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coupe d’amitié ; & meslant ensemble les vies, les mœurs, les mariages & façons de vivre, il commanda à tous hommes vivans d’estimer la terre habitable être leur pays & son camp en être le château & donjon, tous les gens de bien parens les uns des autres, & les méchans seuls étrangers. Au demeurant, que le grec & le barbare ne seroient point distingués par le manteau ni à la façon de la targue ou du cimeterre, ou par le haut chapeau, ains remarqués & discernés le grec à la vertu & le barbare au vice, en réputant tous les vertueux grecs & tous les vicieux barbares ; en estimant au demeurant les habillemens communs, les tables communes, les mariages, les façons de vivre, étant tous unis par mélange de sang & communion d’enfans ».

Telle fut la politique d’Alexandre, par laquelle il ne se montra pas moins grand homme d’état qu’il ne s’étoit montré grand capitaine par ses conquêtes. Pour accréditer cette politique parmi les peuples, il appella à sa suite les philosophes les plus célebres de Grece ; il les répandit chez les nations à mesure qu’il les subjuguoit. Ceux-ci plierent la religion des vainqueurs à celle des vaincus, & les disposerent à recevoir leurs sentimens en leur dévoilant ce qu’ils avoient de commun avec leurs propres opinions. Alexandre lui même ne dédaigna pas de conférer avec les hommes qui avoient quelque réputation de sagesse chez les barbares, & il rendit par ce moyen la marche de la Philosophie presque aussi rapide que celle de ses armes.

Grecs, (Hist. anc. & Littérature.) On ne cessera d’admirer les talens & le génie de cette nation, tant que le goût des Arts & des Sciences subsistera dans le monde.

Parcourons l’histoire générale de ce peuple célebre qu’il n’est pas permis d’ignorer ; elle offre de grandes scenes à l’imagination, de grands sujets de réflexion à la Politique & à la Philosophie. De toutes les histoires du monde, c’est celle qui est la plus liée à l’esprit humain, & par conséquent la plus instructive & la plus intéressante : mais pour éviter la confusion, nous diviserons cette histoire en cinq âges différens, & nous considérerons les Grecs 1°. depuis leur commencement jusqu’à la prise de Troie : 2°. depuis la prise de Troie jusqu’aux victoires de Mycale & de Platée : 3°. depuis cette époque jusqu’à la mort d’Alexandre : 4°. depuis la mort de ce prince jusqu’à la conquête que les Romains firent de la Grece ; 5°. depuis cette époque jusqu’au regne d’Auguste.

Premier âge de la Grece. L’histoire des Grecs ne peut remonter qu’à l’arrivée des colonies, & conséquemment tout ce qu’ils ont débité sur les tems antérieurs est imaginé après coup. Mais dans quel tems du monde ces colonies se sont-elles établies dans la Grece ? M. Freret, dans un ouvrage très-curieux sur cette matiere, a entrepris de déterminer cette époque : par une suite de calculs, il fixe celle d’Inachus, la plus ancienne de toutes, à l’an 1970 ; celle de Cécrops à l’an 1657 ; celle de Cadmus à l’an 1594, & celle de Danaüs à l’an 1586 avant Jesus-Christ.

Il semble que le nom de Pélasges, regardé par quelques anciens & par les modernes comme celui d’un peuple d’Arcadie qu’ils font successivement errer dans les îles de la mer Egée, sur les côtes de l’Asie mineure, & sur celles de l’Italie, pourroit bien être le nom général des premiers Grecs avant la fondation des cités ; nom que les habitans de chaque contrée quitterent à mesure qu’ils se policerent, & qui disparut enfin quand ils furent civilises.

Suivant ce système, les anciens habitans de la Lydie, de la Carie, & de la Mysie, les Phrygiens, les Pisidiens, les Arméniens, en un mot presque tous

les peuples de l’Asie mineure, formoient dans l’origine une même nation avec les Pelasges ou Grecs européens : ce qui fortifieroit cette conjecture, c’est que la langue de toutes ces nations asiatiques, la même malgré les différences qui caractérisoient les dialectes, avoit beaucoup de rapport pour le fond avec celle des Grecs d’Europe, comme le montrent les noms grecs donnés dans l’Iliade aux Troyens & à leurs alliés, & les entretiens que les chefs ont sans interpretes : peut-être aussi que la nation greque n’eut point de nom qui la désignât collectivement.

Il y eut entr’autres divisions, deux partis célebres qui agiterent long-tems la Grece, je veux dire les Héraclides descendans d’Hercule fils d’Amphytrion, & les Pélopides descendans d’Atrée & de Thieste fils de Pélops, qui donna son nom au Péloponnese : la haine horrible de ces deux freres a cent fois retenti sur le théatre. Atrée fut pere d’Agamemnon & de Ménélas : ce dernier n’est que trop connu pour avoir épousé la fille de Tyndare roi de Lacédémone, la sœur de Clytemnestre, de Castor, & de Pollux, en un mot la belle Hélene. Peu de tems après son mariage, elle se fit enlever par Paris, fils de Priam roi de la Troade : tous les Grecs entrant dans le ressentiment d’un mari si cruellement outragé, formerent en commun l’entreprise à jamais mémorable de la longue guerre, du siége, & de la destruction de Troie. Les poésies d’Homere & de Virgile ont immortalisé cet évenement, les femmes & les enfans en savent par cœur les plus petits détails. Ici finit le premier âge de la Grece.

On appelle cet âge le tems héroïque, parce que l’on y doit rapporter les travaux d’Hercule, de Thésée, de Pyrithoüs, les voyages des Argonautes, l’expédition des sept capitaines devant Thebes, en faveur de Polynice fils d’Œdipe contre Etéocle son frere ; la guerre de Minos avec Thésée, & généralement tous les sujets que les anciens tragiques ont cent fois célébrés.

Second âge de la Grece. Au retour de la fameuse expédition de Troie, la Grece éprouva mille révolutions que les vicissitudes des tems amenerent sur la scene ; leurs rois dont l’autorité avoit été fort étendue à la tête des armées, tenterent hautement dans le sein du repos de dépouiller le peuple de ses principales prérogatives : l’ambition n’avoit point encore trouvé le secret de se déguiser avec adresse, d’emprunter le masque de la modération, & de marcher à son but par des routes détournées ; cependant jamais elle n’eut besoin de plus d’art & de ménagement. Sa violence souleva des hommes pauvres, courageux, & dont la fierté n’étoit point émoussée par cette foule de besoins & de passions qui asservirent leurs descendans.

A peine quelques états eurent secoüé le joug, que tous les autres voulurent être libres ; le nom seul de la royauté leur fut odieux, & une de leurs villes opprimée par un tyran, devenoit en quelque sorte un affront pour tous les Grecs : ils s’associerent donc à la célebre ligue des Amphictions ; & voulant mettre leurs lois & leur liberté sous la sauve-garde d’un corps puissant & respectable, ils ne formerent qu’une seule république : pour serrer davantage le lien de leur union, ils établirent des temples communs & des jours marqués pour y offrir des sacrifices, des jeux, & des fêtes solennelles, auxquelles toutes les villes confédérées participoient ; mais il falloit encore à cette ligue un ressort principal qui pût regler ses mouvemens, les précipiter ou les rallentir.

Ce qui manquoit aux Grecs, Lycurgue le leur procura, & le beau gouvernement qu’il établit à Sparte le rendit en quelque sorte le législateur de la Grece entiere. « Hercule, dit Plutarque, parcouroit le monde, & avec sa seule massue il exterminoit les bri-