, tout incertains qu’ils sont, portent sur des observations fondamentales, & doivent satisfaire davantage que la simple négative de ceux qui décident généralement que les pluies sont insuffisantes pour l’entretien des fontaines & des rivieres. J’avoue cependant que ceux qui réduiroient le produit des canaux soûterreins à un vingtieme ou à un dixieme du produit des rivieres, ne pourroient être convaincus par les déterminations que nous avons données, puisqu’elles ne vont pas à ce degré de précision. Mais il est d’autres preuves qui doivent les faire renoncer à un moyen aussi caché que la distillation soûterraine, dont le produit est si incertain, pour s’attacher à des opérations aussi évidentes que celles des pluies, & dont les effets sont si étendus &

peuvent se déterminer de plus en plus avec précision.

Nous avons vû plus haut que ceux qui se restraignoient à dire que les canaux soûterreins fournissoient seulement à une petite partie des sources, alléguoient quelques observations pour se maintenir dans leurs retranchemens. Ainsi M. de la Hire prétend, (mém. de l’acad. ann. 1703.) que la source de Rungis près Paris, ne peut venir des pluies : cette source fournit 50 pouces d’eau ou environ, qui coule toûjours, & qui souffre peu de changemens : or selon cet académicien, tout l’espace de terre dont elle peut tirer ses eaux, n’est pas assez grand pour fournir à ces écoulemens. M. Gualtieri objecte de même que les sources du Modenois ne peuvent tirer assez d’eau des montagnes de S. Pélerin. Guglielmini assûre qu’il y a plusieurs sources dans la Valteline, &c. qui ne peuvent provenir des eaux pluviales. Mais comme tous ces physiciens n’alleguent aucun fait précis, & ne donnent que des assertions très-vagues, nous croyons devoir nous en tenir à des déterminations plus précises. Qu’on compare exactement l’eau de pluie, le produit d’une fontaine, & l’espace de terrein qui y peut verser ses eaux ; & alors on pourra compter sur ces résultats.

Voilà les seules objections qu’on puisse adopter. Par ce qu’on a déjà fait dans ce genre, on peut présumer que l’eau de pluie ne se trouvera jamais au-dessous du produit d’une fontaine quelconque.

§. II. Il nous reste à établir la pénétration de l’eau pluviale dans les premieres couches de la terre. Je conviens d’abord qu’en général les terres cultivées ou incultes, les terreins plats & montueux, ne s’imbibent d’eau ordinairement qu’à la profondeur de deux piés. On observe aussi la même impénétrabilité sous les lacs ou sous les étangs dont l’eau ne diminue guere que par évaporation.

Mais cependant quelque parti que l’on prenne sur cette matiere, on est forcé par des faits incontestables d’admettre cette pénétration. Car les pluies augmentent assez rapidement le produit des sources, leurs eaux grossissent & se troublent ; & leur cours se soûtient dans une certaine abondance après les pluies. Ainsi il faut avoüer que l’eau trouve des issûes assez favorables pour qu’elle parvienne à une profondeur égale à celle des réservoirs de ces sources : ce qui établit incontestablement une pénétration de l’eau de pluie capable d’entretenir le cours perpétuel ou passager de toutes les fontaines, si la quantité d’eau pluviale est suffisante, comme nous l’avons prouvé d’après les observations. Combien de fontaines qui coulent en Mai & tarissent en Septembre au pié de ces montagnes couvertes de neiges ? Certains amas de neiges se fondent en été, quand le soleil darde dessus ses rayons ; & on remarque alors sur les croupes des écoulemens abondans dans certaines sources pendant quelques heures du jour ; & même à plusieurs reprises, si le soleil ne donne sur ces neiges qu’à quelques heures différentes de la journée. Le reste du tems, ces neiges étant à l’ombre des pointes de rochers qui interceptent la chaleur du soleil, elles ne fondent point : ces alternatives prouvent une pénétration prompte & facile. Combien de puits très-profonds tarissent ou diminuent par la sécheresse ? Les eaux de pluies pénetrent donc les terres assez profondément pour les abreuver ; & il ne paroît pas que les fontaines qui tarissent, ou qui soient sensibles à la sécheresse & aux pluies, ayent un réservoir moins profond, ou un cours moins abondant que celles qui coulent perpétuellement sans altération.

J’ai été long-tems à portée d’observer ces effets d’une maniere sensible dans une fontaine très-abondante située à Soulaines, au nord de Bar-sur-Aube, & à trois lieues de cette ville. Suivant des déterminations qui