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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/31

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une conviction intime, intérieure & tout-à-fait distinguée de la profession qu’on peut faire de bouche & de tout acte extérieur. Cette conviction n’atteint les vérités de la foi que comme vraies, & non pas comme utiles, comme nécessaires à soûtenir hautement & à professer extérieurement. Le chrétien doit sans doute regarder les vérités de la foi de cette derniere façon ; mais c’est abuser des termes que d’appeller la disposition de son esprit une certitude, c’est plûtot un amour de ces mêmes vérités. Il a la vertu & la grace de la foi s’il meurt, plûtôt que de démentir par ses actions ou par ses paroles, la persuasion dont il est plein ; mais il n’est pas pour cela plus fortement persuadé de ces mêmes vérités que le géometre de ses théorèmes, pour lesquels il ne voudroit pas mourir ; parce que le chrétien & notre géometre regardent tous deux comme vraies les propositions qui sont l’objet de leur persuasion. Or comme la vérité n’est pas susceptible de plus & de moins de deux propositions bien constantes & bien prouvées, on ne peut pas raisonnablement regarder l’une comme plus vraie que l’autre.

Ce principe me conduit à dire aussi que la foi précisément comme persuasion n’étoit pas plus grande dans les Chrétiens qui la confessoient à la vûe des supplices dans les martyres, que dans ceux que la crainte faisoit apostasier. En effet les tyrans ne se proposoient pas d’arracher de l’esprit des premiers chrétiens la persuasion intime des dogmes de la religion, & d’y faire succéder la croyance des divinités du Paganisme ; on vouloit qu’un chrétien benît Jupiter & sacrifiât aux dieux de l’empire ; ou bien on le punissoit, parce qu’il ne professoit pas la religion de l’empereur, mais sans se proposer de la lui faire croire. Et en effet pense-t-on que les apostats, après avoir succombé à la rigueur des supplices, honorassent du fond du cœur Jupiter auquel ils venoient d’offrir de l’encens, & cessassent de croire à J. C. aussitôt qu’ils l’avoient blasphemé : ils n’avoient plus la vertu de la foi, la grace de la foi ; mais ils ne pouvoient ôter de leur esprit la persuasion de la mission de Jesus-Christ, qu’ils avoient souvent vû confirmée par des miracles ; les motifs puissans qui les avoient amenés à la foi chrétienne, ne pouvoient pas leur paroître moins forts, parce qu’ils étoient eux-mêmes plus foibles, & leur persuasion devoit rester absolument la même, au moins dans les premiers momens, & jusqu’à ce que le desir de justifier leur apostasie leur fît fermer les yeux à la vérité.

La certitude qu’on a des vérités de la foi n’est donc pas plus grande lorsqu’on meurt pour les soûtenir, que lorsqu’on les croit sans en vouloir être le martyr, parce que dans l’un & dans l’autre cas, on ne peut que les regarder comme également vraies. Et par la même raison, la certitude de sujet des vérités de la foi, n’est pas plus grande que celle qu’on a des vérités évidentes, ou même que celle des vérités du genre moral, lorsque celle-ci a atteint le degré de certitude qui exclut tout doute.

Passons maintenant à la certitude objective.

Il n’y a nulle difficulté entre les Théologiens sur cette espece de certitude, & on demeure communément d’accord qu’elle appartient aux objets de la foi, comme à ceux que là raison nous fait connoître, & même qu’elle appartient aux uns & aux autres dans le même degré. Il est vrai que quelques théologiens ont avancé que l’impossibilité que ce que Dieu atteste ne soit véritable, est la plus grande qu’on puisse imaginer ; & qu’eu égard à cette impossibilité, les objets de la foi sont plus certains que ceux des Sciences : mais cette prétention est rejettée par le plus grand nombre, & avec raison ; car les vérités naturelles sont les objets de la connoissance de Dieu, comme les vérités révélées de son témoi-

gnage. Or il est aussi impossible que Dieu se trompe

dans ce qu’il fait, que dans ce qu’il dit ; je ne m’arrête pas sur une chose si claire.

Quant à ceux qui prétendroient que les objets de la foi ne sont pas aussi certains que ceux de la raison, nous leur ferons remarquer que dans la question dont il s’agit, on suppose la vérité, l’existence des uns & des autres ; & que cette vérité, cette existence étant une fois supposées, ne sont pas susceptibles de plus & de moins. C’est ainsi que quoique j’aye beaucoup plus de preuves de l’existence de Rome, que d’un fait rapporté par un ou deux témoins ; quoique la certitude de motif de mon adhésion à cette proposition Rome existe, soit plus grande que celle de mon adhésion à cet autre fait ; s’il est question de la certitude objective, & si nous supposons véritable le fait attesté par deux témoins, on doit regarder & l’existence de Rome & ce fait comme deux choses également certaines. Et qu’on ne dise pas que les vérités de la foi étant dans le genre moral, ne peuvent pas s’élever au degré de certitude objective qu’atteignent les vérités géométriques & métaphysiques : car je ne crains pas d’avancer que de deux propositions vraies, toutes les deux l’une dans l’ordre de la certitude morale & l’autre en Mathématique, s’il est question de la certitude objective, celle-ci n’est pas plus certaine que l’autre ; que si cette proposition est un paradoxe, c’est la faute des Philosophes, qui n’ayant pas conçu que cette certitude objective est la vérité même, ont fait deux expressions pour une même chose ; & d’après cela se sont jettés dans une question trop claire pour être examinée, quand on la conçoit dans les termes naturels. En effet, c’est comme si on demandoit s’il est aussi vrai que César a existé, qu’il est vrai que deux & deux sont quatre : or personne ne peut hésiter à répondre que l’un est aussi vrai que l’autre, quoiqu’il y ait ici deux genres de certitude différens. La certitude objective des vérités de foi est donc encore égale à celles des verités dont la raison nous persuade.

Il nous reste à parler de la certitude de motif : c’est la seule qu’on puisse appeller proprement certitude ; c’est la liaison du motif sur lequel est fondée votre persuasion, avec la vérité de la proposition que vous croyez ; de sorte que plus cette liaison est forte, plus il est difficile que le motif de votre assentiment étant posé, la proposition que vous croyez soit fausse, & plus la certitude de motif est grande.

Or le motif de l’assentiment qu’on donne aux vérités naturelles, est tantôt la nature même des choses évidemment connue, & alors la certitude est métaphysique ; & tantôt la constance & la régularité des actions morales ou des actions physiques, & alors la certitude est morale. Nous comparerons successivement la certitude de la foi à la certitude métaphysique, & à la certitude morale.

Lorsqu’on demande si la foi est autant, ou plus, ou moins certaine que les vérités évidentes, cette question revient à celle-ci : un dogme quelconque est-il aussi certain qu’une vérité que la raison démontre ? Or la certitude de motif d’un dogme quelconque dépend nécessairement de la certitude qu’on a que Dieu ne peut ni tromper ni se tromper dans ce qu’il révele, & 2° que Dieu a vraiment révélé le dogme en question : cela posé, ce que je ne crois que parce que Dieu le révele ne peut pas être plus certain, qu’il n’est certain que Dieu le révele ; & par conséquent quoique le motif immédiat de la foi, la véracité de Dieu, quoique cette proposition, Dieu ne peut ni nous tromper ni se tromper, soit parfaitement évidente & dans le genre métaphysique ; comme ce motif ne peut agir sur mon esprit pour y produire la persuasion d’un dogme, qu’autant que je con-