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gands : Sparte avec sa pauvreté exerçoit un pareil empire sur la Grece ; sa justice, sa modération & son courage y étoient si considérés, que sans avoir besoin d’armer ses citoyens ni de les mettre en campagne, elle calmoit par le ministere d’un seul homme, toutes les séditions domestiques, terminoit les querelles élevées entre les villes, & contraignoit les tyrans à abandonner l’autorité qu’ils avoient usurpée ».

Cette espece de médiation toûjours favorable à l’ordre, valut à Lacédémone une supériorité d’autant plus marquée, que les autres républiques étoient continuellement obligées de recourir à sa protection ; se ressentant tour-à-tour de ses bienfaits, aucune d’elles ne refusa de se conduire par ses conseils. Il est beau pour l’humanité de voir un peuple qui ne doit sa grandeur qu’à son amour pour la justice. On obéissoit aux Spartiates parce qu’on honoroit leur vertu : ainsi Sparte devint insensiblement comme la capitale de la Grece, & joüit sans contestation du commandement de ses armées réunies.

Athenes après Sparte tenoit dans la confédération le premier rang ; elle se distinguoit par son courage, ses richesses, son industrie, & sur-tout par son élégance de mœurs & un agrément particulier que les Grecs ne pouvoient s’empêcher de goûter, quoiqu’ils fussent alors assez sages pour lui préférer des qualités plus essentielles. Les Athéniens naturellement vifs, pleins d’esprit & de talens, se croyoient destinés à gouverner le monde. Chaque citoyen regardoit comme des domaines de l’état tous les pays où il croissoit des vignes, des oliviers & du froment.

Cette république n’avoit jamais joüi de quelque tranquillité au-dedans, sans montrer de l’inquiétude au-dehors. Ardente à s’agiter, le repos la fatiguoit ; & son ambition auroit dérangé promptement le système politique des Grecs, si le frein de son gouvernement n’eût tempéré ses agitations. Polybe compare Athenes à un vaisseau que personne ne commande, ou dans lequel tout le monde est le maître de la manœuvre ; cependant cette comparaison n’a pas toûjours été vraie. Les Athéniens, par exemple, surent bien s’accorder pour le choix de leurs généraux, quand il fut question de combattre Darius.

Ce puissant monarque ayant entrepris de subjuguer la Grece, en remit le soin à Mardonius son gendre. Celui-ci débarqua dans l’Eubée, prit Erétrie, passa dans l’Attique, & rangea ses troupes dans la plaine de Marathon, mais dix mille Grecs d’une bravoure à toute épreuve, sous les ordres de Miltiade, mirent l’armée des Perses en déroute, l’an du monde 3494, & remporterent une victoire des plus signalées. Darius termina sa carriere au moment qu’il se proposoit de tirer vengeance de sa défaite ; Xercès toutefois, loin d’abandonner les vûes de son prédécesseur, les seconda de tout son pouvoir, & rassembla pour y réussir toutes les forces de l’Asie.

Les Grecs de leur côté résolurent unanimement de vaincre ou de mourir ; leur amour passionné pour la liberté, leur haine envenimée contre la monarchie, tout les portoit à préférer la mort à la domination des Perses.

Nous ne connoissons plus aujourd’hui ce que c’est que de subjuguer une nation libre : Xercès en éprouva l’impossibilité ; car il faut convenir que les Perses n’étoient point encore tombés dans cet état de mollesse & de corruption, où Alexandre les trouva depuis. Cette nation avoit encore des corps de troupes d’autant plus formidables, que le courage y servoit de degrés pour parvenir aux honneurs ; cependant sans parler des prodiges de valeur de Léonidas au pas des Thermopyles, où il périt avec ses trois cents Lacédémoniens, la supériorité de Thémistocle sur Xercès, & de Pausanias sur Mardonius, empêcha

les Grecs de succomber sous l’effort des armes du plus puissant roi de l’Asie. Les journées de Salamine & de Platée furent décisives en leur faveur ; & pour comble de gloire, Léotichides roi de Sparte & Xantippe athénien triompherent à Mycale du reste de l’armée des Perses. Ce fut le soir même de la journée de Platée, l’an du monde 3505, que les deux généraux grecs, avant de donner la bataille de Mycale, dirent à leurs soldats qu’ils marchoient à la victoire, & que Mardonius venoit d’être défait dans la Grece ; la nouvelle se trouva véritable, ou par un effet prodigieux de la renommée, dit M. Bossuet, ou par une heureuse rencontre ; & toute l’Asie mineure se vit en liberté.

Ce second âge est remarquable par l’extinction de la plûpart des royaumes qui divisoient la Grece ; c’est aussi durant cet âge, que parurent ses plus grands capitaines, & que se formerent ses principaux accroissemens, au moyen du grand nombre de colonies qu’elle envoya, tant dans l’Asie mineure que dans l’Europe ; enfin c’est dans cet âge que vêcurent les sept hommes illustres auxquels on donna le nom de Sages. Quelques-uns d’eux n’étoient pas seulement des philosophes spéculatifs, ils étoient encore des hommes d’état. Voyez l’article Philosophie des Grecs.

Troisieme âge de la Grece. Plus les Grecs avoient connu le prix de leur union pendant la guerre qu’ils soûtinrent contre Xercès, plus ils devoient en resserrer les nœuds après leurs victoires ; malheureusement les nouvelles passions que le succès de Sparte & d’Athenes leur inspira, & les nouveaux intérêts qui se formerent entre leurs alliés, aigrirent vivement ces deux républiques l’une contre l’autre, exciterent entr’elles une funeste jalousie ; & leurs querelles en devenant le principe de leur ruine, vengerent, pour ainsi dire, la Perse de ses tristes défaites.

Les Athéniens, fiers des journées de Salamine & de Platée, dont ils se donnoient le principal honneur, voulurent non-seulement aller de pair avec Lacédémone, mais même affecterent le premier rang, trancherent, & déciderent sur tout ce qui concernoit le bien général, s’arrogeant la prérogative de punir & de récompenser, ou plûtôt agirent en arbitres de la Grece. Remplis de projets de gloire qui augmentoient leur présomption, au lieu d’augmenter leur crédit, plus attentifs à étendre leur empire maritime qu’à en joüir ; enorgueillis des avantages de leurs mines, de la multitude de leurs esclaves, du nombre de leurs matelots ; & plus que tout cela, se glorifiant des belles institutions de Solon, ils négligerent de les pratiquer. Sparte leur eût généreusement cédé l’empire de la mer ; mais Athenes prétendoit commander par-tout, & croyoit que pour avoir particulierement contribué à délivrer la Grece de l’oppression des Barbares, elle avoit acquis le droit de l’opprimer à son tour. Voilà comme elle se gouverna depuis la bataille de Platée, & pendant plus de cinquante ans.

Durant cet espace de tems, Sparte ne se donna que de foibles mouvemens pour réprimer sa rivale ; mais à la fin pressée par les plaintes réitérées de toutes parts contre les vexations d’Athenes, elle prit les armes pour obtenir justice ; & Athenes rassembla toutes ses forces pour ne la jamais rendre. C’est ici que commence la fameuse guerre du Péloponnese, qui apporta tant de changemens dans les intérêts, la politique, & les mœurs de la Grece, épuisa les deux républiques rivales, & les força de signer un traité de paix qui remit les villes greques asiatiques dans une entiere indépendance. Thucydide & Xénophon ont immortalisé le souvenir de cette guerre si longue & si cruelle, par l’histoire qu’ils en ont écrite.