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sent encore. Dans un terrein long-tems occupé par des bois blancs, de jeunes chênes vaincront l’ascendant ordinaire que donne à ceux-ci la promptitude avec laquelle ils croissent ; loin d’en être étouffés, on les verra s’élever à leur ombre & s’emparer enfin de la place. Il est visible que l’ancienne production manque de nourriture, ou la nouvelle en trouve une abondante.

Je connois des coudraies assez étendues, dans lesquelles on trouve quelques chênes anciens & des cepées de châtaigners, dont la souche décele la vieillesse, & qui sont-là comme témoins de l’ancienne essence.

On ne peut pas soupçonner nos peres d’avoir planté des coudres : vraissemblablement ce bois méprisable par son peu d’utilité & sa lenteur à croître, s’est introduit à mesure que les chênes & les châtaigners ont dépéri, parce qu’on a négligé d’introduire une espece plus utile. Ces observations sont confirmées par l’expérience. Tous les gens qui ont beaucoup planté, savent combien il est difficile d’élever quelque sorte de bois que ce soit, dans un terrein qui en a été long-tems fatigué ; la résistance qu’on y trouve est marquée & rebutante.

Il faut donc, lorsqu’un taillis commence à dépérir, y favoriser quelque espece nouvelle, & l’on peut dire qu’ordinairement la nature en offre un moyen facile. Il est rare que l’essence des bois soit entierement pure : ici c’est un frêne dont la tige s’éleve au milieu d’une foule de chênes qu’il surmonte, là c’est un hêtre, un orme, &c. ils y prennent un accroissement d’autant plus prompt, qu’ils ne sont point incommodés par des voisins de leur espece. Il faut choisir quelques-uns de ces arbres, & les laisser sur pié lorsqu’on coupe le taillis dépérissant. Leurs fruits portés çà & là par les oiseaux, ou leurs graines dispersées par les vents germeront bientôt, & l’on verra une espece nouvelle & vigoureuse succéder à celle qui languissoit : ainsi la terre réparera ses forces sans l’inconvénient d’une inaction totale ; & dans la suite cette essence subrogée venant à dépérir, elle sera peu-à-peu remplacée par des chênes.

Il est aisé de sentir que le choix de l’espece qu’on favorise n’est pas indifférent ; ordinairement on doit préférer celle qui sera d’une utilité plus grande, eu égard aux besoins du pays : mais si on veut que l’essence dépérissante renaisse plûtôt, il faut lui substituer celle qui par sa nature doit occuper le terrein moins long-tems qu’aucun autre.

Un taillis subsiste plus long-tems, à proportion que le bois dont il est composé enfonce plus avant ses racines : par cette raison, le bouleau, le tremble, &c. ne devant pas occuper long-tems le même terrein, sont propres à devenir especes intermédiaires.

Au moyen de cette succession de bois différens, on n’appercevra jamais dans les taillis un dépérissement marqué par des vuides ; les pertes qui n’arrivent que par degrés, se répareront de même : mais si le terrein n’offroit point d’arbres propres à resemer, il faudroit avoit recours à la plantation ; il faudroit aller chercher dans les bois voisins quelque espece propre à remplir cet objet, & en regarnir les places vuides. Cette maniere de réparer demande plus de soins que de dépense.

Dans les futaies qu’on aura abattues, il faudra se régler par les mêmes principes ; replanter, s’il n’y a pas assez d’arbres d’une autre espece pour attendre de la nature toute seule un prompt rétablissement. Il faut cependant distinguer ici entre les vieilles futaies celles qui le sont à l’excès, & qui depuis long-tems ne font que dépérir : dans celles-là le changement d’espece devient beaucoup moins nécessaire, & cette remarque de fait est une nouvelle conséquence de

notre principe. Dans une futaie qui dépérit, les arbres sont dans le cas d’une végétation si languissante, qu’ils n’ont presque rien à demander à la terre ; ce qu’elle leur fournit tous les ans pour entretenir leur foible existence, ils le lui rendent par la chûte de leurs feuilles ; ce tems est pour elle un véritable repos qui rétablit ses forces. Lors donc qu’on abat une telle futaie, on doit trouver & on trouve en effet moins de résistance à y réhabiliter la même espece de bois. Voilà pourquoi on ne remarque point de changement dans les grandes forêts éloignées des lieux où le bois se consomme ; les bois y vieillissent jusqu’au dernier degré, la terre se répare pendant leur long dépérissement, & devient à la fin en état de reproduire la même espece.

Quelque simple que soit le moyen que nous avons proposé pour rétablir continuellement les bois, il réussira surement lorsque la nature sera laissée à elle-même, ou du-moins lorsque ses dispositions seront secondées. Il n’en sera pas ainsi lorsqu’on voudra multiplier à un certain point le gibier, bêtes fauves, lapins, &c. Ces ennemis des bois qu’ils habitent, dévorent les germes tendres destinés au rétablissement des forêts. Chaque fois qu’on coupe un taillis, il est dans un danger évident, si on ne le préserve pas pendant deux ans de la dent des lapins, & pendant quatre de celle du fauve. Quelques especes même, comme sont le charme, le frêne, le hêtre, sont en danger du côté des lapins pendant six ou sept ans. Si l’on veut donc avoir en même tems & des bois & du gibier, il faut une attention plus grande, & plus que de l’attention, des précautions & des dépenses. Il faut enfermer les taillis jusqu’à ce qu’ils soient hors d’insulte ; il faut arracher les futaies pour les replanter, & préserver le plant de la même maniere pendant un tems beaucoup plus long. On ne peut plus s’en fier à la nature, lorsqu’on a une fois rompu l’ordre de proportion qu’elle a établi entre ses différentes productions. En extirpant les beletes, on croit ne détruire qu’un animal malfaisant : mais outre que les beletes empêchent la trop grande multiplication des lapins, elle sont ennemies des mulots, & les mulots multipliés dévorent le gland, la châtaigne, la faine, qui repeupleroient nos forêts. Au reste si les dépenses & les soins sont nécessaires, il est sûr aussi qu’en n’épargnant ni les uns ni les autres, on peut conserver en même tems & des bois & du gibier : mais il faut sur-tout les redoubler, pour faire réussir les plantations nouvelles.

Par-tout où la quantité de gibier ne sera pas trop grande, les plantations, que les écrivains économiques rendent si effrayantes, deviennent très-faciles, & se font à peu de frais. La méthode conforme à la nature qu’a suivie M. de Buffon, & dont il a rendu compte dans un mémoire à l’académie, réussira presque toûjours ; elle se borne à enterrer legerement le gland après un assez profond labour, & à ne donner de soin au plant que celui de le récéper lorsqu’il languit. Voyez Bois. Cette méthode est par sa simplicité préférable à toute autre, par-tout où le bois ne sera pas fort cher, & où la terre un peu legere ne poussera pas une grande quantité d’herbe. Dans une terre où l’herbe croîtra avec abondance, il sera difficile de se passer de quelque leger binage au pié des jeunes plants. Il leur est aussi desavantageux d’être pressés par l’herbe, qu’utiles d’en être protégés contre la trop grande ardeur du soleil. Il arrivera peut-être aussi que dans un terrein très-ferme, le gland étant semé, comme le dit M. de Buffon, les jeunes chênes ne croîtront que lentement, malgré les effets du recépage. C’est ce qu’il faut éviter dans les lieux où le bois est cher. Une joüissance beaucoup plus prompte y dédommage d’une dépense un peu plus grande : je conseillerois alors de se servir de plant élevé en