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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/730

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de à un degré voisin de la congelation, il sera facile d’en augmenter la froideur de plusieurs degrés, en y faisant dissoudre un tiers de sel ammoniac. Ce mélange servira à rendre plus froide une seconde masse d’eau déjà refroidie au degré où l’étoit d’abord la premiere qu’on a employée. On fera encore dissoudre du sel ammoniac dans cette nouvelle eau. En continuant ce procédé, & en employant ainsi des masses d’eau successivement refroidies, on aura enfin un mélange de sel & d’eau beaucoup plus froid que la glace ; d’où il suit évidemment que si on plonge dans ce mélange une bouteille d’eau pure moins froide que la glace, cette eau s’y gelera. Nous avons dit qu’il falloit pour cette expérience de l’eau déjà voisine de la congelation. Ainsi ce moyen n’est pas praticable en tout lieu & en toute saison ; il ne laisse pourtant pas de pouvoir devenir utile en bien des occasions. C’est à M. Boerhaave qu’on doit cette découverte. Voyez sa chimie de igne, exp. jv. cor. 4.

Ne pourroit-on pas se procurer de la glace artificielle sans sels & sans glace ? Ce qui est constant, c’est qu’on rafraîchit l’eau en l’exposant à un courant d’air dans un vaisseau construit d’une terre poreuse, ou dans une bouteille enveloppée d’un linge mouille. C’est ce qu’on pratique avec succès en Egypte, à la Chine, au Mogol, & dans d’autres pays. Si l’eau étoit déjà voisine de la congelation, ne pourroit-elle pas se geler par ce moyen ? Cette idée qui est de M. de Mairan, mérite d’être suivie.

Dans toutes les expériences précédentes, l’eau soûmise à l’action de la gelée étoit pure & sans aucun mélange. De l’eau mêlée avec quelque corps étranger, soit solide, soit fluide, présente dans sa congelation d’autres phenomenes.

L’eau salée se gele plus difficilement que l’eau pure ; il faut pour la glacer un froid supérieur au degré de la congelation, & qui excede d’autant plus ce degré, que l’eau est plus chargée de sels. La glace d’eau salée est moins dure que la glace ordinaire ; elle est plus chargée de sel au centre qu’à l’extérieur : ce milieu même trop charge de sel, ou ne se gele point, on ne prend que peu de consistance.

Il en est de même de l’eau qu’on a mêlée avec de l’esprit-de-vin extrèmement rectifié. Ce mélange se gele avec peine, & on voit toûjours au milieu de la masse de glace l’esprit-de-vin sous sa forme liquide. Dans l’un & dans l’autre exemple l’eau se sépare plus ou moins parfaitement des particules de sel ou de celles de l’esprit de vin.

Il seroit difficile de ne pas appercevoir ici un rapport marqué entre la congelation de l’eau mêlée avec quelqu’autre substance, & la congelation des liquides différens de l’eau, tels que le vin, le vinaigre, &c. Ces liquides ne sont eux-mêmes que de l’eau combinée avec des matieres salines ou huileuses. Que l’art ou la nature ayent formé ces mélanges, le même effet doit avoir lieu dans leur congelation & dans la séparation de l’eau d’avec les substances qui lui étoient unies.

L’eau des mares, qui est souvent mêlée avec l’urine des animaux, avec les parties grasses ou salines des matieres tant animales que végétales, qui s’y sont pourries ; cette eau, dis-je, lorsqu’elle se glace, représente des figures très-singulieres, que l’imagination rend encore plus merveilleuses : il n’est pas rare d’y voir des especes de dentelles, de figures d’arbres ou d’animaux, &c. Des auteurs décidés pour le merveilleux vont beaucoup plus loin ; ils assûrent que la lessive des cendres d’une plante venant à se glacer, en représente fidelement l’image. C’est ici la fameuse palingenesie ou régénération des anciens chimistes, chimere trop décriée pour qu’on s’applique sérieusement à en montrer l’absurdité.

L’exposition que nous venons de faire des phé-

nomenes de la glace renferme à-peu près tout ce qu’il y a de plus essentiel dans cette matiere. Rien d’intéressant n’a été omis ; nous pourrions plûtôt craindre le reproche d’avoir donné trop d’étendue à cet article, mais l’importance du sujet sera notre excuse, le détail des faits nous a d’ailleurs bien plus occupés que la recherche des causes ; les vrais philosophes n’auront garde de nous en savoir mauvais gré. On trouvera dans la dissertation de M. de Mairan des conjectures ingénieuses sur les causes de plusieurs phénomenes particuliers que nous avons laissés sans explication. La matiere subtile que cet habile physicien a mise en œuvre, est moins liée qu’on ne pourroit d’abord le penser, au fond de son système, auquel il ne seroit pas difficile de donner, s’il le falloit, un air tout-à-fait newtonien.

La glace doit être considérée par rapport à nos besoins & à l’usage qu’on en fait journellement dans les Sciences & dans les Arts. Combien de boissons rafraîchissantes ne nous procure-t-elle pas, secours que la nature sembloit nous avoir entierement refusés ? La Medecine employe avec succès quelques-unes de ces boissons rafraîchissantes, l’eau à la glace sur-tout, dans plusieurs cas. Le chimiste se sert de la glace pour rectifier les esprits ardens, pour concentrer le vinaigre, pour séparer les différentes substances qui entrent dans la composition des eaux minérales, &c. L’anatomiste, en faisant geler certaines parties du corps humain, a quelquefois découvert des structures cachées, invisibles dans l’état naturel. Nous ne faisons qu’indiquer tous ces différens usages, expliqués avec plus de détail dans plusieurs endroits de ce Dictionnaire. Il suffit d’avoir fait remarquer que la glace, loin d’être pour les Philosophes un objet de pure curiosité, peut beaucoup fournir à cette physique pratique, qui dédaignant les spéculations stériles, ramene tout à nos besoins. M. de Mairan, dissert. sur la glace ; Musschenbroek, tentat. & essais de Physique ; Nollet, leçons de Physique, tome IV. Boerhaave, chim. tract. de aqua ; Hamberger, éle nent. physic. &c. Article de M. de Ratte, auteur du mot Froid, & autres.

Glace, (Medecine.) Il y a différentes observations à faire concernant l’usage & les effets de l’eau sous forme de glace, relativement à l’économie animale, dans la santé & dans les maladies.

On se sert communément de la glace pour communiquer aux différens liquides employés pour la boisson, un plus grand degré de froid qu’ils ne pourroient l’avoir par eux-mêmes, lorsque l’air auquel ils sont exposés est d’une température au-dessus de la congelation. Voyez Thermometre. On leur donne, par le moyen de la glace, une qualité actuelle propre à procurer un sentiment de fraîcheur qui est réputé délicieux, sur-tout dans les grandes chaleurs de l’été. Les moyens de procurer ce froid artificiel sont de plonger les vases qui contiennent les liquides que l’on veut rafraîchir dans de l’eau mêlée de glace pilée ou de neige ou de grêle ; ou dans un mélange de glace avec différens ingrédiens propres à la rendre encore plus froide & plus rafraîchissante qu’elle n’est par elle-même. Voyez dans l’art. Froid (Physique), les différentes manieres de rendre artificiellement le froid des corps liquides beaucoup plus grand qu’il ne peut jamais le devenir naturellement dans nos climats tempérés. Voyez aussi les élémens de Chimie de Boerhaave, de igne, experiment. jv. coroll. 4.

Le froid propre à la glace conservée convenablement, suffit seul pour rafraîchir les liquides destinés à la boisson dans les repas : on ne donne à ce froid plus d’intensité que pour certaines boissons particulieres, telles que les préparations appellées orgeat, limonade, &c. boissons que l’on rafraîchit au point d’y former de petits glaçons, qui n’en détruisent pas