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mais des modes du verbe pris en détail : de maniere que l’on peut distinguer dans un même verbe, des modes personnels & des modes impersonnels ; mais on ne peut dire d’aucun verbe, qu’il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

Les modes sont personnels ou impersonnels, selon que le verbe y reçoit ou n’y reçoit pas des inflexions relatives aux personnes ; & cette différence vient de celle des points de vûe sous lesquels on y envisage la signification essentielle du verbe. (Voyez Modes.) L’indicatif, l’impératif, & le subjonctif, sont des modes personnels ; l’infinitif & le participe sont des modes impersonnels. Les premiers sont personnels, parce que le verbe y reçoit des inflexions relatives aux personnes : à l’indicatif, 1. amo, 2. amas. 3. amat ; à l’impératif 2. ama ou amato, 3. amato ; au subjonctif, 1. amem, 2. ames, 3. amet. Les derniers sont impersonnels, parce que le verbe n’y reçoit aucune inflexion relative aux personnes : à l’infinitif, amare & amavisse n’ont de rapport qu’au tems ; au participe, amatus, a, um, amandus, a, um, ont rapport au temps, au genre, au nombre, & au cas, mais non pas aux personnes.

Or il n’y a aucun verbe, dont la signification essentielle & générique ne puisse être envisagée sous chacun des deux points de vûe qui fondent cette différence de modes : on ne peut donc dire d’aucun verbe, qu’il soit totalement personnel, ou totalement impersonnel.

On m’objectera peut-être que la signification des mots étant arbitraire, les Grammairiens ont pu donner la qualification d’impersonnels à certains verbes défectifs qui n’ont que la troisieme personne du singulier, & qui s’emploient sans application à aucun sujet déterminé ; qu’en ce cas, leur usage devient pour nous une loi inviolable, malgré toutes les raisons d’analogie & d’étymologie que l’on pourroit alléguer contre leur pratique.

Je connois toute l’étendue des droits de l’usage en fait de langue : mais j’observerai avec le P. Bouhours, (Rem. nouv. tom. ij. pag. 340.) que comme il y a un bon usage qui fait la loi en matiere de langue, il y en a un mauvais contre lequel on peut se révolter justement ; & la prescription n’a point lieu à cet égard : j’ajoûterai avec M. de Vaugelas, (Rem. sur la langue franç. tom. I. préf. pag. 20.) que le mauvais usage se forme du plus grand nombre de personnes, qui presque en toutes choses n’est pas le meilleur ; que le bon au contraire est composé, non pas de la pluralité, mais de l’élite des voix ; & que c’est véritablement celui que l’on nomme le maître des langues. Si ces deux écrivains, reconnus avec justice pour les plus sûrs appréciateurs de l’usage, ont pu en distinguer un bon & un mauvais dans le langage national, & faire dépendre le bon de l’élite, & non de la pluralité des voix ; combien n’est-on pas plus fondé à suivre la même regle en fait du langage didactique, où tout doit être raisonné, & transmettre avec netteté & précision les notions fondamentales des Sciences & des Arts ? Si l’usage, dit encore M. de Vaugelas, (ibid. pag. 19.) n’est autre chose, comme quelques-uns se l’imaginent, que la façon ordinaire de parler d’une nation dans le siége de son empire ; ceux qui y sont nés & élevés, n’auront qu’à parler le langage de leurs nourrices & de leurs domestiques pour bien parler la langue de leur pays. J’en dis autant du langage didactique : s’il ne faut qu’adopter la façon ordinaire de parler de ceux qui se mêlent d’expliquer les principes des Arts & des Sciences ; il n’y a plus de choix à faire, les termes techniques ne seront plus techniques, par la raison même que souvent ils seront introduits par le hasard, ou même par l’erreur, plûtôt que par la réflexion & par l’art.

Tel est en effet le mot impersonnel ; on l’applique mal, & il suppose faux. J’ai déja fait sentir qu’il est mal appliqué, quand j’ai remarqué qu’il désigne comme privés de toutes personnes les prétendus verbes impersonnels, dans lesquels on reconnoît néanmoins une troisieme personne du singulier. Pour ce qui est de la supposition de faux, elle consiste en ce que les Grammairiens s’imaginent que ces verbes s’emploient sans application à aucun sujet déterminé, quoiqu’ils ne soient pas à l’infinitif, qui est le seul mode où le verbe puisse être dans cette indétermination. Voyez Infinitif.

Mais ne nous contentons pas d’une remarque si générale ; peut-être ne seroit-elle pas suffisante pour les Grammairiens qu’il s’agit de convaincre. Entrons dans une discussion détaillée des exemples les plus plausibles qu’ils alleguent en leur faveur. Ces verbes prétendus impersonnels sont de deux sortes ; les uns ont une terminaison active, & les autres une terminaison passive.

I. Parmi ceux de la premiere sorte, arrêtons-nous d’abord à cinq, qui dans les rudimens font ordinairement une figure très-considérable ; savoir miseret, piget, pœnitet, pudet, tædet. On a déja indiqué, article Génitif, que ces verbes étoient réellement personnels, & appliqués à un sujet déterminé : le génitif qui les accompagne pour l’ordinaire, suppose un nom appellatif qui le précede dans l’ordre analytique, & dont il doit être le déterminatif ; que feroit-on de ce nom appellatif communément sousentendu, si on ne le mettoit au nominatif comme sujet grammatical des verbes en question ? On trouve à l’article Génitif, plusieurs exemples où l’on a suppléé ainsi ce nom ; mais on ne s’y est autorisé pour le faire, que d’un seul texte de Plaute, (stich. in arg.) & me quidem hæc conditio nunc non pænitet, (& à la vérité cette condition ne me peine point à présent) ; explication littérale, qui fait assez sentir combien est possible l’application de ce verbe à d’autres sujets. Voici des preuves de fait pour les autres. On lit dans Valerius Flaccus, (lib. II. de Vulcano), Adelinem scopulo inveniunt, miserentque, foventque ; où l’on voit miserent au pluriel, & appliqué au même sujet que les deux autres verbes inveniunt & fovent. Plaute nous fournit un passage où piget & pudet tout-à-la-fois sont appliqués personnellement, s’il est possible de le dire : quod pudet faciliùs fertur quàm illud quod piget ; (in Pseud.) Lucain emploie pudebunt au pluriel ; semper metuit quem soeva pudebunt supplicia ; & l’on trouve pudent dans Térence, non te hæc pudent ? (in Adelph.) Pour ce qui est de toedet, on le trouve avec un sujet au nominatif dans Séneque, (lib. I. de irâ) ira ea toedet quæ invasit : & Aulu-Gelle, (lib. I.) s’en sert même au pluriel ; verbis ejus defatigati pertæduissent.

S’il s’agit des verbes qui expriment l’existence des météores & autres phénomenes naturels, comme pluit, fulminat, fulgurat, lucescit ; ils sont dans le même cas que les précédens. On trouve dans les écrivains les plus sûrs, des exemples où ils sont accompagnés de sujets particuliers, comme tous les autres verbes reconnus pour personnels. Malum quam impluit cæteris, non impluat mihi ; (Plaut. Mostell.) Multus ut in terras deplueritque lapis ; (Tib. lib. II.) non densior aëre grando, nec de concussâ tantum pluit ilice glandis ; (Virg. Geor. IV.) Fulminat Æneas armis ; (Id. Æn. XII.) Antra ætnea tonant (Id. Æn. VIII.) Et elucescet aliquando ille dies ; (Cic. pro Mil.) Vesperascente coelo Thebas possunt pervenire (Corn. Nep. Pelop.) Il seroit superflu d’accumuler un plus grand nombre d’exemples ; mais je remarquerai que la maniere dont quelques grammairiens veulent que l’on supplée le sujet de ces verbes, lorsqu’il n’est pas exprimé, ne me paroît pas assez juste :