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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 7.djvu/927

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ment que l’on est le maître de leur rendre la pointe plus ou moins épaisse, suivant l’usage qu’on en veut faire. On appelle du nom de pointe en général, toutes ces sortes d’outils ; mais le nom d’échopes distingue celles des pointes dont on applatit un des côtés ; ensorte que l’extrémité n’est pas parfaitement ronde, mais qu’il s’y trouve une espece de biseau, comme on peut le voir dans la Planche de la gravure sur cuivre, lettre B.

Avant que de parler de la maniere de se servir des pointes & des échopes, je vais prescrire quelques observations nécessaires pour conserver le vernis.

C’est sur-tout le vernis mou que ce soin doit regarder ; le vernis dur est à l’abri des petits accidens qu’il faut éviter ; il ne se raye pas aisément : il suffit d’envelopper la planche qui en est couverte, d’un papier, d’un linge, ou d’un morceau de peau, lorsque l’on ne travaille pas. Pour le vernis mou, le moindre frottement d’un corps tant-soit-peu dur l’enleve ; & l’on doit ou tenir la planche sur laquelle on s’en sert, enfermée dans un tiroir lorsqu’on ne grave pas ; ou bien enveloppée dans un linge fin, ou dans une peau fine. Il faut même, lorsqu’en gravant on appuie la main sur le vernis, le faire avec précaution ; au reste il y a des moyens de réparer les petits accidens qui peuvent y être arrivés, que je dirai avant que d’expliquer la maniere d’appliquer l’eau-forte : venons à la maniere de travailler avec les pointes sur le vernis.

Il est nécessaire premierement que l’artiste choisisse une place convenable pour y placer la table sur laquelle il doit graver. Cette place est l’embrasure d’une croisée qui ait un beau jour, & qui, s’il se peut, ne soit pas exposée au plein midi ; car le trop de jour pourroit être aussi nuisible à la vûe du graveur que l’obscurité. Pour modérer ce jour, il suspendra entre la fenêtre & lui un chassis garni de papier huilé ou vernis, comme il est marqué dans la fig. 3. de la Planche de la Gravure sur cuivre. Il se servira aussi pour plus de commodité d’un pupitre, dans lequel il enfermera la planche, pour la mettre à l’abri de tout accident, lorsqu’il n’y travaillera pas. Il y a eu des graveurs qui se sont servis d’un chevalet de peintre, & qui à l’aide de l’appuie main, ont exécuté leurs ouvrages de la même façon qu’on peint un tableau ; cette pratique est, je crois infiniment moins préjudiciable à la santé, que l’attitude courbée qu’on a ordinairement en gravant ; mais il est difficile de s’y faire & d’y accoûtumer la main : c’est à l’artiste à éprouver & à choisir ; & je crois nécessaire de recommander aux Artistes d’essayer toûjours avec soin & réflexion tout ce qui a été pratiqué avant eux ; c’est le moyen d’étendre un art & de rencontrer soi-même des découvertes neuves ; d’ailleurs telle pratique convient au caractere, au tempérament, au génie, & au goût d’un artiste ; qui en peut tirer un parti que nul n’a pu en tirer avant lui.

Venons à l’opération de graver : j’ai fait sentir au mot Estampe, que graver est en quelque façon dessiner & peindre ; ainsi plus le graveur sera instruit des principes théoriques de la Peinture & de la pratique de cet art, plus il lui sera facile d’en faire une juste application. Il faut au moins indispensablement que le graveur sache bien dessiner, & qu’il s’entretienne toûjours dans l’habitude du dessein au crayon d’après la bosse & d’après la nature. Ces conditions supposées, le graveur ayant calqué comme je l’ai dit sur sa planche le dessein qu’il veut exécuter, il se servira de ses pointes, pour en rendre l’effet par des hachures plus ou moins fortes, c’est-à-dire plus fines & plus grosses. Les regles de la perspective aérienne & la réflexion qu’il fera sur l’effet que produisent les corps en raison de leur éloignement, le

conduiront aisément à se servir des pointes les plus fines dans les plans éloignés, & des pointes les plus fortes pour les premiers plans. Il s’agira donc d’ombrer par le moyen des hachures qu’il formera sur sa planche, en enlevant le vernis avec ses pointes, les objets que lui présente son dessein. Je remarquerai pour ceux qui n’ont jamais gravé, qu’il y a pour s’y habituer une petite difficulté à surmonter : elle consiste en ce que lorsqu’on dessine sur le papier blanc, les hachures qu’on forme se trouvent opposées à la blancheur du fond par une couleur brune, foncée, ou noire ; au lieu que les hachures que produisent les pointes en découvrant le vernis qui est très-noir, sont claires & brillantes : ensorte que cette opposition est absolument différente de celle que produit le dessein. Au reste, on s’accoûtume aisément à cette difference ; & l’on se fait à imaginer que ce qui est le plus clair & le plus brillant sur la planche vernie, deviendra le plus noir sur l’estampe. Revenons à quelques-uns des principes de cet art : j’ai dit que l’on y parvenoit à une juste dégradation par la différente grosseur des pointes qu’on employe. Mais l’on sent aisément que le travail doit concourir à produire les effets nécessaires à l’accord & à l’harmonie. Ce travail, c’est-à-dire le sens dans lequel on trace les hachures, doit être déterminé par l’étude de la nature comme dans le dessein ; & assez ordinairement si le dessein est bon, les hachures du crayon vous indiqueront celles des pointes. Ainsi le sens des muscles & le tissu de la peau pour les figures, seront les points dont vous partirez pour regler votre travail : & voilà pourquoi il est essentiel qu’un graveur ait une grande habitude de dessiner. Sans cela la liberté que se donnent quelquefois les Artistes en dessinant, pourroit l’égarer. Cette réflexion me conduit naturellement à dire en passant un mot sur ce qui peut contribuer à la corruption de cet art.

On ne connoissoit dans les premiers tems où on l’a exercé que la Gravure au burin, dont je donnerai le détail. La longueur du travail du burin, & l’avantage de la découverte & de la promptitude d’un nouveau moyen, contribuerent à rendre la façon de graver à l’eau-forte plus générale & plus commune ; cependant on commença par soûmettre cette nouvelle pratique à une imitation servile des effets du burin : c’étoit les premiers pas d’un art timide qui n’osoit s’écarter de celui à qui il devoit la naissance ; mais cette subordination dura peu : la gravure à l’eau-forte prit l’essor & se chargea de faire les trois quarts des ouvrages qu’elle entreprenoit, laissant au burin le soin de leur donner un peu plus de propreté, d’accord, & de perfection. Elle ne se borna pas-là ; elle hasarda d’exécuter d’une façon libre des ouvrages entiers ; elle se débarrassa du joug que lui avoit imposé le burin ; les regles qu’on avoit établies n’y furent plus des lois auxquelles on ne pouvoit se dispenser de se soûmettre ; d’habiles artistes en promenant au hasard la pointe sur le vernis, formerent des croquis pleins d’esprit & de feu, mais fort incorrects & d’un travail fort peu agréable. Un nombre infini de graveurs de tous états s’éleverent, & crurent qu’il suffisoit de calquer un dessein ou un tableau sur le cuivre, d’en former un trait peu correct, de le couvrir de hachures arbitraires, & de laisser à l’eau-forte le soin d’achever ces ouvrages imparfaits, dont nous sommes inondés aujourd’hui. Mais si l’art de la Gravure a perdu, & perd ainsi tous les jours du mérite savant qu’elle a eu dans les tems où on l’exerçoit avec plus de reserve, de soins, & de réflexions ; cette espece d’abus qu’on en fait a son utilité pour la communication générale des Arts & des connoissances. Il n’est point d’ouvrage sur ces matieres, où les idées un peu compliquées ne soient éclaircies par des figures gravées, qui font