Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/479

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maire & secondaire, en critique & symptomatique ; il y en a aussi une espece qui est périodique. La décoloration jaune qui constitue cette maladie, n’est quelquefois sensible que dans les yeux & au visage ; d’autres fois on l’observe sur toute l’habitude du corps ; l’ouverture des cadavres a fait voir que les parties intérieures sont aussi dans certains cas teintes de la même couleur ; il y a même des cas où elle a infecté jusqu’aux os. Thomas Kerkringius raconte, Observat. anatom. 57, qu’une femme ictérique accoucha d’un enfant attaqué de la même maladie, dont les os étoient très-jaunes. Toutes les humeurs de notre corps reçoivent aussi quelquefois la même couleur, la salive, la transpiration, la sueur, mais plus fréquemment les urines en sont teintes. On lit dans les relations du fameux voyageur Tavernier, que chez les Persans la sueur est quelquefois tellement jaune, que non-seulement elle teint de cette couleur les linges, les habits, les couvertures, mais que les vapeurs qui s’en exhalent font une impression jaune très-sensible sur les murs & les portraits qui se trouvent dans la chambre. On a trouvé dans quelques ictériques la liqueur du péricarde extrèmement jaune ; il y a quelques observations qui prouvent, si elles sont vraies, que la couleur même du sang a été changée en jaune ; Théodore Wuingerus dit avoir vû quelquefois le sang des personnes ictériques imitant la couleur de l’urine des chevaux, & il assure qu’ayant fait saigner une femme attaquée de jaunisse, il avoit peine à distinguer son sang d’avec son urine. Quelquefois la couleur jaune du visage devient si forte, si saturée, qu’elle tire sur le verd, le livide & le noir ; on donne alors à la maladie les noms impropres d’ictere verd & noir. La couleur des yeux est quelquefois si altérée, que la vue en est affoiblie & dérangée ; les objets paroissent aux ictériques tout jaunes, de même qu’ils trouvent souvent par la même raison, c’est-à-dire par le vice de la langue, tous les alimens amers. Outre cette décoloration, on observe dans la plûpart des ictériques des vomissemens, cardialgie, anxiétés, difficulté de respirer, lassitude, défaillances ; les malades se plaignent d’une douleur compressive aux environs du cœur, & vers la région inférieure du ventricule, d’un malaise, d’un tiraillement ou déchirement obscur, quelquefois d’une douleur vive dans l’hypocondre droit ; le pouls est toûjours petit, inégal, concentré, quelquefois, & sur-tout au commencement, dur & serré ; l’inégalité de ce pouls consiste, suivant M. Bordeux, en ce que deux ou trois pulsations inégales entr’elles succedent à deux ou trois pulsations parfaitement égales, & qui semblent naturelles. Dans l’ictere chaud, la chaleur est plus forte, elle est acre, la soif est inextinguible, le pouls est dur & un peu vîte, les diarrhées sont bilieuses, de même que les rots & vomissemens, les urines sont presque rouges couleur de feu ; dans l’ictere froid, la chaleur est souvent moindre que dans l’état naturel, le pouls est sans beaucoup d’irritation, sans roideur, le ventre est constipé, les excrémens sont blanchâtres, les vomissemens glaireux, le corps est languissant, engourdi, fainéant, &c.

Les causes qui produisent le plus constamment cette maladie, les symptomes qui la constituent, les observations anatomiques faites sur le cadavre des ictériques, les qualités & propriétés connues de la bile, sont autant de raisons de présumer que la jaunisse est formée par une pléthore de bile mêlée avec le sang, ou par un sang d’un caractere bilieux. Les ouvertures de cadavres font presque toûjours appercevoir des vices dans le foie ; le plus souvent ce sont des obstructions dans le parenchime de ce viscere, occasionnées par une bile épaissie, ou

par des calculs biliaires ; il y a un nombre infini d’observations, qu’on peut voir rapportées dans la bibliotheque médicinale de Manget, dans lesquelles on voit l’ictere produit, ou du moins accompagné de pierres biliaires dans la vésicule du fiel ; on en tira jusqu’à soixante & douze de la vésicule de Rumoldus van-der-Borcht, premier medecin de l’empereur Léopold, qui étoit mort d’une jaunisse. Journal des curieux, ann. 1670. On a trouvé dans plusieurs le foie extrèmement grossi, la vésicule du fiel gorgée de bile, le canal cholidoque obstrué, rempli de calculs & de vers. Bartholin Cabrot rapporte l’observation d’une jaunisse, occasionnée par la mauvaise conformation de ce conduit, qui étoit telle que son extrémité qui est du côté du foie étoit fort évasée, tandis que son ouverture dans les intestins étoit capillaire. On a vû aussi quelquefois la ratte d’une grosseur monstrueuse, ou d’une petitesse incroyable, remplie de concrétions, pourrie, ou manquant tout-à-fait. Zacutus-Lusitanus fait mention d’un ictere noir, survenu à une personne qui n’avoit point de ratte. Prax. admirand. lib. III. observ. 137. Je supprime une foule d’autres semblables observations, qui donnent lieu de penser que dans la jaunisse la bile regorge dans le sang, ce qui peut arriver de deux façons, ou si le sang trop tourné à cette excrétion d’un caractere bilieux, en fournit plus qu’il ne peut s’en séparer, sans qu’il y ait aucun vice dans le foie ; en second lieu, si cette excrétion ou sécrétion est empêchée par l’épaississement de la bile, l’atonie des vaisseaux, leur obstruction, &c. le premier cas est celui de l’ictere chaud, qui est principalement excité par les passions d’ame vive, par des travaux excessifs, des voyages longs sous un soleil brûlant, par des boissons vineuses, spiritueuses, aromatiques, par l’inflammation du foie, par les fievres ardentes inflammatoires, par un émétique placé mal-à-propos, ou un purgatif trop fort, la bile coule plus abondamment par le foie, excite des diarrhées bilieuses, & cependant va se séparer dans les autres couloirs, sans avoir égard aux lois de l’attraction & de l’affinité qui devroient l’en empêcher.

Les passions d’ames languissantes, une vie sédentaire, méditative, triste, mélancolique, des études forcées, faites sur-tout d’abord après le repas, sont les causes les plus fréquentes de l’ictere froid ; la morsure de quelques animaux, de la vipere, des araignées, des chiens enragés, &c. les exhalaisons du crapaud, l’aconite, & quelques autres poisons, excitent aussi quelquefois à l’ictere : ces causes concourent aux obstructions du foie, aux calculs biliaires, &c. La sécrétion de la bile empêchée pour lors, fait que le sang ne peut se décharger de celle qui s’est formée déja dans ses vaisseaux ou dans le foie, & il en passe très-peu dans les intestins, ce qui rend le ventre paresseux & les excrémens blanchâtres, &c.

Lorsque la jaunisse est l’effet d’une maladie aiguë & qu’elle paroît avant le septieme jour, c’est-à-dire avant la coction, elle est censée symptomatique ; celle qui paroît après ce tems-là, & qui termine la maladie, est critique. Lorsque la jaunisse succede à l’inflammation, ou skirrhe du foie, à la colique hépatique, elle est secondaire ou deutéropathique ; si elle paroît avant aucune lésion manifeste de ce viscere, on la dit primaire ou protopathique ; celle qui est périodique, dépend ordinairement des vers ou des calculs placés dans la vésicule du fiel ou dans le canal cholidoque.

Diagnostic. La plus légere attention à la couleur jaune de tout le corps, ou d’une partie, du visage, des yeux, par exemple, suffit pour s’assurer de la présence de cette maladie, & l’on peut aussi facilement, de tout ce que nous avons dit, tirer un dia-