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les cavités de ce dernier, que lorsque cette surface est étroite, puisqu’alors le poids du corps est employé à faire entrer un plus grand nombre d’éminences, il en conclut qu’il se faisoit ici une compensation, & que la grandeur de la surface n’entroit pour rien dans l’évaluation du frottement. Ce raisonnement auroit converti peu de physiciens, s’il n’eût été accompagné de l’expérience : on auroit accordé à M. Amontons qu’il prouvoit très-bien que, toutes choses d’ailleurs égales, le frottement n’augmentoit pas autant que la surface, mais on lui auroit contesté l’exactitude de cette compensation qu’il supposoit, & que ce raisonnement ne démontroit nullement.

Il eut donc recours à l’expérience, pour se confirmer dans sa conjecture, ou pour l’abandonner ; & il rapporte (mém. de l’acad. 1703 & 4.) qu’il a toûjours marqué que la quantité du frottement étoit absolument indépendante de la grandeur des surfaces : M. Camus (des forces mouvantes), & M. Desaguliers (cours de Physiq. expérim.) confirment la même chose. Malgré toutes ces autorités, la question n’est point encore décidée. M. Musschenbroek (essais de Phys.) nous fait part de quelques expériences qu’il a faites sur le point dont il s’agit, & qui sont entierement opposées aux précédentes. Ayant mis en mouvement sur des planches de sapin deux petites planches aussi de sapin, longues chacune de treize pouces, & larges l’une d’un pouce, & l’autre de deux pouces onze lignes, & chargées toutes les deux d’un même poids, y compris le poids de la planche ; la plus large a toûjours eu plus de frottement. M. l’abbé Nollet (Leçons de Physiq. expérim.) nous apprend aussi qu’il a toûjours trouvé le frottement augmenté avec la surface.

A ces expériences faites avec le plus grand soin, si l’on ajoûte que tous les artistes qui ont besoin pour la perfection de leur ouvrage, de diminuer le frottement, sont dans l’usage constant de diminuer le contact, & s’en trouvent bien : il sera bien difficile de ne pas pancher à croire que la grandeur des surfaces ne soit de quelque influence pour le frottement. Remarquons néanmoins, que si l’on diminuoit les surfaces jusqu’à les rendre tranchantes, le frottement, bien loin d’être diminué, seroit dans plusieurs cas beaucoup augmenté. M. Musschenbroek est même dans l’idée que pour une pression donnée, il y a une certaine grandeur de surface à laquelle répond un minimum de frottement ; de sorte que soit qu’on l’augmente ou qu’on la diminue, la résistance est augmentée. Mais cela auroit besoin d’être déterminé encore plus exactement par l’expérience.

III. Tous les Physiciens conviennent que la pression qui applique l’une à l’autre les surfaces qu’on veut faire glisser, est une des principales considérations qui doit entrer dans l’évaluation du frottement. Non-seulement les expériences qu’ils nous rapportent, mais aussi les observations les plus communes & les plus journalieres, nous font voir que le frottement augmente avec cette force ; & l’on conçoit aisément qu’une plus grande pression fait entrer à une plus grande profondeur les éminences d’une surface dans les petites cavités de l’autre, & augmente ainsi la difficulté qu’il y a à les en dégager. Mais il se présente ici une question sur laquelle il faut avoüer qu’il reste encore de l’incertitude ; c’est de savoir si le frottement augmente proportionnellement à la force qui applique les surfaces l’une à l’autre ; de façon qu’il y ait toûjours un rapport constant entre cette force & la difficulté qui en résulte pour mouvoir le corps ; ou bien, si ce frottement augmente plus ou moins que proportionnellement à cette pression.

Les expériences de M. Amontons l’ont porté à regarder le rapport du frottement à la pression comme

constant : il a crû que le frottement étoit à-peu près le même pour les corps huilés ou graissés, & à peu de chose près le tiers du poids. M. Desaguliers le répete ; & la plûpart des Physiciens partent de cette hypothèse, quand ils veulent faire le calcul de frottement de quelque machine. Cependant, après ce qui a été dit plus haut des expériences de M. Musschenbroek, pour montrer que le frottement des différens métaux huilés ou graissés, est très-différent, on ne sauroit regarder comme assez généralement vrai & exact, que le frottement soit le tiers du poids. Mais il y a plus. Si l’on examine avec soin les tables que MM. de Camus & Musschenbroek nous ont données de leurs expériences sur cette matiere, ou ne trouve pas qu’un même corps différemment chargé ait un frottement proportionnel à cette charge. Malheureusement ces expériences, d’accord en ce point, different en ce que celles du premier font le frottement d’une surface peu chargée, proportionnellement plus grand que celui de celles qui le sont plus : au lieu que suivant celles de M. Musschenbroek, il est souvent proportionnellement plus petit. Par exemple, lorsque l’essieu du tribometre de M. Musschenbroek (voyez Tribometre) se trouvoit dans le bassinet de cuivre rouge, il falloit quatre dragmes pour le mettre en mouvement, la charge étant de trois cents quatre-vingt-huit dragmes ; & il en falloit huit, s’il étoit chargé de six cents quarante-huit ; au lieu qu’il n’en auroit fallu que six & deux tiers, à-peu-près, si le frottement eût augmenté proportionnellement à la pression.

Une telle contradiction entre les expériences de ces deux Physiciens, est d’autant plus singuliere, qu’on n’en sauroit soupçonner aucun de n’y avoir pas apporté toute l’exactitude & l’attention possibles. Je ne vois qu’une façon de les concilier : l’essieu du tribometre de M. Musschenbroek, & les bassinets qui le reçoivent, sont parfaitement polis, & s’appliquent ainsi l’un à l’autre très-intimement, de façon à laisser peu de vuide : cette application est d’autant plus intime, que l’essieu est plus chargé. Par-là l’essieu & le bassinet se trouvent dans le cas de deux plaques de verre bien polies, que la pression de l’air extérieur & l’attraction de contact collent si bien l’une à l’autre, que non seulement il est presque impossible de les séparer directement, mais qu’outre cela elles glissent avec plus de peine que si elles eussent été moins exactement polies.

Il est vrai que l’essieu & le bassinet étant de forme cylindrique & arrondis, ne doivent se toucher que par une bien petite surface ; & que par conséquent, la pression de l’air extérieur & l’attraction qui les appliquent l’un à l’autre, semblent devoir produire ici peu d’effet : mais il est aisé de s’appercevoir qu’un contact d’une ligne quarrée suffiroit seule pour occasionner le phénomene que nous cherchons ici à expliquer.

Quoique la pression qui applique les surfaces de deux corps, soit une des principales causes de la difficulté qu’on éprouve à les faire glisser l’une sur l’autre, il ne faut pourtant pas croire que cette difficulté cessât toûjours entierement, si cette pression devenoit nulle. L’exemple de deux scies suspendues verticalement, de façon que les dents de l’une se logent dans les intervalles que laissent celles de l’autre, peut servir à nous convaincre du contraire. Il est sûr que si l’on vouloit mouvoir une d’elles verticalement, cet engagement réciproque de leurs dents y apporteroit quelque obstacle, & formeroit une résistance de la nature de celle que nous avons nommée frottement : il est vrai que cette résistance ou seroit absolument invincible, ou cesseroit bien-tôt, les dents s’étant dégagées, & n’y ayant aucune force qui les oblige à s’embarrasser de nouveau les unes dans les autres.