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les autres brigades ne peuvent venir dans le même lieu. Il résulte de cet arrangement beaucoup plus d’ordre & de police dans l’exécution du fourrage, parce que les chefs sont plus à portée d’y veiller.

Pour que cette opération se fasse sûrement, il faut avoir reconnu le pays auparavant, soit par soi-même, soit par le rapport des espions ou des différens partis qu’on y aura fait roder, commandés par des officiers intelligens.

Si l’on avoit tout le tems nécessaire, on pourroit, comme le propose M. le Maréchal de Puységur, aller examiner dans les granges de chaque village qu’on a dessein de fourrager, la quantité de fourrage qu’on en peut tirer : mais cet examen est presque impossible, tant par le tems qu’il exige, que parce qu’il faudroit mettre ensuite des gardes dans toutes les granges, pour empêcher les paysans d’en enlever le fourrage ou le grain, qu’ils enfoüissent souvent dans la terre, lorsqu’ils se croyent à portée d’être fourragés.

Pour éviter cet inconvénient, il faut que l’arrivée des fourrageurs dans les villages ne puisse pas être prévûe  ; & alors on ne peut savoir ce qu’ils contiennent de fourrage, que par les lumieres qu’on peut tirer des gens du pays ; s’informant, dit M. le Maréchal de Puységur, combien le village nourrit de bêtes à corne ou de chevaux pendant l’hyver ; si les récoltes qu’il fait sont suffisantes pour ses différentes provisions, ou s’il est obligé d’en tirer d’ailleurs. On peut par-là avoir une idée de la quantité de fourrage qu’on peut trouver dans un village, & évaluer en conséquence le nombre de fourrageurs auxquels on peut l’abandonner.

Au lieu de laisser les fourrageurs se répandre ou se disperser dans un village pour en enlever le fourrage, on peut obliger les chefs du lieu à faire amener à la tête du village toutes les provisions qu’on peut en tirer. Lorsqu’on prend les précautions nécessaires pour qu’ils l’exécutent exactement & fidelement, le fourrage se fait bien plus promptement. Alors les cavaliers ont moins d’occasions de s’écarter dans les maisons pour y piller au lieu de fourrager ; ce qui n’arrive que trop souvent.

Dans le fourrage au sec, il faut, comme dans celui qui est au verd, former une chaîne pour la sûreté du fourrage, & pour empêcher les fourrageurs libertins de se répandre dans le pays.

Comme on trouve dans les villages le fourrage de tout le terrein qui en dépend, un petit nombre de villages peut fournir celui dont on a besoin. Par conséquent la chaîne peut avoir moins d’étendue que dans les fourrages au verd : mais elle doit toûjours renfermer exactement les villages qu’on veut fourrager. Si ceux qu’on a renfermés d’abord ne sont pas suffisans, le commandant du fourrage fait étendre la chaîne pour en comprendre d’autres dedans ; il faut éviter de recourir à cet expédient, parce qu’il dérange l’ordre des postes, qu’il fatigue l’escorte, & que le fourrage est alors d’une expédition moins prompte.

La retraite se fait dans les fourrages au sec de la même maniere que dans ceux qui se font au verd ; c’est-à-dire qu’à mesure que les fourrageurs d’un régiment ont chargé le fourrage sur leurs chevaux, ils partent aussi-tôt suivis des petites escortes de leurs régimens ; & qu’à mesure qu’un village est évacué, l’escorte qui forme la chaîne du fourrage, doit se resserrer pour se mettre en état de marcher à la suite de tous les fourrageurs.

Considérations qui servent de regles ou de principes pour la sûreté des fourrages. 1°. On peut compter d’abord sur l’ignorance de l’ennemi, qui ne sait ni le jour que l’armée doit fourrager, ni le lieu où elle doit aller, lorsqu’on prend la précaution de ne le point déclarer.

Quand il seroit instruit du jour du fourrage, à moins qu’il ne le soit aussi à-peu-près du lieu où il doit se faire, il ne sera pas à-portée de venir le troubler.

S’il a plusieurs partis ou détachemens en campagne pour le découvrir, il faut que ces détachemens non-seulement rencontrent les fourrageurs, mais qu’ils puissent les suivre pour s’assûrer exactement du lieu que l’on va fourrager ; ce qui demande trop de tems pour que l’ennemi en soit informé assez tôt pour venir tomber en force sur les fourrageurs pendant l’opération du fourrage.

S’il se contente d’y envoyer des troupes legeres, l’escorte des fourrageurs sera en état de leur résister. Ainsi en observant le secret sur le jour & le lieu du fourrage, on empêche ordinairement que l’ennemi ne prenne des mesures pour le troubler.

2°. On fait ensorte de savoir le jour que l’ennemi doit aller lui-même au fourrage ; si l’on en est instruit, on peut s’assûrer qu’il s’occupera du sien, & qu’il ne cherchera pas à troubler le vôtre. Mais il faut bien prendre garde que ce ne soit une ruse de sa part pour vous engager d’envoyer vos troupes au fourrage, & tomber sur vous avec les siennes : c’est ce qui demande bien de l’attention, lorsque les armées ne sont qu’à très-peu de distance l’une de l’autre.

3°. Comme le général a toûjours des espions dans le camp de l’ennemi, il faut qu’ils ayent soin d’observer les différens détachemens qui en sortent, & de lui en donner avis aussi-tôt, en lui marquant le chemin que ces détachemens leur ont paru prendre. Par cette précaution le général, lorsque ses espions le servent bien, c’est-à-dire lorsqu’il les choisit intelligens & qu’il les paye bien, peut juger de l’objet de l’ennemi ; s’il croit qu’il ait dessein de tomber sur les fourrageurs, il leur envoye des ordres pour les faire retirer promptement.

4°. Si le général apprend que l’ennemi marche en force pour troubler le fourrage, & que cette nouvelle arrive avant que les fourrageurs puissent être parvenus au lieu du fourrage, il envoye aussi-tôt au-devant d’eux pour les arrêter ; & si l’on présume qu’ils y soient arrivés, on leur fait les signaux convenus, pour les rappeller ou les faire retirer. Ces signaux se font ordinairement par un certain nombre de décharges de pieces de canon.

Si c’est le commandant du fourrage qui soit informé par ses partis, que l’ennemi s’avance en bon ordre pour l’attaquer avec un nombre de troupes supérieures aux siennes, il fait retirer promptement les fourrageurs, & il envoye au camp pour en instruire le général, & lui demander du secours, pour assûrer & protéger sa retraite ; en attendant il rassemble toutes les escortes, & il leur fait prendre le chemin du camp dans le meilleur ordre qui lui est possible.

Lorsque les ennemis qui marchent contre un fourrage sont en grand nombre, il est rare que le pays leur permette de marcher sur un assez grand front pour arriver ensemble. Si le terrein leur est favorable pour cela, il est au-moins difficile de marcher alors avec ordre & vîtesse. Les différens corps de l’armée ou du détachement de l’ennemi, se trouvent dans l’obligation de s’attendre les uns & les autres : pendant ce tems le commandant du fourrage, dont la marche est plus legere, fait sa retraite ou se met à-portée du secours que le général lui envoye.

Si l’ennemi détache quelques troupes en-avant pour commencer l’attaque & retarder la marche des fourrageurs ; pendant qu’il s’avance plus lentement avec le gros de son détachement, le commandant du fourrage doit faire ensorte que la retraite ne soit point interrompue ; & pour se débarrasser des ennemis qui le harcelent, réunir à la queue des fourra-