Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

secret spécifique qui lui fût particulier : tous les moyens qu’il employoit dans les traitemens des maladies étoient manifestes & publics.

Il donna une attention particuliere à l’étude de la Physique, pour être en état de bien juger des effets que peuvent produire sur le corps humain les choses dites non-naturelles, par l’usage & l’abus qu’on en fait, voyez Hygienne. C’est par ce moyen qu’il avoit acquis tant de connoissances sur la nature des maladies, qu’il découvroit & prévoyoit même leurs causes, & qu’il employoit ou conseilloit en conséquence le traitement & le préservatif convenables avec un succès étonnant, d’après ses recherches, ses observations sur l’influence des différentes saisons de l’année, des différentes températures de l’air dans les divers climats, des qualités des vents dominans, des situations absolues & respectives des lieux d’habitation, de la différente nature des eaux, des alimens, &c. Lib. VI. de aëre, locis & aquis, lib. de alimento. Ainsi c’est d’après ses connoissances acquises en ce genre, qu’il étoit parvenu à pouvoir prédire les maladies qui devoient régner dans un pays, à en déterminer l’espece & à désigner les personnes d’un certain tempérament, qui pourroient en être atteintes plutôt que d’autres : c’est en conséquence qu’il avoit annoncé la peste qui se fit sentir du côté de l’Illyrie, & qui affligea toute la Grece, à l’occasion de laquelle il rendit les plus grands services à sa patrie, & en reçut en reconnoissance les mêmes honneurs qu’Hercule.

Il a été le premier qui a fait usage des Mathématiques pour l’explication des phénomenes de l’économie animale les plus difficiles à comprendre sans ce secours : il en a recommandé l’étude à son fils Thessalus (Epistola Hippocratis ad Thessalum filium), comme très-propre à faire connoître la proportion de forces, de mouvemens, qui constitue l’équilibre entre les solides & les fluides dans la santé, & du dérangement duquel résultent la plûpart des maladies : on trouve cette façon de penser de notre auteur établie dans différens endroits de ses ouvrages. Lib. VI. de flatib. de dietâ, de naturâ hominis, &c. Il semble avoir eu bonne opinion de l’Astronomie, & l’avoir regardée comme une science qui convenoit à un medecin.

A l’égard de la doctrine de l’attraction, elle ne lui étoit pas étrangere : il paroît l’avoir adoptée de la philosophie de Démocrite, & il la regardoit comme importante pour la connoissance de l’économie animale.

Pour ne rien oublier de ce qui a rapport à la Medecine, il n’a pas même négligé de s’occuper de la partie politique de l’exercice de cet art : il suffiroit de citer en preuve le serment qu’il exigeoit de ses disciples ; mais on trouve bien d’autres choses, à cet égard, dans ses différens écrits, lib. de medico, lib. de decenti ornatu medici, præceptiones ac epistolæ, qui sont très-bons & très-utiles à lire pour les sages conseils qu’ils contiennent ; car Hippocrate ne fait pas moins paroître de probité que de science dans tous ses ouvrages comme dans sa conduite. Une maladie contagieuse infesta la Perse ; le roi Artaxerxès fit offrir à Hippocrate tout ce qu’il desireroit, afin de l’attirer dans ses états pour remedier aux ravages qu’y causoit cette peste ; mais le medecin aussi desintéressé que bon patriote, fit réponse qu’il se garderoit bien d’aller donner du secours aux ennemis des Grecs.

Il mourut à 104 ans, 356 ans avant Jesus-Christ. Thessale & Dracon ses fils, Polybe son gendre, & Dexippe son principal disciple, lui succéderent dans l’exercice de la Medecine, & la pratiquerent avec réputation : mais comme dans le monde tout est sujet à révolution, & que les meilleures institutions

sont ordinairement les moins durables, le nombre des medecins qui conserverent & qui soutinrent la méthode d’Hippocrate, diminua bientôt considérablement : celle des philosophes prévalut encore, parce qu’il étoit bien plus aisé de suivre leurs spéculations, que de se conformer à la pratique de ce grand maître : ce qui a presque toujours subsisté jusqu’à nous, & a été la véritable cause que l’art de guérir, proprement dit, n’a presque rien acquis après lui.

Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’eu égard à l’état où Hippocrate trouva la Medecine, & à celui où il nous l’a laissée, il ait été regardé comme le prince des medecins : mais il est surprenant qu’un plan aussi bon que celui qu’il nous a tracé ait été négligé, & pour ainsi dire abandonné. Certainement il nous avoit mis dans le chemin des progrès : & si jamais la Medecine parvient à être portée à toute la perfection dont elle est susceptible, ce ne sera qu’en suivant la méthode de son vrai législateur, qui consiste dans un sage raisonnement toujours fondé sur une observation exacte & judicieuse. Voyez Medecin, Medecine.

Il y a trois remarques principales à faire touchant les écrits de notre auteur ; la premiere, qui concerne l’estime que l’on a toujours eue pour eux ; la seconde, son langage & son style ; & la troisieme, la distinction que l’on doit faire de ses écrits légitimes d’avec ceux qui lui ont été attribués ou donnés sous son nom, sans être sortis de sa main.

Hippocrate a toujours passé pour être, en fait de Medecine, ce qu’Homere est parmi les Poëtes, & Ciceron entre les Orateurs. Galien veut que l’on regarde ce qu’Hippocrate a dit, comme la parole d’un dieu, magister dixit : cependant si quelqu’un avoit pû lui contester le premier rang, c’étoit sans doute Galien, ce célebre medecin, dont le savoir étoit prodigieux, voyez Galenisme. Celse faisoit tant de cas des écrits d’Hippocrate, qu’il n’a souvent fait que le traduire mot à mot : ses aphorismes, son livre des prognostics, & tout ce que l’on trouve dans ses ouvrages de l’histoire des maladies, ont toujours passé à juste titre pour des chef-d’œuvres : mais, outre tous les témoignages des anciens & des modernes à cet égard, une marque évidente de la considération que l’on a toujours eue pour les écrits d’Hippocrate, c’est qu’il n’y en a peut-être d’aucun auteur sur lesquels on ait fait autant de commentaires. Galien fait mention d’un grand nombre de medecins, qui y avoient travaillé avant lui, auxquels il faut bien joindre Galien lui-même, qui en a fait le sujet de la plûpart des volumes si nombreux qu’il nous a laissés : mais parmi les modernes en foule qui s’en sont aussi occupés, on doit sur-tout distinguer le célebre Foësius, que les medecins qui ont la rare ambition de mériter ce nom, ne sauroient trop consulter pour se bien pénétrer de l’esprit de leur maître, qu’il paroît avoir interprété plus parfaitement qu’aucun autre de ceux qui ont entrepris de le faire. On ne laisse pas cependant que de trouver des choses très-utiles & très-savantes dans les commentaires de Mercurial, de Prosper Martian, aussi bien que dans les explications particulieres qu’ont données de quelques-uns des ouvrages d’Hippocrate, Hollerius, Heurnius & Duret, parmi lesquels ce dernier mérite d’être singulierement distingué pour ses interprétations sur les prénotions de Coos.

A l’égard du style d’Hippocrate, c’est parce qu’il est fort concis, qu’on a peine à entendre ce qu’il veut dire en divers endroits ; ce que l’on doit aussi attribuer aux changemens assez considérables survenus dans la langue grecque, pendant l’espace de tems qui s’étoit écoulé entre cet auteur & ceux des ouvrages de ses glossateurs qui nous sont parvenus ;