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J’épargne aux lecteurs les discussions étendues que les scholastiques ont fait sur cette matiere. Pour décider une semblable question, il suffit d’un principe clair ; & celui que nous avons donné nous paroît avoir cette qualité. C’est le cas où l’on peut dire, qu’il ne faut pas écouter des objections contre une these démontrée.

Jusqu’à-présent nous avons considéré la foi comme persuasion ; nous avons remarqué que dans la doctrine catholique elle est aussi une vertu & une grace : nous allons la regarder par ces deux différens côtés.

La foi est une vertu. C’est le sentiment unanime de tous les PP. & de tous les Théologiens, qu’elle est méritoire ; ce qui ne peut convenir qu’à une vertu ; ce qu’il nous seroit facile de prouver, si nous ne craignions pas d’être trop longs.

Une difficulté se présente, qu’il est nécessaire de résoudre. La foi est une persuasion de certaines vérités ; la persuasion est le résultat des preuves, sur lesquelles ces vérités peuvent être appuyées. De quelque espece que soient ces vérités, les preuves qui nous y conduisent sont purement spéculatives, & il n’appartient qu’à l’esprit d’en juger. Quelle que soit la force de ces preuves en elles-mêmes, la persuasion ne peut qu’être conséquente à l’effet qu’elles produisent sur l’esprit qui les examine. Or cela posé, quel mérite peut-il y avoir à trouver ces preuves bonnes, & quel démérite à y refuser son assentiment ? Il n’y a ni crime ni vertu à ne pas croire vrai ce qu’on ne juge pas assez bien prouvé, & à croire ce qu’on trouve démontré. Et il ne faut pas penser que parce qu’il est question de religion dans cet examen, l’incrédulité y soit plus criminelle ; parce que comme les preuves sont du genre moral, on a droit d’en juger comme on juge dans toute autre question. Un homme n’est pas coupable devant Dieu de ne point croire une nouvelle de guerre, sur la déposition d’un grand nombre de témoins même oculaires ; on n’a point encore fait un péché en morale de cette espece d’incrédulité ; l’inconvaincu, en matiere de religion refuse, son assentiment à des preuves de même espece ; puisque celles qui appuient la religion sont aussi du genre moral ; il le refuse par la même raison, c’est-à-dire parce qu’il ne les croit pas suffisantes : son inconviction n’est donc pas un crime, & sa foi ne seroit point une vertu.

On peut confirmer cela par l’autorité des plus habiles Philosophes : Il n’y a autre chose, dit S’gravesande (Introd. ad Philosoph.), dans un jugement, qu’une perception ; & ceux qui croyent que la détermination de la volonté y est aussi requise, ne font attention ni à la nature des perceptions, ni à celle des jugemens. . . . Dès que les idées sont présentes, le jugement suit. . . . Celui qui voudroit séparer le jugement de la perception de deux idées, se trouveroit obligé de soûtenir que l’ame n’a pas la perception des idées qu’elle apperçoit.

S. Thomas se propose cette même question (sec. secundæ quæst. sec. art. 9.) en ces termes : celui qui croit a un motif suffisant pour croire, ou il manque d’un semblable motif. Dans le premier cas, il ne lui est pas libre de croire ou de ne pas croire, & sa foi ne sauroit lui être méritoire ; & dans le second il croit legerement & sans raison, & par conséquent aussi sans mérite.

Mais sa réponse n’est pas recevable. La voici mot pour mot : Celui qui croit a un motif suffisant pour croire ; l’autorité divine d’une doctrine confirmée par des miracles, & ce qui est plus encore, l’instinct intérieur par lequel Dieu l’invite. . . . ainsi il ne croit pas legerement, cependant il n’a pas de motif suffisant pour croire ; d’où il suit que sa foi est toûjours méritoire.

Je remarque, 1°. que l’instinct auquel S. Thomas

a recours, ne fait rien ici, parce que ce n’est pas un motif.

2°. Il y a ici une contradiction : cet homme a un motif suffisant pour croire, & il n’a pas de motif suffisant : habet sufficiens inductivum ad credendum. . . . tamen non habet sufficiens inductivum ad credendum : cela est inintelligible.

Essayons de résoudre cette difficulté, qu’on ne nous accusera pas d’avoir affoiblie.

1°. Nous y parviendrons, si nous faisons comprendre que la volonté, ou pour parler plus exactement, la liberté influe sur la persuasion ; car cela posé, cette même persuasion pourra être méritoire, & le refus pourra en être criminel. Or voici ce qu’on peut dire sur cela.

Quoique les idées qui sont jettées dans notre ame d’après l’impression des objets extérieurs, ne soient point sous l’empire de la liberté au premier moment où elles y entrent à mesure qu’elles nous deviennent plus familieres, nous acquérons sur elles le pouvoir de les appeller ou de les éloigner, & de les comparer à notre gré, au moins hors des cas des grandes passions ; & tout cela tient sans doute en grande partie au méchanisme de nos organes. Or du pouvoir que nous avons d’appeller, d’écarter & de comparer à notre gré les idées, suit manifestement l’empire que nous avons sur notre persuasion : car toute persuasion résulte de la comparaison de deux idées ; & si nous écartons les idées dont la comparaison nous conduiroit à la persuasion de certaines vérités, nous fermerons par-là l’entrée de notre esprit à la persuasion de ces mêmes vérités.

Mais, pourra-t-on dire, lorsque nous écartons ces idées, la persuasion est déjà entrée dans notre ame ; car nous ne les écartons que pour ne pas faire la comparaison qui nous y conduiroit. Nous savons donc que cette comparaison nous conduiroit à la persuasion ; mais cela posé, nous sommes déjà persuadés, & nous ne faisons que nous dispenser de réfléchir sur notre persuasion.

Je répons qu’en faisant cette instance, on conviendroit que la persuasion réfléchie est libre. Or un théologien peut soûtenir avec beaucoup de vraissemblance que la foi est une persuasion réfléchie ; & on voit que dans ce sentiment il est facile de concevoir comment elle est méritoire, & comment elle est une vertu.

Mais sans considérer ici la foi en particulier, on peut dire que toute persuasion en général est libre, entant que réfléchie, quoiqu’elle ne le soit pas entant que directe. Il y a une premiere vûe de l’esprit jettée rapidement sur les idées & sur les motifs de la persuasion, qui suffit pour soupçonner la liaison des idées & la solidité des motifs, & qui ne suffit pas pour en convaincre. Ce soupçon n’est rien autre chose qu’un sentiment confus ; c’est la vûe mal terminée d’un objet qui nous épouvante dans l’éloignement, que nous reconnoissons, & que nous craignons de fixer. Dans cet état on n’a pas sur la liaison des idées, le degré d’attention nécessaire pour former un jugement décidé, & pour avoir une persuasion réfléchie. Or je croirois volontiers que l’exercice de la liberté n’a pas lieu dans ce premier moment : aussi n’est-ce pas alors que la persuasion des vérités de la foi est méritoire. L’incrédule le plus obstiné peut sentir confusément la vérité des motifs de crédibilité qui conduisent à la religion, & ne pas en être persuadé ; & les remords & les inquiétudes dont on dit que ces gens-là sont tourmentés, prennent leur source dans ce sentiment confus.

2°. Voici encore une autre maniere d’expliquer comment la persuasion est libre. Les vérités de la religion sont établies par des preuves, & combattues par des objections. La persuasion résulte de la con-