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che de Bourg. & Pasquier, en ses recherches, liv. II. chap. xjv.

Les Italiens appellent les étrangers forestiers, quasi qui sunt extra fores. (A)

FORÊT, s. f. (Botan. & Econom.) On entend en général par ce mot, un bois qui embrasse une fort grande étendue de terrein : cependant cette dénomination n’est pas toûjours déterminée par la plus grande étendue. On appelle forêt dans un lieu, un bois moins considérable que celui qui ne porteroit ailleurs que le nom de buisson. Voyez Bois.

Une grande forêt est presque toûjours composée de bois de toute espece & de tout âge.

On les nomme taillis depuis la premiere pousse jusqu’à vingt-cinq ans ; & gaulis, depuis vingt-cinq jusqu’à cinquante ou soixante : alors ils prennent le nom de jeune-futaye ou de demi-futaye, & vers quatre-vingts-dix ans celui de haute-futaye. Ce dernier terme est celui par lequel on désigne tous les vieux bois.

Il paroît que de tout tems on a senti l’importance de la conservation des forêts ; elles ont toûjours été regardées comme le bien propre de l’état, & administrées en son nom : la religion même avoit consacré les bois, sans doute pour défendre, par la vénération, ce qui devoit être conservé pour l’utilité publique. Nos chênes ne rendent plus d’oracles, & nous ne leur demandons plus le gui sacré ; il faut remplacer ce culte par l’attention ; & quelque avantage qu’on ait autrefois trouvé dans le respect qu’on avoit pour les forêts, on doit attendre encore plus de succès de la vigilance & de l’économie.

L’importance de cet objet a été sentie de tout tems ; cela est prouvé par le grand nombre de lois forestieres que nous avons : mais leur nombre prouve aussi leur insuffisance ; & tel sera le sort de tous les réglemens économiques. Les lois sont fixes de leur nature, & l’économie doit continuellement se prêter à des circonstances qui changent. Une ordonnance ne peut que prévenir les délits, les abus, les déprédations ; elle établira des peines contre la mauvaise foi, mais elle ne portera point d’instructions pour l’ignorance.

Ce n’est donc pas sans raison que, malgré nos lois, on se plaint que nos forêts sont généralement dégradées ; le bois à brûler est très-cher ; le bois de charpente & celui de construction deviennent rares à l’excès. M. de Reaumur en 1721, & M. de Buffon en 1739, ont consigné, dans les mémoires de l’académie, des réclamations contre ce dépérissement qui étoit déjà marqué. En fait de bois, & sur-tout de grands bois, lorsqu’on s’apperçoit de la disette, elle est bien-tôt extrème. Les réparations sont très-longues ; il faut cent cinquante ans pour former une poutre : d’ailleurs celui qui porte les charges de ces réparations n’étant pas destiné à en joüir, elles se font toûjours avec langueur. Cette partie de l’économie rustique est aussi la moins connue ; les bois s’appauvrissent & se réparent par degrés presque insensibles. On n’y voit point de ces prompts changemens de scene, qui excitent la curiosité & animent l’intérêt. On ne pourroit être instruit que par des expériences traditionnelles bien suivies, & on n’en a point, ou par des observations faites dans beaucoup de bois & de terreins différens ; & le tems, le courage ou les moyens manquent au plus grand nombre.

Si les bois doivent être regardés comme le bien de l’état, à cause de leur utilité générale, une forêt n’est souvent aussi qu’un assemblage de bois dont plusieurs particuliers sont propriétaires. De ces deux points de vûe naissent des intérêts différens, qu’une bonne administration doit concilier. L’état a besoin de bois de toute espece, & dans tous les tems ; il

doit sur-tout se ménager de grands bois. Si l’on en use pour les besoins présens, il faut en conserver & en préparer de loin pour les générations suivantes. D’un autre côté, les propriétaires sont pressés de joüir, & quelquefois leur empressement est raisonnable. Des motifs tirés de la nature de leurs bois & de celle du terrein, peuvent les exclure du cercle d’une loi générale ; il faut donc que ceux qui sont chargés de veiller pour l’état à la manutention des forêts, ayent beaucoup vû & beaucoup observé ; qu’ils en sachent assez pour ne pas outrer les principes, & qu’ils connoissent la marche de la nature, afin de faire exécuter l’esprit plus que la lettre de l’ordonnance.

Cela est d’autant plus essentiel, que la conservation proprement dite tient précisément à cette partie de l’administration publique, qui prescrit le tems de la coupe des bois. On sait que la coupe est un moyen de les rajeunir ; mais pour recueillir de ce rajeunissement tout le fruit qu’on en peut attendre, il faut faire plusieurs observations.

Les bois nouvellement coupés croissent de plus en plus chaque année jusqu’à un certain point : ainsi à ne considérer que le revenu, on doit les laisser sur pié tant que dure cette progression.

Mais l’avantage devient plus considérable, si l’on regarde la conservation du fonds même. Le rajeunissement trop souvent répété altere la souche, épuise la terre, & abrege la durée du bois. M. de Buffon a observé en faisant receper de jeunes plants, que la seve se trouvant arrêtée par la suppression de la tige dans laquelle elle devoit monter, agit fortement sur les racines, & les enfonce dans la terre, où elles trouvent une nourriture nouvelle qui fait pousser des rejettons plus vigoureux. La même chose arrive toutes les fois qu’on coupe un bois qui n’est pas trop vieux : mais cette ressource de la nature est nécessairement bornée. Chaque terrein n’a qu’une certaine profondeur, au-delà de laquelle les racines ne pénétreront point : ainsi couper trop souvent un taillis, c’est hâter le moment auquel il doit commencer à dépérir ; c’est consumer en efforts toutes les forces de la nature. La vigilance publique est donc obligée de s’opposer à l’avidité mal entendue des particuliers qui voudroient sacrifier la durée de leurs bois à la joüissance du moment ; elle est dépositaire des droits de la postérité ; elle doit s’occuper de ses besoins & ménager de loin ses intérêts : mais il seroit dangereux d’outrer ce principe, & il faut bien distinguer ici entre l’usage des taillis & la réserve des futaies. Les taillis étant un objet actuel de revenu, on ne doit en prolonger la coupe qu’autant que dure, d’une maniere bien marquée, la progression annuelle dont nous avons parlé : par-là on rend également ce qui est dû à la génération présente & à celle qui doit suivre. Le propriétaire est dédommagé de l’attente qu’on a exigée de lui, & le fonds des bois est conservé autant qu’il peut l’être.

On a déjà fait sentir dans ce Dictionnaire combien il seroit important de fixer le point auquel on n’a plus rien à gagner en reculant la coupe des bois. Voyez Bois.

On pourroit appliquer aux taillis la méthode qu’a suivie M. de Buffon en examinant les futaies, & déterminer par la profondeur du terrein le dernier degré du plus grand accroissement, comme il a fixé celui où le dépérissement pourroit être à craindre. En conséquence de ces regles, nous pourrions n’avoir de taillis que dans les terreins pierreux, secs, & peu profonds ; nous aurions des gaulis vigoureux dans les terres moyennes, & de belles futaies dans celles qui sont bonnes. Mais le chêne n’est pas le seul bois dont nos forêts soient composées. Pour completer cette théorie de la coupe des bois, il y auroit encore bien