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port de pré-existence qui est désigné par quand, & qui est le seul lien de ces deux énonciations partielles. On voit que ce rapport de l’énonciation circonstancielle à la proposition principale, peut s’exprimer par le secours des conjonctions périodiques ; mais leur emploi trop fréquent ne peut être que monotone : la monotonie augmente par la ressemblance des tours de la phrase circonstancielle & de la principale. Cette ressemblance d’ailleurs, en multipliant les propositions sous des formes pareilles, partage l’attention de l’esprit & le fatigue : enfin cette circonlocution ne peut qu’énerver le style & le faire languir. L’image de la pensée ne sauroit trop se rapprocher de l’unité indivisible de la pensée même ; & l’esprit voudroit qu’un mot tout-au-plus fût employé à l’expression de l’idée unique d’une circonstance. Mais si une langue n’est pas assez riche pour fournir à tout ce qu’exigeroit une si grande précision, elle doit du-moins y tendre par tous les moyens que son génie peut lui suggérer ; & elle y tend en effet, indépendamment même de toute réflexion préalable : c’est vraissemblement l’origine de l’ablatif latin.

Au lieu d’exprimer la conjonction périodique, & de mettre à un mode fini le verbe de la phrase circonstancielle, on employa le participe, mode essentiellement conjonctif, & propre en conséquence à faire disparoître la conjonction (Voyez Participe). Mais comme il a avec la nature du verbe la nature & la forme du simple adjectif, il ne peut qu’être en concordance de genre, de nombre, & de cas avec son sujet. Le sujet lui-même doit pourtant paroître sous quelque terminaison : au nominatif, on pourra le prendre pour le sujet de la proposition principale ; au génitif, il passera pour le déterminatif de quelque nom ; au datif, à l’accusatif, il donnera lieu à de pareilles méprises. Cependant le sujet de l’énonciation circonstancielle n’a réellement avec les mots de la proposition principale, aucun des rapports grammaticaux indiqués par les cas qui sont communs à la langue latine & à la langue greque. Il ne restoit donc qu’à instituer un cas particulier qui indiquât que le nom qui en seroit revêtu, n’a avec la proposition principale aucune relation grammaticale, quoique sujet d’une énonciation liée par un rapport de tems à cette phrase principale. C’est justement l’ablatif, dont l’étymologie semble s’accorder parfaitement avec cette destination : ablatif, d’ablatum, supin d’auferre, (ôter, enlever) ; ablatif qui sert à ôter, à enlever, comme nominatif, qui sert à nommer, datif, qui sert à donner ; c’est la signification commune à tous les termes scientifiques terminés en françois par if, & en latin par ivus. Cette terminaison pourroit bien avoir quelque liaison avec juvare, (aider, servir à). En effet l’ablatif, avec la destination que nous lui donnons ici, sert à enlever à la proposition principale un nom qu’on pourroit croire lui appartenir, s’il paroissoit sous une autre forme, & qui ne lui appartient pas effectivement, puisqu’il est le sujet d’une phrase circonstancielle qui n’a avec elle qu’un rapport de tems.

Si l’on n’avoit employé ce cas qu’à sa destination primitive, on ne le connoîtroit que sous le nom d’ablatif ; mais l’usage arbitraire de la langue latine l’ayant attaché accidentellement au service de quelques prépositions, quand on l’a trouvé employé à son usage naturel, & conséquemment sans préposition, on l’a appellé absolu, pour indiquer qu’il y est dégagé de tous les liens que la syntaxe peut imposer aux parties intégrantes de la proposition principale. Vouloir donc regarder tout ablatif comme le complément d’une préposition, c’est aller, ce semble, contre l’esprit de son institution & contre le génie de la langue latine ; c’est s’exposer souvent à

des difficultés très-grandes, ou à des commentaires ridicules, parce que l’on court après ce qui n’existe pas ; c’est vouloir enfin accommoder cette langue à son système particulier, au lieu de construire son système d’après les principes usuels de cette langue.

En effet, c’est tellement pour la fin que nous indiquons, que l’ablatif a été d’abord institué, que quoique la phrase circonstancielle ait le même sujet que la principale, on trouve fréquemment dans les auteurs qu’il est mis à l’ablatif dans l’une, & au nominatif dans l’autre, contre la décision commune des méthodistes. C’est ainsi que Cicéron a dit : nobis vigilantibus, erimus profectò liberi.

C’est pour la même fin & dans le même sens que le gérondif en do est quelquefois employé comme ablatif absolu. Ainsi lorsque Virgile a dit (Æn. II.) : quis, talia fando, temperet à lachrymis ; c’est comme s’il avoit dit, quis, se aut alio quovis talia fante, temperet à lachrymis ? ou en employant la conjonction périodique, quis, dùm ipse aut alius quivis talia fatur, temperet à lachrymis ? Pareillement, lorsque Cicéron a dit, nobis vigilantibus, erimus profectò liberi, il auroit pû dire par le gérondif, vigilando, ou par la conjonction, dum vigilabimus. Le choix raisonné entre ces expressions qui paroissent équivalentes, porte vraissemblablement sur des distinctions très-délicates : nous allons risquer nos conjectures. Virgile a dit, quis talia fando, par un tour qui n’assigne aucun sujet déterminé au verbe fari, parce qu’il est indifférent par qui se fasse le récit ; celui qui le fait & ceux qui l’écoutent, doivent également en être touchés jusqu’aux larmes : une traduction fidele doit conserver ce sens vague ; qui pourroit, au récit de tels malheurs, &c. Cicéron au contraire a dit, nobis vigilantibus, en assignant le sujet, parce que ce sont ceux-mêmes qui veulent être libres, qui doivent être vigilans ; & l’orateur a voulu le faire sentir.

III. Le troisieme gérondif qui est terminé en dum, est quelquefois au nominatif & quelquefois à l’accusatif.

1°. Il est employé au nominatif dans ce vers de Lucrece, (lib. I.)

Æternas quoniam pœnas in morte timendum.


dans ce passage de Cicéron, (de Senect.) Tanquam aliquam viam longam conseceris, quam nobis quoque ingrediendum fit : dans cet autre du même auteur, (lib. VII. epist. 7) Discessi ab eo bello, in quo aut in aliquas insidias incidendum, aut deveniendum in victoris manus, aut ad Jubam confugiendum : enfin dans ce texte de Tite-Live, (lib. XXXV.) Boii nocte saltum, quà transeundum erat Romanis, insederunt : & dans celui-ci de Plaute, (Epidic.) aliqua consilia reperiundum est.

2°. Il est employé à l’accusatif dans mille occasions. Conclamatum propè ab universo senatu est, perdomandum feroces animos esse, (Tite-Live, liv. XXXVII.)

Legati responsa ferunt, alia arma Latinis
Quærenda, aut pacem trojano ab rege petendum.

Virgile, Æn. XI.)


Cùm oculis ad cernendum non egeremus, (Cic. de natura deorum). Et inter agendum, occursare capro, cornu ferit ille, caveto ; (Virg. eclog. jx). Namque antè domandum ingentes tollent animos, (id Georg. III)

Nous croyons donc avoir suffisamment démontré que les gérondifs sont des cas de la seconde déclinaison. Nous avons ajoûté que ce sont des cas de l’infinitif, & ce second point n’est pas plus douteux que le premier.

Nous avons remarqué dès le commencement, que les points de vûe énoncés en latin par les gérondifs, le sont en grec & en françois par l’infinitif même, sans changement à la terminaison ; c’est même le