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Ceux qui ont avancé que les Oracles avoient cessé à la venue de J. C. ne l’ont cru que d’après l’Oracle supposé sur l’enfant hébreu ; Oracle regardé comme faux par le P. Baltus lui-même ; aussi prétend-il que les Oracles n’ont pas fini précisément à la venue du Sauveur du monde, mais peu-à-peu, à mesure que J. C. a été connu & adoré. Cette maniere de finir n’a rien de surprenant, elle étoit la suite naturelle de l’établissement d’un nouveau culte. Les faits miraculeux, ou plûtôt qu’on veut donner pour tels, diminuent dans une fausse religion, ou à mesure qu’elle s’établit, parce qu’elle n’en a plus besoin, ou à mesure qu’elle s’affoiblit, parce qu’ils n’obtiennent plus de croyance. La pauvreté des peuples qui n’avoient plus rien à donner, la fourberie découverte dans plusieurs Oracles, & conclue dans les autres, enfin les Edits des Empereurs Chrétiens, voilà les causes véritables de la cessation de ce genre d’imposture : des circonstances favorables l’avoient produit, des circonstances contraires l’ont fait disparoître ; ainsi les Oracles ont été soumis à toute la vicissitude des choses humaines. On se retranche à dire que la naissance de J. C. est la premiere époque de leur cessation ; mais pourquoi certains démons ont-ils fui tandis que les autres restoient ? D’ailleurs l’Histoire ancienne prouve invinciblement que plusieurs Oracles avoient été détruits avant la venue du Sauveur du monde, par des guerres & par d’autres troubles : tous les Oracles brillans de la Grece n’existoient plus ou presque plus, & quelquefois l’Oracle se trouvoit interrompu par le silence d’un honnête prêtre qui ne vouloit pas tromper le peuple. L’Oracle de Delphes, dit Lucain, est demeuré muet depuis que les Princes craignent l’avenir ; ils ont défendu aux Dieux de parler, & les Dieux ont obéi. Enfin tout est plein dans les Auteurs prophanes d’Oracles qui ont subsisté jusqu’aux jv. & v. siecles, & il y en a encore aujourd’hui chez les Idolatres. Cette opiniâtreté incontestable des Oracles à subsister encore après la venue de J. C. suffiroit pour prouver qu’ils n’ont pas été rendus par les démons, comme le remarquent M. de Fontenelle & son Défenseur ; puisqu’il est évident que le Fils de Dieu descendant parmi les hommes, devoit tout-à-coup imposer silence aux Enfers.

Telle est l’analyse de l’Ouvrage de M. du Marsais sur les Oracles. Revenons maintenant à sa personne. Il étoit destiné à être malheureux en tout ; M. de Maisons le pere chez qui il étoit entré, & qui en avoit fait son ami, étoit trop éclairé pour ne pas sentir les obligations qu’il avoit à un pareil Gouverneur, & trop équitable pour ne pas les reconnoître ; mais la mort l’enleva dans le tems où l’éducation de son fils étoit prête à finir, & où il se proposoit d’assûrer à M. du Marsais une retraite honnête, juste fruit de ses travaux & de ses soins. Notre Philosophe, sur les espérances qu’on lui donnoit de suppléer à ce que le pere de son Eleve n’avoit pû faire, resta encore quelque tems dans la maison ; mais le peu de considération qu’on lui marquoit & les dégoûts même qu’il essuya, l’obligerent enfin d’en sortir, & de renoncer à ce qu’il avoit lieu d’attendre d’une famille riche à laquelle il avoit sacrifié les douze plus belles années de sa vie. On lui proposa d’entrer chez le fameux Law, pour être auprès de son fils, qui étoit alors âgé de seize ou dix-sept ans ; & M. du Marsais accepta cette proposition. Quelques amis l’accuserent injustement d’avoir eu dans cette démarche des vues d’intérêt : toute sa conduite prouve assez qu’il n’étoit sur ce point ni fort éclairé, ni fort actif, & il a plusieurs fois assûré qu’il n’eût jamais quitté son premier Eleve, si par le refus des égards les plus ordinaires on ne lui avoit rendu sa situation insupportable.

La fortune qui sembloit l’avoir placé chez M. Law, lui manqua encore ; il avoit des Actions qu’il vouloit convertir en un bien plus solide : on lui conseilla de les garder ; bien-tôt après tout fut anéanti. & M. Law obligé de sortir du Royaume, & d’aller mourir dans l’obscurité à Venise. Tout le fruit que M. du Marsais retira d’avoir demeuré dans cette maison, ce fut, comme il l’a écrit lui-même, de pouvoir rendre des services importans à plusieurs personnes d’un rang très-supérieur au sien, qui depuis n’ont pas paru s’en souvenir ; & de connoître (ce sont encore ses propres termes) la bassesse, la servitude & l’esprit d’adulation des Grands.

Il avoit éprouvé par lui-même combien cette profession si noble & si utile, qui a pour objet l’éducation de la jeunesse, est peu honorée parmi nous, tant nous sommes éclairés sur nos intérêts ; mais la situation de ses affaires, & peut-être l’habitude, lui avoient rendu cette ressource indispensable : il rentra donc encore dans la même carriere, & toûjours avec un égal succès. La justice que nous devons à sa mémoire, nous oblige de repousser à cette occasion une calomnie qui n’a été que trop répandue. On a prétendu que M. du Marsais étant appellé pour présider à l’éducation de trois freres dans une des premieres Maisons du Royaume, avoit demandé dans quelle religion on vouloit qu’il les élevât. Cette question singuliere avoit été faite à M. Law, alors de la Religion anglicane, par un homme d’esprit qui avoit été pendant quelque tems auprès de son fils. M. du Marsais avoit sû le fait, & l’avoit simplement raconté : il étoit absurde de penser qu’en France, dans le sein d’une