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on ne voyoit presque plus qu’un vaste désert, des villes ruinées, des campagnes dont on labouroit une partie les armes à la main, des villages creusés sous terre, où les habitans s’ensevellissoient avec leurs grains & leurs bestiaux, une centaine de châteaux fortifiés, dont les possesseurs disputoient la souveraineté aux Turcs & aux Allemands ».

Les empereurs de la maison d’Autriche devinrent finalement rois de Hongrie ; mais le pays dépeuplé, pauvre, partagé entre la faction catholique & la protestante, & entre plusieurs partis, fut à-la-fois occupé par les armées turques & allemandes. C’est ce qu’on vit sous tous les empereurs de cette maison : on vit en particulier sous Léopold, élu en 1655, la haute Hongrie & la Transylvanie être le théâtre sanglant des révolutions, des guerres & des dévastations. Les Hongrois voulurent défendre leurs libertés contre cet empereur, qui ne connut que les droits de sa couronne : il s’en fallut peu que le sang des seigneurs hongrois répandu à Vienne par la main des bourreaux, ne coutât Vienne & l’Autriche à Léopold, & à sa maison le jeune Emerick Tekeli, qui ayant à venger le sang de ses parens & de ses amis, souleva une partie de la Hongrie, & se donna à Mahomet IV. Le siége étoit déja devant Vienne en 1683, lorsque Jean Sobieski roi de Pologne, Charles V. duc de Lorraine, & les princes de l’empire eurent le bonheur de le faire lever, de repousser les Turcs & de délivrer l’empereur.

L’archiduc Joseph son fils fut couronné roi de Hongrie en 1687, héréditairement pour lui & la maison d’Autriche, qui a fini en 1740 dans la personne de Charles VI.

Ce qui restoit de ses dépouilles après sa mort, fut prêt d’être enlevé à son illustre fille, & partagé entre plusieurs puissances ; mais ce qui devoit l’accabler, servit à son élévation. La maison d’Autriche renaquit de ses cendres : la Hongrie, qui n’avoit été pour ses peres qu’un éternel objet de guerres civiles, de résistances & de punitions, devint pour elle un royaume uni, affectionné, peuplé de ses défenseurs. Reine de tous les cœurs, par une affabilité que ses ancêtres avoient rarement exercée, elle bannit cette étiquette qui peut rendre le trône odieux, sans le rendre plus respectable ; elle goûta le plaisir & la gloire de faire nommer empereur son époux, & de recommencer une nouvelle maison impériale. (D. J.)

Hongrie, mal d’, (Medecine.) maladie ainsi nommée, parce qu’elle commença à se faire sentir dans l’armée des impériaux en Hongrie en 1566, d’où elle se répandit ensuite dans toute l’Europe. On dit que c’est une fiévre maligne, accompagnée de défaillances dans l’estomac, d’une douleur & dureté dans la région épigastrique, d’une soif ardente dès le commencement de la maladie, d’une langue séche, d’un mal de tête constant qui finit par un délire. Cette maladie est très-contagieuse. M. Pringle croit que c’est une maladie formée par la combinaison d’une fiévre bilieuse & d’une fiévre d’hôpital. Voyez Supplément du Dictionn. de Chambers, Appendix.

Hongrie, (Art méchan.) on appelle cuirs de Hongrie, de gros cuirs dont les Hongrois ont autrefois inventé la fabrique, & qui depuis ont été parfaitement imités en France. Voyez Cuir de Hongrie.

HONGRIEUR, s. m. ouvrier qui prépare ou qui vend des cuirs préparés à la façon d’Hongrie.

Les Hongrieurs ne forment point une communauté. Ce sont des ouvriers particuliers qui travaillent aux gages & pour le compte d’une compagnie qui a entrepris sur la fin du dernier siecle la fabrique des cuirs à la façon d’Hongrie.

Cette compagnie a obtenu des lettres-patentes

en 1702 & en 1705, par lesquelles il est ordonné en autres choses :

1°. Que les offices héréditaires des jurés Hongrieurs, créés par édit au mois de Janvier 1705, seront unis & incorporés à la compagnie des cuirs de Hongrie.

2°. Il est accordé à ladite compagnie le privilége exclusif de fabriquer, vendre & débiter les cuirs à la façon d’Hongrie.

3°. Défenses sont faites à toutes personnes, même dans les lieux privilégiés, de fabriquer, contrefaire & imiter ces cuirs.

4°. Et à tous ouvriers & marchands d’en vendre d’autres que ceux qui seront marqués à la marque des intéressés à cette compagnie.

5°. Enfin il est défendu à toutes personnes de contrefaire les marques dont lesdits intéressés se serviront, sous les peines, amende & confiscation portées par ledit édit.

On parle ailleurs de la fabrique des cuirs d’Hongrie, sous le mot Cuirs. Voyez le Dictionnaire du Commerce.

HONNÊTE, adj. (Morale.) on donne ce nom aux actions, aux sentimens, aux discours qui prouvent le respect de l’ordre général, & aux hommes qui ne se permettent rien de contraire aux lois de la vertu & du véritable honneur.

L’honnête homme est attaché à ses devoirs, & il fait par goût pour l’ordre & par sentiment des actions honnêtes, que les devoirs ne lui imposent pas.

L’honnête est un mérite que le peuple adore dans l’homme en place, & le principal mérite de la morale des citoyens ; il nourrit l’habitude des vertus tranquilles, des vertus sociales ; il fait les bonnes mœurs, les qualités aimables ; & s’il n’est pas le caractere des grands hommes qu’on admire, il est le caractere des hommes qu’on estime, qu’on aime, que l’on recherche, & qui, par le respect que leur conduite s’attire & l’envie qu’elle inspire de l’imiter, entretiennent dans la nation l’esprit de justice, la bienséance, la délicatesse, la décence, enfin le goût & le tact des bonnes mœurs.

Cicéron & les moralistes anciens ont prouvé la préférence qu’on devoit en tout tems donner à l’honnête sur l’utile, parce que l’honnête est toûjours utile, & que l’utile qui n’est pas honnête, n’est utile qu’un moment. Voyez Intérêt, Ordre, Remords.

Quelques moralistes modernes se livrant avec plus de chaleur que de précision & de sens, à l’éloge des passions extrèmes, & relevant avec emphase les grandes choses qu’elles ont fait faire, ont parlé avec peu d’estime & même avec mépris des caracteres modérés & honnêtes.

Nous savions sans doute que sans les passions fortes & vives, sans un fanatisme, ou moral ou religieux, les hommes n’étoient capables ni de grandes actions, ni de grands talens, & qu’il ne falloit pas éteindre les passions ; mais le feu est un élément répandu dans tous les corps, qui ne doit pas être par-tout dans la même quantité, ni dans la même action ; il faut l’entretenir, mais il ne faut pas allumer des incendies.

Les moralistes les plus indépendans de l’opinion se dépouillent moins de préjugés qu’ils n’en changent ; la plûpart ne peuvent sortir de Sparte & de Rome, où la plus grande force & la plus grande activité des passions étoient nécessaires ; s’ils sortent de ces deux républiques, c’est pour se renfermer dans les limites d’un autre ordre, également étranger au nôtre, à notre situation, à nos mœurs ; du fond de leur cabinet paisible, des philosophes voudroient enflammer l’univers, & inspirer un enthousiasme funeste au genre humain ; ils sont comme des dames romaines, qui de l’amphithéâtre exhortoient