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de ces ornemens si respectables que l’on revêtoit pour jouir de la cruelle adresse des hommes ; de ces ames tendres qui s’évanouissoient aux coups les plus sanglans, & se réveilloient toutes les fois que le couteau se plongeoit dans la gorge d’un malheureux ; enfin de la compassion de ces vierges timides, qui par un signe fatal décidoient des restes de la vie d’un gladiateur :

. . . . . . . Pectusque jacentis
Virgo modesta jubet converso pollice rumpi,
Ne lateat pais ulla animæ vitalibus imis
Altius impresso dum palpitat ense secutor.

Il ne faut pas cependant que ce tableau pittoresque joint aux autres détails historiques qu’on a exposés jusqu’ici, nous inspire trop d’horreur pour les Romains & pour les Vestales ; il y avoit long-tems que les Romains blâmoient leur goût pour les spectacles de l’arene, il y avoit long-tems qu’ils connoissoient les affreux abus qui s’y étoient glissés : l’humanité n’étoit point bannie de leur cœur à d’autres égards. Dans le tems même dont nous parlons, un homme passoit chez eux pour barbare, s’il faisoit marquer d’un fer chaud son esclave qui avoit volé le linge de table ; action pour laquelle les lois de plusieurs pays chrétiens condamnent à mort nos domestiques, qui sont des hommes d’une condition libre. D’où vient donc, me dira-t-on, ce contraste bisarre dans leurs mœurs ? d’où vient ce plaisir extrème qu’ils trouvoient aux spectacles de l’amphithéatre ? Il venoit principalement, ce plaisir, d’une espece de mouvement machinal que la raison réprime mal, & qui fait par-tout courir les hommes après les objets les plus propres à déchirer le cœur. Le peuple dans tous les pays va voir un spectacle des plus affreux, je veux dire le supplice d’un autre homme, sur-tout si cet homme doit subir la rigueur des lois sur un échafaut par d’horribles tourmens, l’émotion qu’on éprouve à un tel spectacle, devient une espece de passion dont les mouvemens remuent l’ame avec violence ; & l’on s’y laisse entrainer, malgré les idées tristes & importunes qui accompagnent & qui suivent ces mouvemens. Repassez, si vous le voulez, avec M. l’abbé du Bos, qui a si bien prouvé cette vérité, l’histoire de toutes les nations les plus policées, vous les verrez toutes se livrer à l’attrait des spectacles barbares, dans le tems que la nature témoigne par un frémissement intérieur, qu’elle se soûleve contre son propre plaisir.

Les Grecs, que sans doute personne ne taxera de penchant à la cruauté, s’accoûtumerent eux-mêmes au spectacle des gladiateurs, quoiqu’ils n’eussent point été familiarisés à ces horreurs dès l’enfance. Sous le regne d’Antiochus-Epiphane roi de Syrie, les Arts & les Sciences faites pour corriger la férocité de l’homme, florissoient depuis long-tems dans tous les pays habités par les Grecs ; quelques usages pratiqués autrefois dans les jeux funebres, & qui pouvoient ressembler aux combats des gladiateurs, y étoient abolis depuis plusieurs siecles. Antiochus qui vouloit par sa magnificence se concilier la bienveillance des nations, fit venir de Rome à grands frais des gladiateurs, pour donner aux Grecs, amoureux de toutes les fêtes, ce spectacle nouveau. D’abord, dit Tite-Live, l’arene ne leur parut qu’un objet d’horreur. Antiochus ne se rebuta point, il fit combattre les champions seulement jusqu’au sang. On regarda ces combats mitigés avec plaisir : bientôt on ne détourna plus les yeux des combats à toute outrance ; ensuite on s’y accoûtuma insensiblement, aux dépens de l’humanité. Il se forma enfin des gladiateurs dans le pays, & ces spectacles devinrent encore des écoles pour les artistes : ce fut-là où Ctésilas étudia son gladiateur mourant,

dans lequel on pouvoit voir ce qui lui restoit encore de vie.

Nous avons pour voisin, ajoûte avec raison M. l’abbé du Bos, un peuple tellement avare des souffrances des hommes, qu’il respecte encore l’humanité dans les plus grands scélérats ; tous les supplices dont il permet l’usage, sont de ceux qui terminent les jours des plus grands criminels, sans leur faire souffrir d’autre peine que la mort. Néanmoins ce peuple si respectueux envers l’humanité, se plaît à voir les bêtes s’entre-déchirer ; il a même rendu capables de se tuer, ceux des animaux à qui la nature a voulu refuser des armes qui pussent faire des blessures mortelles à leurs semblables : il leur fournit avec industrie des armes artificielles qui blessent facilement à mort. Voyez Combat du Coq, (Encycl. supplém.)

Le peuple dont on parle, regarde toûjours avec tant de plaisir des hommes payés pour se battre jusqu’à se faire des blessures dont le sang coule, qu’on peut croire qu’il auroit de véritables gladiateurs à la romaine, si la religion chrétienne qu’il professe, ne défendoit absolument de verser le sang des hommes, hors le cas d’une absolue nécessité.

On peut assûrer la même chose d’autres peuples polis, éclairés, & qui font profession de la même religion ennemie du sang humain. Nous avons dans nos annales une preuve bien forte, pour montrer qu’il est dans les spectacles cruels une espece d’attrait. Les combats en champ-clos, entre deux ou plusieurs champions, ont été long-tems en usage parmi nous, & les personnes les plus considérables de la nation y tiroient l’épée, par un motif plus sérieux que de divertir l’assemblée ; c’étoit pour s’entre-tuer : on accouroit cependant à ces combats, comme à des fêtes.

Après tout, je ne dissimulerai point que les Romains n’ayent été le peuple du monde qui a fait des jeux barbares son plus cher divertissement, & tout ce que j’ai dit là-dessus ne le démontre que trop. Cicéron a eu tort, ce me semble, de ne condamner que les abus qui s’y étoient glissés, & d’approuver le spectacle de l’arene, lorsque les seuls criminels y combattoient en présence du peuple. Pour moi, je crains fort que ces jeux meurtriers n’ayent entretenu les Romains dans une certaine humeur sanguinaire que Rome dévoila dès son origine, & dont elle se fit une habitude par les guerres continuelles qu’elle soûtint pendant plus de cinq cents ans.

Concluons qu’il faut proscrire, non-seulement par religion, mais par esprit philosophique, mais par amour de l’humanité, tout jeu ? tout spectacle qui pourroit insensiblement familiariser les hommes avec des principes opposés à la compassion.

Ceux de la morale des Athéniens ne leur permirent point d’avoir d’autres sentimens que des sentimens d’aversion pour le jeu des gladiateurs : jamais ils ne voulurent les admettre dans leur ville, malgré l’exemple des autres peuples de la Grece ; & quelqu’un s’étant un jour avisé de proposer publiquement ces jeux, afin, dit-il, qu’Athenes ne le cede pas à Corinthe : « Renversez donc auparavant, s’écria un athénien avec vivacité, renversez l’autel que nos peres, il y a plus de mille ans, ont érigé à la Miséricorde ». (D. J.)

Gladiateurs, (Guerre des) bellum gladiatorum, (Hist. rom.) guerre domestique & dangereuse que Spartacus excita en Italie l’an 680 de la fondation de Rome.

Ce gladiateur homme de courage & d’une bravoure à toute épreuve, s’échappa de Capoue où il étoit gardé avec soixante & dix de ses camarades ; il les exhorta de sacrifier leur vie plûtôt pour la défense de la liberté, que pour servir de spectacle à