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procédé commun de presque toutes les langues. Cette premiere observation suffiroit peut-être pour établir notre doctrine sur la nature des gérondifs ; mais l’usage même de la langue latine en fournit des preuves sans nombre dans mille exemples, où l’infinitif est employé pour les mêmes fins & dans les mêmes circonstances que les gérondifs. On lit dans Plaute (Menech.), dum datur mihi occasio tempusque abire, pour abeundi ; dans Cicéron, tempus est nolis de illa vita agere, pour agendi ; dans Cesar, consilium cæpit omnem à se equitarum dimittere, pour dimittendi ; & chez tous les meilleurs écrivains on trouve fréquemment l’infinitif pour le premier gérondif. Il n’est pas moins usité pour le troisieme : c’est ainsi que Virgile a écrit (Æn. j.) :

Non nos aut ferro Libycos populare penates
Venimus, aut raptas ad littora vertere prædas,


où l’on voit populare & vertere, pour ad populandum & ad vertendum. De même Horace dit (od. j. 3.) audax omnia perpeti, pour ad perpetiendum ; & (ep. j. 20.), irasci celerem, pour ad irascendum. Il est plus rare de trouver l’infinitif pour le second gérondif ; mais on le trouve cependant, & le voici dans un vers de Virgile (ecl. vij.), où deux infinitifs différens sont mis pour deux gérondifs :

Et cantare pares, & respondere parati ;


ce qui, de l’aveu de tous les Commentateurs, signifie, & in cantando pares, & ad respondendum parati.

Nous concluons donc que les gérondifs ne sont effectivement que les cas de l’infinitif, & qu’ils ont, comme l’infinitif, la nature du verbe & celle du nom. Ils ont la nature du verbe, puisque l’infinitif leur est synonyme, & que, comme tout verbe, ils expriment l’existence d’une modification dans un sujet ; & c’est par conséquent avec raison que, dans le besoin, ils prennent le même régime que le verbe d’où ils derivent. Ils ont aussi la nature du nom, & c’est pour cela que les Latins leur ont donné les terminaisons affectées aux noms, parce qu’ils se construisent dans le discours comme les noms, & qu’ils y font les mêmes fonctions. C’est pour cela aussi que le régime du premier gérondif est souvent le génitif, comme dans ces phrases : aliquod fuit principium generandi animalium (Varr. lib. II. de R. R. 1.) ; fuit exemplorum legendi potestas (Cic.) ; vestri adhortandi causa (Tit. Liv. lib. XXI.) ; generandi animalium, comme generationis animalium ; exemplorum legendi, comme lectionis exemplorum ; vestri adhortandi, comme adhortationis vestri.

Les Grammairiens trouvent de grandes difficultés sur la nature & l’emploi des gérondifs. La plûpart prétendent qu’ils ne sont que le futur du participe passif en correlation avec un mot supprimé par ellipse. Cette ellipse, on la supplée comme on peut ; mais c’est toûjours par un mot qu’on n’a jamais vû exprimé en pareilles circonstances, & qu’on ne peut introduire dans le discours, sans y introduire en même tems l’obscurité & l’absurdité. Les uns sous-entendent l’infinitif actif du même verbe, pour être comme le sujet du gérondif : Sanctius, Scioppius & Vossius sont de cet avis ; &, selon eux, c’est cet infinitif sous-entendu qui régit l’accusatif, quand on le trouve avec le gérondif : ainsi, petendum est pacem à rege, signifie dans leur système, petere pacem à rege est petendum ; petere pacem à rege, c’est le sujet de la proposition, petendum en est l’attribut : tempus petendi pacem, c’est tempus petere pacem petendi ; petere pacem est comme un nom unique au génitif, lequel détermine tempus ; petendi est un adjectif en concordance avec ce génitif.

Les autres sous-entendent le nom negotium, & voici comme ils commentent les mêmes expressions : petendum est pacem à rege, c’est-à-dire, negotium petendum à rege est circà pacem ; tempus petendi pacem, c’est-à-dire, tempus negotii petendi circà pacem.

Nous l’avons déjà dit, on n’a point d’exemples dans les auteurs latins, qui autorisent la prétendue ellipse que l’on trouve ici ; & c’est cependant la loi que l’on doit suivre en pareil cas, de ne jamais supposer de mot sous-entendu dans des phrases où ces mots n’ont jamais été exprimés : cette loi est bien plus pressante encore, si on ne peut y déroger sans donner à la construction pleine un tour obscur & forcé.

C’est sans doute la forme matérielle des gérondifs qui aura occasionné l’erreur & les embarras dont il est ici question : ils paroissent tenir de près à la forme du futur du participe passif, & d’ailleurs on se sert des uns & des autres dans les mêmes occurrences, à quelque changement près dans la syntaxe ; on dit également, tempus est scribendi epistolam, & scribendæ epistolæ ; on dit de même scribendo epistolam, ou in scribendâ epistolâ ; & enfin ad scribendum epistolam, ou ad scribendam epistolam ; scribendum est epistolam, ou scribenda est epistola : ce sont probablement ces expressions qui auront fait croire que les gérondifs ne sont que ce participe employé selon les regles d’une syntaxe particuliere.

Mais en premier lieu, on doit voir que la même syntaxe n’est pas observée dans ces deux manieres d’exprimer la même phrase ; ce qui doit faire au moins soupçonner que les deux mots verbaux n’y sont pas exactement de même nature, & n’expriment pas précisément les mêmes points de vûe. En second lieu ce n’est jamais par le matériel des mots qu’il faut juger du sens que l’usage y a attaché, c’est par l’emploi qu’en ont fait les meilleurs auteurs. Or dans tous les passages que nous avons cités dans le cours de cet article, nous avons vû que les gérondifs tiennent très-souvent lieu de l’infinitif actif. En conséquence nous concluons qu’ils ont le sens actif, & qu’ils doivent y être ramenés dans les phrases où l’on s’est imaginé voir le sens passif. Cette interprétation est toûjours possible, parce que les verbes au gérondif n’étant déterminés en eux-mêmes par aucun sujet, on peut autant les déterminer par le sujet qui produit l’action, que par celui qui en reçoit l’effet : de plus cette interprétation est indispensable pour suivre les erremens indiqués par l’usage ; on trouve les gérondifs remplacés par l’infinitif actif ; on les trouve avec le régime de l’actif, & nulle part on ne les a vûs avec le régime du passif ; cela paroît décider leur véritable état. D’ailleurs les verbes absolus, qu’on nomme communément verbes neutres, ne peuvent jamais avoir le sens passif, & cependant ils ont des gérondifs ; dormiendi, dormiendo, dormiendum. Les gérondifs ne sont donc pas des participes passifs, & n’en sont point formés ; comme eux, ils viennent immédiatement de l’infinitif actif, ou pour mieux dire, ils ne sont que cet infinitif même sous différentes terminaisons relatives à l’ordre de l’énonciation.

Ceux qui suppléent le nom général negotium, en regardant le gérondif comme adjectif ou comme participe, tombent donc dans une erreur avérée ; & ceux qui suppléent l’infinitif même, ajoûtent à cette erreur un véritable pléonasme : ni les uns ni les autres n’expliquent d’une maniere satisfaisante ce qui concerne les gérondifs. Le grammairien philosophe doit constater la nature des mots, par l’analyse raisonnée de leurs usages. (E. R. M.)

GÉRONTE, (Hist. anc.) membre du sénat de Lacédémone. Le sénat de Sparte se nommoit Gerusia, & étoit composé de vingt-huit sénateurs qu’ils