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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/416

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der aux funérailles suivant la volonté du défunt, s’il en avoit ordonné, ou celle des parens & des héritiers, avec le plus ou le moins de dépense qu’on y vouloit faire. Ces libitinaires étoient des gens qui vendoient & fournissoient tout ce qui étoit nécessaire pour la cérémonie des convois ; on les appelloit ainsi, parce qu’ils avoient leur magasin au temple de Vénus Libitine. On gardoit dans ce temple les registres qu’on tenoit à Rome de ceux qui y mouroient ; & c’est de ces registres qu’on avoit tiré le nombre des personnes que la peste y enleva pendant une automne, du tems de Néron.

Les libitinaires avoient sous eux des gens qu’on nommoient pollinctores, pollincteurs : c’étoit entre leurs mains qu’on mettoit d’abord le cadavre ; ils le lavoient dans l’eau chaude, & l’embaumoient avec des parfums. Il paroît qu’ils possédoient la maniere d’embaumer les corps à un plus haut degré de perfection, que ne faisoient les Egyptiens, si l’on en croit les relations de quelques découvertes faites à Rome depuis deux cents ans, de tombeaux où l’on a trouvé des corps si bien conservés, qu’on les auroit pris pour des personnes plûtôt dormantes que mortes ; l’odeur qui sortoit de ces tombeaux étoit encore si forte, qu’elle étourdissoit.

Après que le corps étoit ainsi embaumé, on le revêtoit d’un habit blanc ordinaire, c’est-à-dire de la toge. Si cependant c’étoit une personne qui eût passé par les charges de la république, on lui mettoit la robe de la plus haute dignité qu’il eût possédée, & on le gardoit ainsi sept jours, pendant lesquels on préparoit tout ce qui étoit nécessaire pour la pompe des funérailles. On l’exposoit sous le vestibule, ou à l’entrée de sa maison, couché sur un lit de parade, les piés tournés vers la porte, où l’on mettoit un rameau de cyprès pour les riches, & pour les autres seulement des branches de pin, qui marquoient également qu’il y avoit-là un mort. Il restoit toûjours un homme auprès du corps, pour empêcher qu’on ne volât quelque chose de ce qui étoit autour de lui : mais lorsque c’étoit une personne du premier rang, il y avoit de jeunes garçons occupés à en chasser les mouches.

Les sept jours étant expirés, un héraut public annonçoit le convoi, en criant : exequias L. tel L. filii, quibus est commodum ire, tempus est ; ollus (c’est-à-dire ille) ex ædibus effertur ; ceux qui voudront assister aux obseques d’un tel, fils d’un tel, sont avertis qu’il est tems d’y aller présentement, on emporte le corps de la maison. Il n’y avoit néanmoins que les parens ou les amis qui y assistassent, à moins que le défunt n’eût rendu des services considérables à la république ; alors le peuple s’y trouvoit ; & s’il avoit commandé les armées, les soldats s’y rendoient aussi, portant leurs armes renversées le fer en-bas. Les licteurs renversoient pareillement leurs faisceaux.

Le corps étoit porté sur un petit lit qu’on nommoit exaphore, quand il n’y avoit que six porteurs ; & octophore, s’il s’en trouvoit huit. C’étoient ordinairement les parens, qui par honneur en faisoient l’office, ou les fils du défunt s’il en avoit. Pour un empereur, le lit étoit porté par des sénateurs ; pour un général d’armée, par des officiers & des soldats. A l’égard des gens de commune condition, c’étoit dans une espece de bierre découverte qu’ils étoient portés par quatre hommes, de ceux qui gagnoient leur vie à ce métier. On les appelloit vespillones, parce que pendant un très-long-tems on observa de ne faire les convois que vers le soir : mais dans la suite on les fit autant de jour que de nuit. Le défunt paroissoit ayant sur la tête une couronne de fleurs, & le visage découvert, à moins que sa maladie ne l’eût entierement défiguré ; en ce cas on avoit soin de le couvrir.

Après que les maîtres de cérémonie du convoi avoient marqué à chacun son rang, la marche commen-

çoit par un trompette & les joüeurs de flûte qui joüoient d’une maniere lugubre. Ils étoient suivis de plus ou de moins de gens, qui portoient des torches allumées. Proche du lit étoit un archimime qui contrefaisoit toutes les manieres du défunt ; & l’on portoit devant le lit couvert de pourpre, toutes les marques des dignités dont il avoit été revêtu : s’il s’étoit signalé à la guerre, on y faisoit paroître les présens & les couronnes qu’il avoit reçûs pour ses belles actions, les étendarts & les dépouilles qu’il avoit remportés sur les ennemis. On y portoit en particulier son buste représenté en cire, avec ceux de ses ayeux & de ses parens, montés sur des bois de javelines, ou placés dans des chariots ; mais on n’accordoit point cette distinction à ceux qu’on nommoit novi homines, c’est-à-dire gens qui commençoient leur noblesse, & dont les ayeux n’auroient pu lui faire honneur. On observoit aussi de ne point porter les bustes de ceux qui avoient été condamnés pour crime, quoiqu’ils eussent possédé des dignités ; la loi le défendoit. Toutes ces figures se replaçoient ensuite dans le lieu où elles étoient gardées. Au convoi des empereurs, on faisoit encore porter sur des chariots, les images & les symboles des provinces & des villes subjuguées.

Les affranchis du défunt suivoient cette pompe portant le bonnet qui étoit la marque de leur liberté : ensuite marchoient les enfans, les parens, & les amis atrati, c’est-à-dire en deuil, vêtus de noir ; les fils du défunt avoient un voile sur la tête : les filles vétues de blanc, avoient les cheveux épars sans coëffure, & marchant nuds piés ; après ce cortege venoient les pleureuses, præficæ : c’étoient des femmes dont le métier étoit de faire des lamentations sur la mort du défunt ; & en pleurant, elles chantoient ses loüanges sur des airs lugubres, & donnoient le ton à tous les autres.

Lorsque le défunt étoit une personne illustre, on portoit son corps au rostra dans la place romaine, où la pompe s’arrêtoit pendant que quelqu’un de ses enfans ou des plus proches parens faisoit son oraison funebre, & c’est ce qu’on appelloit laudare pro rostris : cela ne se pratiquoit pas seulement pour les hommes qui s’étoient distingués dans les emplois, mais encore pour les dames de condition ; la république avoit permis de les loüer publiquement, depuis que ne s’étant point trouvé assez d’or dans le trésor public, pour acquitter le vœu que Camille avoit fait de donner une coupe d’or à Apollon delphien, après la prise de la ville de Veïes, les dames romaines y avoient volontairement contribué par le sacrifice de leurs bagues & de leurs bijoux.

De la place romaine, on alloit au lieu où l’on devoit enterrer le corps ou le brûler ; on se rendoit donc au champ de Mars, qui étoit le lieu où se laisoit ordinairement cette cérémonie : car on ne brûloit point les corps dans la ville. On avoit eu soin d’avance de dresser un bucher d’if, de pin, de melèze, ou d’autres pieces de bois aisé à s’enflammer, arrangées les unes sur les autres en forme d’autel, sur lequel on posoit le corps vêtu de sa robbe ; on l’arrosoit de liqueurs propres à répandre une bonne odeur ; on lui coupoit un doigt pour l’enterrer, avec une seconde cérémonie ; on lui tournoit le visage vers le ciel ; on lui mettoit dans la bouche une piece d’argent, qui étoit ordinairement une obole, pour payer le droit de passage à Caron.

Tout le bucher étoit environné de cyprès : alors les plus proches parens tournant le dos par derriere & pendant que le feu s’allumoit, ils jettoient dans le bucher les habits, les armes, & quelques autres effets du défunt, quelquefois même de l’or & de l’argent ; mais cela fut défendu par la loi des douze tables. Aux funérailles de Jules-César, les soldats vété-