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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/30

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ne souffrira aucune difficulté. Mais il n’en est pas ainsi. Il y a beaucoup de dogmes dont l’Eglise n’a point fait de définition expresse, qu’elle déclare cependant être contenus dans la révélation ; qu’elle déclare, dis-je, d’une maniere suffisante, pour que ces dogmes soient vraiment de foi ; c’est ce qu’il est facile de prouver.

1°. Il y a beaucoup de vérités dans l’Ecriture, qui sont postérieures dans l’ordre des connoissances à l’autorité infaillible de l’Eglise, que nous ne connoissons comme très-certainement contenues dans les Ecritures que par le moyen de l’Eglise, dont elle n’a jamais fait de définition expresse, & qui sont cependant des dogmes de foi. Comme aussi il y a des choses définies expressément qui étoient l’objet de la foi, & que l’Eglise déclaroit contenues dans la révélation avant la définition expresse.

Prenons pour exemple la présence réelle avant Berenger. L’Eglise n’avoit pas fait de définition expresse de ce dogme ; cependant il étoit de foi. L’Eglise le déclaroit donc contenu dans la révélation, & elle le déclaroit d’une maniere suffisante, pour lui donner le caractere d’un dogme de foi. Donc l’Eglise peut déclarer qu’un dogme est contenu dans la révélation d’une autre maniere que par une définition expresse de ce même dogme.

2°. Je dis la même chose des vérités de foi que renferme la tradition : comme que le baptême des enfans est bon & valable ; que la communion sous les deux especes n’est pas nécessaire au salut, &c. Ces dogmes sont déclarés par l’Eglise contenus dans la tradition, sans qu’elle en forme aucune définition expresse.

Or comment se fait donc cette déclaration ? Je répons que l’explication constante & unanime que le plus grand nombre des Peres & des écrivains ecclésiastiques, & en général les pasteurs de l’Eglise, donnent à un passage contenu quant aux paroles dans les livres canoniques, est une déclaration que ce dogme est contenu dans l’Ecriture quant au sens ; déclaration suffisante pour que le dogme soit ipso facto l’objet de la foi pour ceux à qui cette explication est connue.

Et de même la pratique constante & universelle de l’Eglise lorsqu’elle suppose un dogme contenu dans la tradition, suffit pour déclarer que ce dogme est contenu dans la tradition, & doit être l’objet de la foi.

Je pourrois faire voir dans un plus grand détail la nécessité & l’utilité de ce principe, mais je suis obligé de me resserrer pour passer à d’autres objets.

De l’obscurité de la foi. La foi est obscure, mais en quel sens ? Toutes les vérités de foi sont-elles obscures, & quelles sont celles qu’affecte cette obscurité ?

L’obscurité de la foi ne peut affecter que les objets mêmes, & non pas les motifs de la persuasion. Par ces motifs, je n’entends pas ici le motif immédiat qui nous fait donner notre assentiment aux vérités de foi, c’est-à-dire l’autorité de la révélation, mais les preuves par lesquelles on constate la réalité de la révélation. Or la liaison des vérités de la foi avec ces preuves, doit être dans son genre évidente & nécessaire ; & c’est alors seulement qu’on observera le précepte de l’apôtre, qui veut que l’obéissance à la foi soit raisonnable.

C’est pourquoi je ne saurois approuver la pensée de M. Pascal, qui prétend que Dieu a laissé à dessein de l’obscurité dans l’économie générale, dans les preuves de la religion : qu’on se lasse de chercher Dieu par le raisonnement ; qu’on voit trop pour nier & trop peu pour assûrer ; que ce Dieu dont tout le monde parle, a laissé des marques après lui ; que la nature ne le marque pas sans équivoque ; c. viij. que les foiblesses les plus apparentes sont des forces a ceux qui prennent bien les choses ; qu’il faut connoître la vérité de

la religion dans son obscurité ; que Dieu seroit trop manifeste s’il n’y avoit de martyrs qu’en notre religion, c. xviij. &c.

Car il me semble au contraire que pour repousser les traits des incrédules, il est nécessaire d’établir que la religion chrétienne n’a d’autre obscurité que celle qui affecte ses mysteres, & que les preuves, les motifs de crédibilité qui l’établissent, ont une évidence suprème dans le genre moral, & qui ne peut laisser aucune espece de doute dans l’esprit. Qu’on lise tous les auteurs qui ont travaillé à la défense de la religion, on verra qu’aucun ne s’est écarté de ce principe dont ils ont senti la nécessité.

Il suit de-là que dans les quatre ordres de vérités que nous avons distingués en traitant de l’analyse de la foi, il n’y a que celles qui appartiennent au quatrieme ordre, & qu’on peut croire par le motif de la révélation proposée par l’Eglise, sur lesquelles puisse tomber quelqu’obscurité. Ainsi, c’est sur les mysteres que tombe l’obscurité de la foi. Voyez ce mot.

C’est l’obscurité des mysteres qui les fait paroître contraires à la raison, & c’est pourquoi nous renvoyons aussi à l’article Mysteres la question importante, si la raison est contraire à la foi.

De la certitude de la foi. Nous ne pouvons traiter ici de la certitude de la foi, que par la comparaison avec la certitude des vérités que la raison fait connoître ; car la question de la certitude absolue des vérités de la foi, appartient aux articles Religion, Révélation, &c.

On demande si la foi est autant, ou plus, ou moins certaine que la raison ; & cette question conçue en ces termes généraux, est presque inintelligible : foi, raison, certitude, tous ces termes ont besoin d’être définis.

On voit d’abord qu’il s’agit encore ici de la foi comme persuasion, & même de la persuasion que renferme la foi proprement dite, fondée sur l’autorité de la parole de Dieu, & non pas de la croyance des autres vérités qui appartiennent à la religion chrétienne, & qui ne seroient pas crûes par le motif de la révélation.

Cette persuasion peut être considérée, ou dans le sujet, dans l’esprit qui la reçoit, ou relativement à l’objet sur lequel elle tombe, ou par rapport au motif sur lequel elle est fondée.

On considere aussi la certitude en général sous ces trois rapports différens : de-là les Théologiens ont distingué la certitude de sujet, la certitude objective, & la certitude de motif.

La certitude de sujet est la fermeté de l’assentiment qu’on donne à une vérité quelconque.

Cette certitude pour être raisonnable, doit toûjours être proportionnée à la force des motifs qui la font naître : autrement elle ne seroit pas distinguée de l’entêtement qu’on a quelquefois pour les erreurs les plus extravagantes. Il suit de-là que la comparaison que nous nous proposons de faire entre la certitude de la foi & celle de la raison, ne peut pas s’entendre de la certitude du sujet, sans y faire entrer en même tems la certitude de motif, sans supposer que de part & d’autre les motifs de persuasion sont solides & au-dessus de toute espece de doute. Mais cette supposition étant une fois faite, on peut demander si l’adhésion aux vérités de la foi est plus forte que l’adhésion de l’esprit aux vérités que la raison démontre.

Il semble d’abord que cette adhésion est plus forte du côté de la foi, que de celui de la raison. Personne n’est mort pour des vérités mathématiques, & les martyrs ont scellé de leur sang la foi qu’ils professoient.

Il y a bien de l’équivoque dans tout cela. L’adhésion aux vérités de foi dont nous parlons ici, est