Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dant que cette grace étoit telle que la volonté pût y consentir ou la rejetter.

Cinquieme proposition : semi-Pelagianum est dicere Christum pro omnibus hominibus mortuum esse aut sanguinem fudisse. C’est une erreur demi-pélagienne que Jesus-Christ est mort pour tous les hommes, ou qu’il ait répandu son sang pour eux.

Jansénius dit, de grat. Christ. lib. III. cap. ij. que les peres, bien loin de penser que Jesus-Christ soit mort pour le salut de tous les hommes, ont regardé cette opinion comme une erreur contraire à la foi catholique, & que le sentiment de S. Augustin est, qu’il n’est mort que pour les prédestinés, & qu’il n’a pas plus prié son Pere pour le salut des réprouvés que pour le salut des démons.

Le symbole de Nicée a dit, qui propter nos homines & propter nostram salutem descendit de cælis… incarnatus est… passus est & la cinquieme proposition fut condamnée comme impie, blasphématoire & hérétique.

Cependant M. Bossuet dit, justif. des réflex. moral. p. 67. qu’il ne faut pas faire un point de foi également décidé de la volonté de sauver tous les justifiés, & de celle de sauver tous les hommes.

Telles sont les cinq fameuses propositions qui donnerent lieu à la bulle d’Innocent X. à laquelle on objecta que les cinq propositions n’étoient pas dans le livre de Jansénius, & qu’elles n’avoient pas été condamnées dans le sens de cet auteur, & l’on vit naître la fameuse distinction du fait & du droit.

Diverses assemblées du clergé de France tenues en 1654, 5, 6, & 7, statuerent, 1°. que les cinq propositions étoient dans le livre de Jansénius ; 2°. qu’elles avoient été condamnées dans le sens propre & naturel de l’auteur.

Innocent X. adressa à ce sujet un bref en 1654. Alexandre VII. son successeur, dit dans sa constitution de 1656, que les cinq propositions extraites de l’Augustinus, ont été condamnées dans le sens de l’auteur.

Cependant M. Arnauld, lett. à un duc & pair, soûtint que les propositions n’étoient point dans Jansénius ; qu’elles n’avoient point été condamnées dans son sens, & que toute la soûmission qu’on pouvoit exiger des fideles à cet égard, se réduisoit au silence respectueux. Il prétendit encore que la grace manque au juste dans des occasions où l’on ne peut pas dire qu’il ne peche pas ; qu’elle avoit manqué à Pierre en pareil cas, & que cette doctrine étoit celle de l’Ecriture & de la tradition.

La Sorbonne censura en 1656 ces deux propositions ; & M. Arnauld ayant refusé de se soûmettre à sa décision, fut exclus du nombre des docteurs. Les candidats signent encore cette censure.

Cependant les disputes continuoient. Pour les étouffer, le clergé, dans différentes assemblées tenues depuis 1655 jusqu’en 1661, dressa une formule de foi que les uns souscrivirent, & que d’autres rejetterent. Les évêques s’adresserent à Rome, & il en vint en 1665 une bulle qui enjoignit la signature du formulaire, appellé communément d’Alexandre VII. dont voici la teneur.

Ego N. constitutioni apostolicæ Innocent. X. datoe die tertia Maii, an. 1653, & constitutioni Alex. VII. datæ die sexta Octob. an. 1656. summorum pontificum, me subjicio, & quinque propositiones ex Cornelii Jansenii libro cui nomen est Augustinus excerptas, & in sensu ab eodem autore intento, prout illas perdictas propositiones sedes apostolica damnavit, sincero animo damno ac rejicio, & ita juro. Sic me Deus adjuvet, & hæc sancta Evangelia.

Louis XIV. donna en 1665 une déclaration qui fut enregistrée au parlement, & qui confirma la signature du formulaire sous des peines grieves. Le

formulaire devint ainsi une loi de l’Église & de l’Etat

Les défenseurs du formulaire disent que les cinq propositions ont été condamnées dans le sens de Jansénius, car elles ont été déférées & discutées à Rome dans ce sens.

Ce sens est clair ou obscur. S’il est clair, le pape, les évêques & tout le clergé est donc bien aveugle. S’il est obscur, les Jansénistes sont donc bien éclairés.

Le jugement d’Innocent X. est irréformable, parce qu’il a été porté par un juge compétent, après une mûre délibération, & accepté par l’Église. Personne ne doute, dit M. Bossuet, lett. aux relig. de P. R. que la condamnation des propositions ne soit canonique.

Cependant MM. Pavillon évêque d’Aleth, Choart de Buzenval évêque d’Amiens, Caulet évêque de Pamiers & Arnauld évêque d’Angers distinguerent expressément dans leurs mandemens la question de fait & celle de droit.

Le pape irrité voulut leur faire faire leur procès, & nomma des commissaires. Il s’éleva une contestation sur le nombre des juges. Le roi en vouloit douze. Le pape n’en vouloit que dix. Celui-ci mourut, & sous son successeur Clement IX MM d’Estrées, alors évêque de Laon & depuis cardinal, de Gondrin archevêque de Sens, & Vialart évêque de Châlons, proposerent un accommodement, dont les termes étoient, que les quatre évêques donneroient & feroient donner dans leurs diocèses une nouvelle signature de formulaire, par laquelle on condamneroit les propositions de Jansénius sans aucune restriction, la premiere ayant été jugée insuffisante.

Les quatre évêques y consentirent. Cependant dans les procès-verbaux des synodes diocésains qu’ils tinrent pour cette nouvelle signature, on fit la distinction du fait & du droit, & l’on inséra la clause du silence respectueux sur le fait. La volonté du pape fut-elle ou ne fut-elle pas éludée ? C’est une grande question entre les Jansénistes & leurs adversaires.

Il est certain que la question de fait peut être prise en divers sens. 1°. Pour le fait personnel, c’est-à-dire quelle a été l’intention personnelle de Jansénius. 2°. Pour le fait grammatical, savoir si les propositions se trouvent mot pour mot dans Jansénius. 3°. Pour le fait dogmatique, ou l’attribution des propositions à Jansénius, & leur liaison avec le dogme.

On convient que la decision de l’Église ne peut s’étendre au fait pris soit au premier soit au second sens. Mais est-ce du fait pris dans ces deux sens, ou du fait pris au troisieme qu’il faut entendre la distinction dans laquelle persisterent les quatre évêques & les dix-neuf autres qui se joignirent à eux ? C’est une difficulté que nous laissons à examiner à ceux qui se chargeront de l’histoire ecclésiastique de ces tems.

Quoi qu’il en soit, voilà ce qu’on appelle la paix de Clement IX.

Les évêques de Flandres ayant fait quelque altération à la souscription du formulaire, quelques docteurs de Louvain dépêcherent à Rome un des leurs, appellé Hennebel, pour se plaindre de cette témérité ; & Innocent XII. donna en 1694 & en 1696 deux brefs, dans l’un desquels il dit : « Nous attachant inviolablement aux constitutions de nos prédécesseurs Innocent X. & Aléxandre VII. nous déclarons que nous ne leur avons donné ni ne donnons aucune atteinte, qu’elles ont demeuré & demeurent encore dans toute leur force ». Il ajoûte dans l’autre : « Nous avons appris avec étonnement que certaines gens ont osé avancer que dans notre premier bref, nous avions altéré & réformé la constitution d’Alexandre VII. & le formulaire dont il a prescrit la signature. Rien de plus faux, puisque