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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/852

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lonté de se mouvoir ne trouve aucun obstacle, & que les mouvemens doux & lians se fassent successivement dans l’ordre le plus précis : c’est alors que l’idée que nous exprimons par le mot grace sera excitée. Et qu’on n’avance pas comme une objection raisonnable, qu’une figure sans être telle que je viens de la décrire, peut avoir une certaine grace particuliere ; qu’on ne dise pas qu’il y a des défauts auxquels certaines graces sont attachées. Il seroit impossible, à ce que je crois, de prouver que cela doit être ainsi ; & lorsqu’on essayeroit d’établir l’opinion que j’attaque, on démêleroit sans doute dans l’examen des faits, des circonstances étrangeres, des goûts particuliers, des usages établis, des habitudes qui tiennent aux mœurs, enfin des préjugés sur lesquels on fonde le sentiment que j’attaque. Rien ne me paroît devoir contribuer davantage à la corruption des Arts & des Lettres, que d’établir qu’il y a des moyens de plaire & de réussir, indépendans des grands principes que la raison & la nature ont établis. On a peut-être aussi grand tort de séparer, comme on le fait aujourd’hui, l’idée de la beauté de celle des graces, que de trop distinguer dans les Lettres un bon ouvrage d’avec un ouvrage de goût. Un peintre en peignant une figure de femme, croit lui avoir donné la grace qui lui convient, en la rendant plus longue d’une tête qu’elle ne doit l’être, c’est-à-dire en donnant neuf fois la longueur de la tête à sa figure, au lieu de huit. Seroit-il possible qu’on arrivât par un secret si facile, à cet effet si puissant, à cette grace qu’on rencontre si rarement ? non sans doute. Mais il est plus aisé de prendre ce moyen, que d’observer parfaitement la construction intérieure des membres, la juste position & le jeu des muscles, le mouvement des jointures, & le balancement des corps. Il arrive quelquefois cependant que l’artiste dont j’ai parlé, fait une illusion passagere : mais il ne doit ce succès qu’à un examen aussi peu reflechi & aussi aveugle que son travail. C’est ainsi qu’un ouvrage dont le plan n’est pas rempli, ou qui en manque, dans lequel la raison est souvent blessée, où la langue n’est pas respectée, usurpe quelquefois le nom d’ouvrage de goût. Je laisse à juger s’il peut y avoir un goût véritable qui n’exige pas la plus juste combinaison de l’esprit & de la raison : peut-il aussi y avoir de véritable grace qui n’ait pour principe la perfection des corps relative aux usages auxquels ils sont destinés ? Article de M. Watelet.

GRACIABLE, adj. (Jurisprud.) se dit d’un cas ou délit pour lequel on peut obtenir des lettres de grace. Voyez Grace. (A)

GRACIEUX, adj. (Gramm.) est un terme qui manquoit à notre langue, & qu’on doit à Ménage. Bouhours en avoüant que Ménage en est l’auteur, prétend qu’il en a fait aussi l’emploi le plus juste, en disant : pour moi de qui les vers n’ont rien de gracieux. Le mot de Ménage n’en a pas moins réussi. Il veut dire plus qu’agréable ; il indique l’envie de plaire : des manieres gracieuses, un air gracieux. Boileau, dans son ode sur Namur, semble l’avoir employé d’une façon impropre, pour signifier moins fier, abaissé, modeste :

Et desormais gracieux
Allez à Liége, à Bruxelles
Porter les humbles nouvelles
De Namur pris à vos yeux.

La plûpart des peuples du nord disent, notre gracieux souverain ; apparemment qu’ils entendent bienfaisant. De gracieux on a fait disgracieux, comme de grace on a formé disgrace ; des paroles disgracieuses, une avanture disgracieuse. On dit disgracié, & on ne dit pas gracié. On commence à se servir du

mot gracieuser, qui signifie recevoir, parler obligeamment ; mais ce mot n’est pas encore employé par les bons écrivains dans le style noble. Article de M. de Voltaire.

Gracieux, (Jurisprud.) ce terme s’applique en matiere bénéficiale à une forme particuliere de provisions qu’on appelle en forme gracieuse, in formâ gratiosâ. Voyez ci-devant Forme en matiere bénéficiale. (A)

GRACIEUSE, (la) Géog. île de l’Océan atlantique, l’une des Açores, ainsi nommée à cause de la beauté de sa campagne, & de l’abondance de ses fruits. Elle est à 7 lieues N. O. de Tercere. Long. 330. 30. latit. 39. 20. (D. J.)

GRADATION, s. f. (Gramm.) il se dit en général d’une disposition où les choses sont considérées, comme s’élevant les unes au-dessus des autres. Ce corps s’est formé par une gradation insensible.

Gradation, en termes de Logique, signifie une argumentation qui consiste en plusieurs propositions arrangées, de façon que l’attribut de la premiere soit le sujet de la seconde, & que l’attribut de la seconde soit le sujet de la troisieme, & ainsi des autres, jusqu’à ce que le dernier attribut vienne à être affirmé du sujet de la premiere, comme dans l’arbre de porphyre. L’homme est un animal : un animal est une chose vivante : une chose vivante est un corps, un corps est une substance, donc l’homme est une substance.

Un argument de cette espece est susceptible d’une infinité d’erreurs qui peuvent naître de l’ambiguité des termes, dont un sophiste abuse ; comme dans celui-ci : Pierre est un homme, un homme est un animal, un animal est un genre, un genre est un des universaux, donc Pierre est un des universaux. Chambers.

Gradation, (Poésie.) tableau gradué d’images & de sentimens, qui enchérissent les uns sur les autres ; c’est ainsi que l’on doit présenter les passions, en peignant avec art leurs commencemens, leurs progrès, leur force, & leur étendue ; je n’en citerai pour exemple que le fragment de Sapho sur l’amour ; il est si beau que trois grands poëtes, Catulle, Despréaux, & l’auteur anglois de l’hymne à Vénus, se sont disputé la gloire de le rendre de leur mieux, chacun dans leur langue. Me permettra-t-on d’insérer ici les trois traductions en faveur de leur élégance, & pour la satisfaction d’un grand nombre de lecteurs qui seront bien-aises de les comparer & de les juger ?

Ecoutons d’abord Catulle, il dit à Lesbie sa maîtresse :

Ille mi par esse Deo videtur,
Ille, si fas est superare divos,
Qui sedens adversûs identidem te

Spectat, & audit
Dulce ridentem ; misero quod omnes
Eripit sensus mihi ! nam simul te
Lesbia aspexi, nihil est super me

Quod loquar amens ;
Lingua sed torpet, tenuis sub artus
Flamma dimanat, sonitu suopte
Tinniunt aures, geminâ teguntur

Lumina nocte.

Voici maintenant la traduction de Despréaux.

Heureux qui près de toi, pour toi seule soupire,
Qui joüit du plaisir de t’entendre parler,
Qui te voit quelquefois doucement lui sourire,
Les Dieux dans leur bonheur peuvent-ils l’égaler ?

Je sens de veine en veine une subtile flamme,
Courir par tout mon corps sitôt que je te vois ;
Et dans les doux transports où s’égare mon ame,
Je ne saurois trouver de langue, ni de voix.