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soient les passans, des villes où chaque chemin conduisoit ; le haut du pilastre étoit terminé par quelque figure d’un des dieux gardiens & protecteurs des chemins, c’est-à-dire de Mercure ou d’Apollon, de Bacchus ou d’Hercule. Plaute les appelle lares viales, & Varron deos viacos. Ces figures, ainsi que les pilastres qu’on faisoit de bois, de pierre ou de marbre, étoient fort grossiérement taillées. Il s’en trouvoit même plusieurs que des villageois formoient à coups de hache, sans art ni proportions ; c’est ce qui a fait dire à Virgile,

Illi falce deus colitur, non arte politus.

De-là vient qu’on comparoit à ces statues informes, les gens lourds & stupides ; témoin ce vers de Juvenal,

Nil nisi cecropides, truncoque simillimus hermæ.

Une autre chose rendoit encore la vue de ces hermès romains très-vilaine ; c’est qu’ordinairement dans les endroits où ces pilastres étoient dressés, les passans portoient des pierres par religion au pié de ces pilastres, pour les consacrer aux dieux des chemins, & obtenir leur protection dans le cours de leurs voyages. Ces pierres sont appellées par le scholiaste de Nicander, pierres assemblées à l’honneur des divinités des voyageurs.

On ne manquoit pas de pareils poteaux, non seulement dans les grands chemins d’Italie, mais aussi dans toutes les provinces de l’Empire. Camden parlant de Mercure, nous dit : ejus statuæ quadratæ hermæ dictæ, olim ubique per vias erant dispositæ. Cela est si vrai que Surita, dans ses commentaires sur l’itinéraire d’Antonin, nous a conservé une inscription antique tirée de la ville de Zamora en Espagne, qui prouve que des particuliers même s’obligeoient par des vœux à ériger de tels pilastres. Voici cette inscription :

Deo Mercur. viaco. M. Attilius silonis f. Quirin. silo. Ex voto.

Il n’est pas inutile de remarquer à propos des hermès, que les Grecs & les Romains faisoient souvent des statues dont la tête se détachoit du reste du corps, quoique l’une & l’autre fussent d’une même matiere ; c’est en cela que consistoit la mutilation dont Alcibiade fut accusé, & dont il n’étoit que trop coupable. De cette maniere, les anciens pour faire une nouvelle statue, se contentoient quelquefois de changer seulement la tête, en laissant subsister le corps. Nous lisons dans Suétone, qu’au lieu de briser les statues des empereurs, dont la mémoire étoit odieuse, on en ôtoit les têtes, à la place desquelles l’on mettoit celle du nouvel empereur. De-là vient sans doute en partie, qu’on a trouvé depuis tant de têtes sans corps, & de corps sans têtes.

Au reste, ce n’est pas des hermès des Romains, mais de ceux des Grecs, que nous est venue l’origine des termes que nous mettons aux portes & aux balcons de nos bâtimens, & dont nous décorons nos jardins publics. Il est vrai qu’en conséquence, on devroit les nommer hermès plûtôt que termes ; car quoique les termes que les Romains appelloient termini, fussent de pierres quarrées, auxquelles ils ajoutoient quelquefois une tête, néanmoins ils étoient employés pour servir de bornes, & non pour orner des bâtimens & des jardins ; mais notre langue par une crainte servile pour les aspirations, a adopté le mot de termes, qui étoit le moins convenable. (D. J.)

HERMÉTIQUE, (Philosophie) c’est le nom le plus honorable de l’Alchimie, ou de l’art de transmuer les métaux ignobles en métaux parfaits, par le moyen du magister, du grand élixir, de la divine pierre, de la pierre philosophale, &c. Voyez Pierre philosophale.

C’est proprement la science, le système de principes & d’expériences, la théorie de l’art, le dogme que les alchimistes les plus modestes ont désigné par le nom de philosophie hermétique. Ils ont bien voulu qu’on les distinguât par ce titre spécial, des philosophes vulgaires ; c’est-à-dire des plus profonds métaphysiciens, des plus sublimes physiciens, des Descartes, des Newton, des Leibnitz. Car les vrais alchimistes, les initiés, les adeptes prétendent à la possession exclusive de la qualité de philosophes ; ils sont les philosophes par excellence, les seuls sages. Ils ont emprunté, par un travers fanatique & extravagant, le ton & les expressions mêmes que l’éloquence chrétienne emploie à établir la prééminence des vérités révélées sur la Philosophie du siecle. Ils apprécient avec un mépris froid & sententieux, les sciences humaines, vulgaires, communes. Ils traitent la leur de surnaturelle, de divinement inspirée, d’accordée par une grace supérieure, &c. Ils se sont fait un jargon mystique, une maniere enthousiastique, sur laquelle ils ne fondent pas moins la supériorité de leur art que sur son précieux objet.

Cette science est déposée dans cinq ou six mille traités, dont Borel & l’abbé Lenglet Dufrenoy ont dressé la liste ; liste qui s’est grossie depuis que ces auteurs l’ont rédigée, & que quelques nouveaux ouvrages augmentent de tems-en-tems.

Nous traiterons à l’article pierre philosophale de la pratique de l’Alchimie, de l’exécution de la grande merveille que la science promet, du grand œuvre : & nous n’aurons presque dans cet article qu’à discuter la réalité de ses promesses, l’existence de l’art ; nous nous occuperons dans celui-ci de ses préceptes écrits, transmis, raisonnés ; en un mot de la doctrine des livres.

Les lecteurs les plus instruits, les Alchimistes, les auteurs d’Alchimie eux-mêmes, les Philosophes hermétiques conviennent que les livres de leurs prédécesseurs, aussi-bien que les leurs propres, sont très-obscurs. Il est évident que les plus habiles d’entre les Chimistes qui ont admis la réalité de la transmutation métallique, n’ont pas entendu les livres d’Alchimie, n’en ont rien, absolument rien entendu. Becher qui a fait des traités fort longs, fort raisonnés, fort doctes pour démontrer la possibilité de la génération & de la transmutation des métaux, sçavoir les trois supplémens de sa physique soûterraine, prouve mon assertion d’une maniere bien évidente, soit par les sens forcés qu’il donne à la plûpart des passages qu’il cite, soit par le peu de fruits qu’il a tirés de son immense érudition. En effet Becher, le plus grand des Chimistes, après avoir tiré de tous les philosophes hermétiques les plus célebres, des autorités pour étayer sa doctrine de transmutation, qu’il considere sous un changement particulier qu’il appelle mercurification (Voyez Mercurification), n’est parvenu par toute cette étude, qu’à deux découvertes de peu d’importance, si même ces découvertes n’ont devancé la théorie. La premiere est l’extraction & la réduction du fer caché dans la glaise commune, opérations très-vulgaires qui lui ont imposé pour une vraie génération. La seconde est sa mine de sable perpétuelle, dont l’exploitation avec profit n’est pas démontrée, & qui, si ce profit étoit réel, pourroit la faire compter tout au plus parmi ces améliorations ou ces augmentations qui sont dûes aux procédés que les gens de l’art appellent des particuliers, c’est-à-dire des moyens d’obtenir des métaux parfaits par des changemens partiaux ; opérations bien différentes de la transmutation générale proprement dite, ou du grand œuvre, qui doit changer son sujet entiérement, absolument, radicalement. Voyez Particulier & Pierre philosophale.