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ciennement on écrivoit tyrannizer, latinizer, francizer, comme on peut le voir au traité de la Gramm. fr. de R. Etienne, imprimée en 1569 (pag. 42.) : & cette orthographe étoit plus conforme que la nôtre, & à notre prononciation & à l’étymologie. Par quelle fantaisie l’avons-nous altérée ?

Les Latins ont fait pareillement une altération à la terminaison radicale, dont ils ont changé le z en ss : atticissare, sicilissare, patrissare. Vossius (Gramm. lat. de derivitatis) remarque que les Latins ont préféré la terminaison latine en or à la terminaison greque en istare, & qu’en conséquence ils ont mieux aimé dire græcari que græcissare.

Si j’osois proposer une conjecture contre l’assertion d’un si savant homme, je dirois que cette différence de terminaison doit avoir un fondement plus raisonnable qu’un simple caprice ; & la réalité de l’existence des deux mots latins græcissare & græcari est une preuve de mon opinion d’autant plus certaine, que l’on sait aujourd’hui qu’aucune langue n’admet une exacte synonymie. Il me paroît assez vraissemblable que la terminaison issare n’exprime qu’une imitation de langage, & que la terminaison ari exprime une imitation de conduite, de mœurs : alticissare (parler comme les Athéniens), patrissare (parler en pere) ; græcari (boire comme les Grecs), vulpinari (agir en renard, ruser). Les verbes imitatifs de la premiere espece ont une terminaison active, parce que l’imitation de langage n’est que momentanée, & dépendante de quelques actes libres qui se succedent de loin à loin, ou même d’un seul acte. Au contraire les verbes imitatifs de la seconde espece ont une terminaison passive ; parce que l’imitation de conduite & de mœurs est plus habituelle, plus continue, & qu’elle fait même prendre les passions qui caractérisent les mœurs, de maniere que le sujet qui imite est pour ainsi dire transformé en l’objet imité : græcari (être fait grec), vulpinari (être fait renard : de sorte qu’il est à présumer que ces verbes, réputés déponens à cause de la maniere active dont nous les traduisons, & peut-être même à cause du sens actif que les Latins y avoient attaché, sont au fond de vrais verbes passifs, si on les considere dans leur origine & selon le véritable sens littéral. Dans la réalité, les uns & les autres, à raison de leur signification usuelle, sont des verbes actifs, absolus ; actifs, parce qu’ils expriment l’action d’imiter ; absolus, parce que le sens en est complet & défini en soi, & n’exige aucun complément extérieur.

Remarquons que la terminaison latine en issare ne suffit pas pour en conclure que le verbe est imitatif : l’assonnance seule n’est pas un guide assez sûr dans les recherches analogiques ; il faut encore faire attention au sens des mots & à leur véritable origine. C’est en quoi il me semble qu’a manqué Scaliger (De caus. ling. lat. cap. cxxiij.), lorsqu’il compte parmi les verbes imitatifs le verbe cyathissare : ce n’est pas qu’il ne sente qu’il n’y a point ici de véritable imitation : neque enim, dit-il, aut imitamur aut sequimur Cyathum ; mais il aime pourtant mieux imaginer une métonymie, que d’abandonner l’idée d’imitation qu’il croyoit voir dans la terminaison. Le verbe grec qui correspond à cyathissare, c’est κυαθύζειν, & non pas κυαθίζειν, comme les vrais imitatifs ; ce qui prouve que l’assonnance de cyathissare avec les verbes imitatifs est purement accidentelle, & n’a nul trait à l’imitation.

* IMITATION, s. f. (Gramm. & Philosoph.) c’est la représentation artificielle d’un objet. La nature aveugle n’imite point ; c’est l’art qui imite. Si l’art imite par des voix articulées, l’imitation s’appelle discours, & le discours est oratoire ou poétique. Voyez Eloquence & Poésie. S’il imite par des sons, l’imitation s’appelle musique. Voyez l’article Musique. S’il

imite par des couleurs, l’imitation s’appelle peinture. Voyez l’article Peinture. S’il imite avec le bois, la pierre, le marbre, ou quelque autre matiere semblable, l’imitation s’appelle sculpture. Voyez l’article Sculpture. La nature est toujours vraie ; l’art ne risquera donc d’être faux dans son imitation que quand il s’écartera de la nature, ou par caprice ou par l’impossibilité d’en approcher d’assez près. L’art de l’imitation en quelque genre que ce soit, a son enfance, son état de perfection, & son moment de décadence. Ceux qui ont créé l’art, n’ont eu de modele que la nature. Ceux qui l’ont perfectionné, n’ont été, à les juger à la rigueur, que les imitateurs des premiers ; ce qui ne leur a point ôté le titre d’hommes de génie ; parce que nous apprétions moins le mérite des ouvrages par la premiere invention & la difficulté des obstacles surmontés, que par le degré de perfection & l’effet. Il y a dans la nature des objets qui nous affectent plus que d’autres ; ainsi quoique l’imitation des premiers soit peut être plus facile que l’imitation des seconds, elle nous intéressera davantage. Le jugement de l’homme de goût & celui de l’artiste sont bien différens. C’est la difficulté de rendre certains effets de la nature, qui tiendra l’artiste suspendu en admiration. L’homme de goût ne connoît guere ce mérite de l’imitation ; il tient trop au technique qu’il ignore : ce sont des qualités dont la connoissance est plus générale & plus commune, qui fixeront ses regards. L’imitation est rigoureuse ou libre ; celui qui imite rigoureusement la nature en est l’historien. Voyez Histoire. Celui qui la compose, l’exagere, l’affoiblit, l’embellit, en dispose à son gré, en est le poëte. Voyez Poésie. On est historien ou copiste dans tous les genres d’imitation. On est poëte, de quelque maniere qu’on peigne ou qu’on imite. Quand Horace disoit aux imitateurs, ô imitatores servum pecus, il ne s’adressoit ni à ceux qui se proposoient la nature pour modele, ni à ceux qui marchant sur les traces des hommes de génie qui les avoient précédés, cherchoient à étendre la carriere. Celui qui invente un genre d’imitation est un homme de génie. Celui qui perfectionne un genre d’imitation inventé, ou qui y excelle, est aussi un homme de génie. Voyez l’article suivant.

Imitation, s. f. (Poésie. Rhétor.) on peut la définir, l’emprunt des images, des pensées, des sentimens, qu’on puise dans les écrits de quelque auteur, & dont on fait un usage, soit différent, soit approchant, soit en enchérissant sur l’original.

Rien n’est plus permis que d’user des ouvrages qui sont entre les mains de tout le monde ; ce n’est point un crime de les copier ; c’est au contraire dans leurs écrits, selon Quintilien, qu’il faut prendre l’abondance & la richesse des termes, la variété des figures, & la maniere de composer : ensuite, ajoute cet orateur, on s’attachera fortement à imiter les perfections que l’on voit en eux ; car on ne doit pas douter qu’une bonne partie de l’art ne consiste dans l’imitation adroitement déguisée.

Laissons dire à certaines gens que l’imitation n’est qu’une espece de servitude qui tend à étouffer la vigueur de la nature ; loin d’affoiblir cette nature, les avantages qu’on en tire ne servent qu’à la fortifier. C’est ce que M. Racine a prouvé solidement dans un mémoire agréable, dont le précis décorera cet article.

Stésychore, Archiloque, Hérodote, Platon, ont été des imitateurs d’Homere, lequel vraissemblablement n’a pû lui-même, sans imitation de ceux qui l’ont précédé, porter tout d’un coup la Poésie à son plus haut point de perfection. Virgile n’écrit presque rien qu’il n’imite ; tantôt il suit Homere, tantôt Théocrite, tantôt Hésiode, & tantôt les poëtes de son tems ; & c’est pour avoir eu tant de modeles,