rencontra, en sortant de sa tente, trois voyageurs, devant lesquels il se prosterna, leur offrit de l’eau pour laver leurs piés, & du pain pour rétablir leurs force. Il ordonna en même tems à Sara de pétrir trois mesures de farine, & de faire cuire des pains sous la cendre : il fit rôtir lui-même un veau qu’il servit à ses hôtes avec les pains de Sara, du beurre & du lait.
Je ne dissimulerai point que l’exercice de l’hospitalité se trouva resserré chez les Israélites dans des bornes beaucoup trop étroites, lorsqu’ils vinrent à rompre leur commerce avec les peuples voisins ; cependant, sans parler des Iduméens & des Egyptiens qui n’étoient pas compris dans cette rupture, l’esprit de cette charité ne s’éteignit pas entierement dans leur cœur, du moins l’exercerent-ils pour leurs freres, sur-tout pendant les tristes tems des captivités, où nous voyons que Tobie étoit pénétré de ce devoir. Dans les louanges que l’écriture lui donne, elle met la distribution qu’il faisoit de trois en trois ans aux prosélytes & aux étrangers de sa part dans le dixmes. Job s’écrie au milieu de ses souffrances : « Je n’ai point laissé les étrangers dans la rue, & ma porte leur a toujours été ouverte ».
Les Egyptiens convaincus que les dieux mêmes prenoient souvent la forme de voyageurs, pour corriger l’injustice des hommes, reprimer leurs violences & leurs rapines, regarderent les devoirs de l’hospitalité comme étant les plus sacrés & les plus inviolables : les voyages fréquens des sages de la Grece en Egypte, l’accueil favorable qu’ils firent à Ménélas & à Helène du tems de la guerre de Troie, montrent assez combien ils s’occupoient de la pratique de cette vertu.
Les Ethyopiens n’étoient pas moins estimables à cet égard au rapport d’Héliodore : & c’est sans doute ce qu’Homere a voulu peindre, quand il nous dit que ce peuple recevoit les dieux, & les regaloit avec magnificence pendant plusieurs jours.
Ce grand poëte ayant une fois établi l’excellence de l’hospitalité sur l’opinion de ces prétendus voyages des dieux ; & les autres poëtes de la Grece ayant à leur tour publié que Jupiter étoit venn sur la terre, pour punir Lycaon qui égorgeoit ses hôtes, il n’est pas étonnant que les Grecs regardassent l’hospitalité comme la vertu la plus agréable aux dieux. Aussi cette vertu étoit-elle poussée si loin dans la Grece qu’on fonda dans plusieurs endroits des édifices publics où tous les étrangers étoient admis. C’est un beau trait de la vie d’Alexandre, que l’édit par lequel il déclara que les gens de bien de tous les pays étoient parens les uns des autres, & qu’il n’y avoit que les méchans qui fussent exclus de cet honneur.
Les rois de Perse retirerent de grands avantages de la reception favorable qu’ils firent à divers peuples, & sur-tout aux Grecs qui vinrent chercher dans leur empire une retraite contre la persécution de leurs citoyens.
Malgré le caractere sauvage & la pauvreté des anciens peuples d’Italie, l’hospitalité y fut connue dès les premiers tems. L’asyle donné à Saturne par Janus, & à Enée par Latinus en sont des preuves suffisantes. Elien même rapporte qu’il y avoit une loi en Lucanie qui condamnoit à l’amende ceux qui auroient refusé de loger les étrangers qui arrivoient dans leur pays après le soleil couché.
Mais les Romains qui succederent surpasserent toutes les autres nations dans la pratique de cette vertu ; ils établirent à l’imitation des Grecs des lieux exprès pour domicilier les étrangers ; ils nommerent ces lieux hospitalia ou hospitia, parce qu’ils donnoient aux étrangers le nom de hospites. Pendant la solemnité des Lectisternes à Rome on étoit obligé d’exercer l’hospitalité envers toutes sortes de gens
connus ou inconnus ; les maisons des particuliers étoient ouvertes à tout le monde, & chacun avoit la liberté de se servir de tout ce qu’il y trouvoit. L’ordonnance des Achéens, par laquelle ils défendoient de recevoir dans leurs villes aucun Macédonien, est appellée dans Tite-Live une exécrable violation de ; droits de l’humanité. Les plus grandes maisons tiroient leur principale gloire de ce que leurs palais étoient toûjours ouverts aux étrangers ; la famille des Marciens étoit unie par droit d’hospitalité avec Persée, roi de Macédoine ; & Jules-César, sans parler de tant d’autres Romains, étoit attaché par les mêmes nœuds à Nicomede, roi de Bithynie. « Rien n’est plus beau, disoit Cicéron, que de voir les maisons des personnes illustres ouvertes à d’illustres hôtes, & la république est intéressée à maintenir cette sorte de libéralité ; rien même, ajoûte-t-il, n’est plus utile pour ceux qui veulent acquérir, par des voies légitimes, un grand crédit dans l’état, que d’en avoir beaucoup au-dehors ».
Il est aisé de s’imaginer comment les habitans des autres villes & colonies romaines, prévenus de ces sentimens, recevoient les étrangers à l’exemple de la capitale. Ils leur tendoient la main pour les conduire dans l’endroit qui leur étoit destiné ; ils leur lavoient les piés, ils les menoient aux bains publics, aux jeux, aux spectacles, aux fêtes. En un mot, on n’oublioit rien de ce qui pouvoit plaire à l’hôte & adoucir sa lassitude.
Il n’étoit pas possible après cela que les Romains n’admissent les mêmes dieux que les Grecs pour protecteurs de l’hospitalité. Ils ne manquerent pas d’adjuger en cette qualité un des plus hauts rangs à Venus, déesse de la tendresse & de l’amitié. Minerve, Hercule, Castor & Pollux jouirent aussi du même honneur, & l’on n’eut garde d’en priver les dieux voyageurs, dii viales. Jupiter eut avec raison la premiere place ; ils le déclarerent par excellence le dieu vengeur de l’hospitalité, & le surnommerent Jupiter hospitalier, Jupiter hospitalis. Cicéron, écrivant à son frere Quintius, appelle toûjours Jupiter de ce beau nom ; mais il faut voir avec quel art Virgile annoblit cette épithete dans l’Enéide.
Jupiter, hospitibus nam te dare jura loquuntur,
Hunc lætum, Tiriisque diem, Trojâque profectis
Esse velis, nostrosque hujus meminisse minores.
Notre poësie n’a point de telles ressources, ni de si belles images.
Les Germains, les Gaulois, les Celtibériens, les peuples Atlantiques, & presque toutes les nations du monde, observerent aussi régulierement les droits de l’hospitalité. C’étoit un sacrilége chez les Germains, dit Tacite, de fermer sa porte à quelque homme que ce fût, connu ou inconnu. Celui qui a exercé l’hospitalité envers un étranger, ajoûte-t-il, va lui montrer une autre maison, où on l’exerce encore, & il y est reçu avec la même humanité. Les lois des Celtes punissoient beaucoup plus rigoureusement le meurtre d’un étranger, que celui d’un citoyen.
Les Indiens, ce peuple compatissant, qui traitoit les esclaves comme eux-mêmes, pouvoient-ils ne pas bien acueillir les voyageurs ? ils allerent jusqu’à établir, & des hospices, & des magistrats particuliers, pour leur fournir les choses nécessaires à la vie, & prendre soin des funérailles de ceux qui mouroient dans leurs pays.
Je viens de prouver suffisamment, qu’autrefois l’hospitalité étoit exercée par presque tous les peuples du monde ; mais le lecteur sera bien aise d’être instruit de quelques pratiques les plus universelles