Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/731

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

totalement la fluidité, & les rendent d’un usage très-agréable, en conservant plus long-tems leur fraîcheur dans le trajet de la bouche, à l’estomac, & même jusque dans ce viscere.

On employe aussi la glace rendue plus froide qu’elle n’est naturellement, pour congeler des préparations alimentaires faites avec le lait ou le suc de différens fruits, le sucre, &c. en consistence de creme ou de fromage mou, auxquelles on donne par excellence le nom de glace, qui sont propres à être servies pour les entre-mets, pour les desserts, les colations, &c. & qui ajoûtent beaucoup aux délices de la table. Voyez Glace.

Les Medecins dont les connoissances doivent autant servir à régler ce qui convient pour la conservation de la santé ; à indiquer ce qui peut lui nuire, qu’à rechercher les causes des maladies ; à prescrire les moyens propres pour les traiter, pour en procurer la guérison : convaincus par l’expérience la plus générale, autant que par le raisonnement physique concernant l’effet que peuvent produire dans le corps humain les boissons & autres préparations à la glace, qu’elles sont d’un usage aussi dangereux qu’il est délectable, s’accordent presque tous à le proscrire sans ménagement, & à le regarder comme une des causes des plus communes d’une infinité de desordres dans l’économie animale.

En effet, le sang & la plûpart de nos humeurs n’étant dans un état de liquidité que par accident, c’est-à-dire par des causes physiques & méchaniques, qui lui sont absolument étrangeres ; telles que la chaleur animale qui dépend principalement de l’action des vaisseaux qui les contiennent, & l’agitation qu’ils procurent aux humeurs par cette même action, qui tend continuellement à desunir & à conserver dans l’état de desunion les molécules qui composent ces humeurs, & à s’opposer à la disposition qu’elles ont à se coaguler ; & l’effet de l’impression du froid appliqué aux parties vivantes du corps animal, étant de causer une sorte de constriction, de resserrement, dans les solides, & une vraie condensation dans les fluides ; ce qui peut aller jusqu’à diminuer l’action de ceux-là & la fluidité de ceux ci : il s’ensuit que tout ce qui peut donner lieu à un pareil effet doit nuire considérablement à l’exercice des fonctions, soit dans les parties qui en sont affectées immédiatement, soit de proche en proche dans celles qui en sont voisines, par une propagation indépendante de celle du froid ; par une espece de spasme sympathique, que l’impression du froid dans une partie occasionne dans d’autres, même des plus éloignées. D’où peuvent se former des engorgemens dans les vaisseaux de tous les genres qui y troublent le cours des humeurs, mais sur-tout dans ceux qui peuvent être le siége des inflammations : d’où s’ensuivent des étranglemens dans des portions du canal intestinal qui interceptent le cours des matieres flatueuses qui y sont contenues, dont la raréfaction ultérieure cause des distensions très-douloureuses aux tuniques membraneuses qui les enferment ; des gonflemens extraordinaires & autres symptomes qui accompagnent les coliques venteuses : d’où résultent aussi très-fréquemment des embarras dans les secrétions, de celle sur-tout qui se fait dans le foie ; des suppressions d’évacuations habituelles, comme de celle des menstrues, des hémorrhoïdes, des cours de ventre critiques, &c. Voyez Froid (Pathologie), Pleurésie, Fluxion, Colique, Ventosité, &c. en sorte qu’il ne peut qu’y avoir beaucoup à se défier des observations qui paroissent autoriser l’usage des boissons & des préparations alimentaires à la glace : elles seront toujours suspectes, lorsqu’on aura égard aux observations trop communes des mauvais effets que l’on vient de dire qu’elles produisent très-souvent, en donnant naissance à dif-

férentes maladies, la plûpart de nature très-dangereuse, sur-tout lorsqu’on use de glace dans les cas où l’on est échauffé extraordinairement par quelque exercice violent, ou par toute autre cause que ce puisse être d’agitation du corps, méchanique ou physique ; ce qui forme un état où l’on est d’autant plus porté à user des moyens qui peuvent procurer du rafraîchissement, tant intérieurement qu’extérieurement, que l’on s’expose davantage à en éprouver de funestes effets.

C’est contre les abus de cette espece que s’éleve si fortement Hippocrate, lorsqu’il dit, aphoris. lj. sect. 2. que tout ce qui est excessif est ennemi de la nature, & qu’il est très-dangereux dans l’économie animale, de procurer quelque changement subit, de quelque nature qu’il puisse être. Les plus grands medecins ont ensuite appuyé le jugement de leur chef d’une infinité d’observations relatives spécialement à ce dont il s’agit ici ; tels que Marc Donat, de medicis historiis mirabilibus ; Calder. Heredia, tract. de potionum varietate ; Amat. Lusitanus, Benivenius, Hildan, cent iij. observat. 48. & cent. v. observat. 29. Skenchius, observat. lib. II. Hoffman, pathol. génér. c. x. de frigido potu vitæ & sanitati hominum inimicissimo. Il y a même des auteurs qui en traitant des mauvais effets des boissons froides avec excès, comme des bains froids employés imprudemment, rapportent en avoir vû résulter même des morts subites ; tel est, entr’autres, Lancisi, de subitaneis morbis, lib. II. c. vij.

Mais comme l’usage de boire à la glace est devenu si commun, qu’on ne doit pas s’attendre qu’aucune raison d’intérêt pour la santé puisse le combattre avec succès, & soit supérieure à l’attrait du plaisir qu’on s’en promet ; il est important de tâcher au moins de rendre cet usage aussi peu nuisible qu’il est possible. C’est dans cette vûe que nous proposons ici les conseils que donne Riviere à cet effet (instit. med. lib. IV. cap. xxjv. de potu) ; savoir, de ne boire jamais à la glace dans un tems où on est échauffé par quelque agitation du corps que ce soit ; & lorsque l’on use habituellement d’une boisson ainsi préparée, de ne boire qu’après avoir pris une certaine quantité d’alimens, pour que le liquide excessivement froid qui s’y mêle, fasse moins d’impression sur les tuniques de l’estomac ; de ne boire que peu à-la-fois par la même raison, & de boire un peu plus de vin qu’à l’ordinaire, pour que sa qualité échauffante serve de correctif aux effets de la glace, qui sont sur-tout très-pernicieux aux enfans, aux vieillards, & à toutes les personnes d’un tempérament froid, délicat, qui ne peuvent par conséquent convenir, si elles conviennent à quelqu’un dans les climats tempérés, qu’aux personnes robustes accoûtumées aux exercices du corps.

Avec ces précautions, ces ménagemens, & ces attentions, on peut éviter les mauvais effets des boissons rafraîchies par le moyen de la glace : on peut même les rendre utiles, non-seulement dans la santé, pendant les grandes chaleurs, mais encore dans un grand nombre de maladies, sur-tout dans les climats bien chauds. C’est ce qu’établit avec le fondement le plus raisonnable, le célebre Hoffman, qui après avoir montré le danger des effets de la boisson à la glace, dans la dissertation citée ci-devant, en a fait une autre (de aquæ frigidæ potu salutari) pour relever les avantages de l’usage que l’on peut en faire dans les cas convenables & avec modération. Il rapporte, d’après Ramazzini (de tuendâ principum valetudine, cap. v.) des circonstances qui prouvent que cet usage non-seulement n’est pas nuisible, mais qu’il est même nécessaire en Espagne & en Italie pendant les grandes chaleurs ; puisqu’on observe dans ce pays-là, que dans les années où il manque de la