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Il n’est aucun corps qui lorsqu’il glisse sur un autre, n’éprouve une pareille résistance ; parce qu’il n’en est aucun dont la surface ne soit inégale. Il est aisé de s’en convaincre, en examinant au microscope ceux mêmes que nous regardons comme les mieux polis ; on y apperçoit bien-tôt bien de petites éminences & cavités qui avoient échappé à la vûe simple.

Lors donc que l’on applique l’une contre l’autre deux surfaces de cette nature, les petites éminences de l’une doivent nécessairement entrer dans les petites cavités de l’autre ; & pour en mouvoir une, il faut dégager ces éminences des cavités dans lesquelles elles sont enfoncées : pour cet effet il est nécessaire ou de les briser, ou de les plier comme des ressorts ; ou si leur extrème dureté empêche l’un & l’autre de ces effets, il faut un peu soûlever le corps entier. Toutes ces choses exigent une certaine force, & il en doit résulter un obstacle au mouvement : c’est ce que l’on nomme frottement.

On peut en distinguer deux especes. S’il s’agit de faire parcourir à un corps la surface d’un autre corps, cela peut s’exécuter de deux manieres différentes, qu’il est important de ne pas confondre : 1°. en appliquant successivement les mêmes parties de l’un à différentes parties de l’autre, comme quand on fait glisser un livre sur une table ; & on peut nommer ce frottement, celui de la premiere espece : 2°. en faisant toucher successivement différentes parties d’une surface à différentes parties d’une autre surface, comme lorsqu’on fait rouler une boule sur un billard ; & je le nomme frottement de la seconde espece. Le premier est celui dont j’ai parlé d’abord. Dans le second cas, les parties engagées se quittent à-peu-près comme les dents de deux roues de montre se desengrenent. Voyez figure 38. de la Méchanique, où CD est le corps roulant, AB la surface du corps sur lequel il roule, & H, F, les inégalités des deux surfaces au point d’attouchement. S’il arrive qu’elles ayent quelquefois peine à se quitter, c’est qu’il y a disproportion entre les parties saillantes & les vuides qui les reçoivent ; mais jamais cette seconde espece de frottement ne ralentit autant le mouvement que la premiere : c’est de celle-ci que je vais m’occuper plus particulierement.

La quantité du frottement dépend d’une infinité de circonstances, qui me paroissent pourtant toutes pouvoir être rapportées à quelqu’un de ces cinq chefs : 1°. la nature des surfaces qui frottent ; 2°. leur grandeur ; 3°. la pression qui les applique l’une à l’autre, 4°. leur vîtesse ; 5°. la longueur du levier auquel on peut regarder comme appliquée la résistance dont il s’agit.

I. La nature des surfaces est certainement la principale considération, à laquelle il faut avoir égard pour juger de la quantité du frottement ; il est évident que plus les inégalités de ces surfaces seront ou nombreuses, ou éminentes, ou roides, ou difficiles à briser ou à plier, plus aussi le frottement qui en résultera sera considérable. Il suit de-là, 1°. que l’on doit trouver moins de résistance à faire glisser un corps poli sur une surface polie, qu’un corps rude & grossier sur une surface inégale & raboteuse. 2°. Que l’huile ou la graisse dont on enduit ordinairement les surfaces que l’on veut faire glisser avec plus de facilité, doivent effectivement diminuer le frottement ; puisque se logeant dans les petites cavités de ces surfaces, elles empêchent les petites éminences d’y entrer aussi profondément ; & que la forme sphérique des petites molécules de l’huile les rend propres, comme autant de rouleaux, à changer en partie le frottement, qui seroit sans cela uniquement de la premiere espece, en un autre de la seconde.

Ces raisonnemens, quelques plausibles qu’ils pa-

roissent, ne décideroient pas néanmoins ces deux points, si l’expérience ne les appuyoit. La structure des petites parties des corps, & la nature de leurs surfaces nous est si peu connue, qu’il est impossible de suivre ici d’autre guide que l’expérience ; encore n’avons-nous pas l’avantage d’être conduits par elle dans cette matiere-ci aussi sûrement que dans la plûpart des autres. Nous ne trouvons dans les différens auteurs qui nous ont fait part de leurs tentatives, que des résultats opposés, & souvent des contradictions. Par exemple, M. Amontons nous dit qu’il a éprouvé que des plans de cuivre, de fer, de plomb & de bois, bien enduits de vieux-oing, placés sur d’autres plans de pareille matiere, & chargés également, ont à-peu-près le même frottement. M. Musschenbroek au contraire nous donne une table de différentes expériences qu’il a faites, pour connoître le frottement d’un arc d’acier dans des bassinets de gayac, de cuivre rouge, de cuivre jaune, d’acier, d’étain, &c. par lesquelles il paroît que le frottement de l’essieu a été très-différent dans les différens bassinets, quoique huilés. Il paroît par la machine que M. Musschenbroek a employé pour ces expériences, & par l’exactitude qu’il y a apportée, qu’on peut mieux compter sur ses résultats, que sur ceux de M. Amontons ; d’autant plus que le frottement dépendant de la nature des surfaces, il seroit bien singulier que l’huile interposée rendît tout égal.

L’eau fait un effet bien différent de l’huile ; un grand nombre de corps glissent moins aisément quand ils sont mouillés, qu’étant secs ; & il y a à cet égard de grandes différences entre les différens corps, le frottement de quelques-uns étant presque double, & celui de quelques autres au contraire diminue. Je ne crois pas que dans un ouvrage tel que celui-ci qui n’est point un traité complet du frottement, je doive entrer dans le détail des expériences faites sur les différentes sortes de matieres ; je remarquerai seulement que comme on a des tables de la densité spécifique des différens corps, il seroit aussi fort à souhaiter qu’on en eût sur leur frottement : mais en même tems que nous le desirons, nous ne pouvons nous empêcher de sentir qu’un tel ouvrage est presque impossible ; du-moins il demanderoit une patience infatigable, & plus d’un observateur. Il faudroit avoir grand soin que hors la différence de la matiere, il n’y en eût aucune dans les corps dont on voudroit comparer le frottement ; il faudroit employer la même huile, & varier ensuite beaucoup les circonstances, en les conservant néanmoins les mêmes pour chaque sorte de matiere. Une grande difficulté qui s’y trouveroit, seroit qu’on observeroit bientôt que dans de certaines circonstances, les mêmes pour le bois & le fer par exemple, le bois éprouve plus de résistance que le fer ; & que dans d’autres, aussi les mêmes pour ces deux corps, le fer en éprouve plus que le bois ; ce qui obligeroit d’entrer dans de prodigieux détails, pour pouvoir tirer de ces tables quelque secours.

II. La grandeur des surfaces frottées avoit paru jusqu’à M. Amontons, devoir entrer pour quelque chose dans l’évaluation du frottement ; il sembloit naturel que deux corps se touchant en plus de points, il y eût aussi plus d’éminences engagées réciproquement dans les cavités des surfaces de l’un & de l’autre, & ainsi plus de difficulté à les faire glisser l’un sur l’autre. M. Amontons en examinant la chose de plus près, a remarqué que ce n’étoit pas seulement au nombre des éminences engagées dans les petites cavités des corps, qu’il falloit avoir attention, mais qu’il falloit aussi considérer le plus ou moins de profondeur où elles pénétroient. Or comme les éminences d’un corps qui en touche un autre par une large surface, doivent entrer moins profondément dans