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Le feu roi de Danemark, alors prince royal, non-seulement s’intéressa dans ce commerce, mais, pour l’animer encore davantage, il s’en déclara le directeur. On tint une assemblée générale en sa présence, & on y élut du nombre des intéressés, huit syndics (committirse) pour avoir soin de l’intérêt de la société. Les souscriptions s’étant bientôt remplies, on fit partir pour la Chine le Prince Royal, commandé par le capitaine Tonder, aujourd’hui vice amiral, & pour Tranquebar les vaisseaux Fréderic IV. & le Lion d’or. Bientôt après on expédia deux autres vaisseaux pour Tranquebar ; savoir, la Reine Anne-Sophie & la Wendela : tous ces vaisseaux revinrent heureusement à Copenhague, excepté le Lion d’or, qui échoua sur les côtes d’Irlande.

Ces premiers arrangemens ayant réussi, & leur retour ayant justifié les avantages qu’on pourroit tirer du commerce de la Chine, le prince royal devenu roi sous le nom de Chrétien VI, crut devoir former une compagnie plus étendue, & plus en état de continuer la navigation de l’Inde & de la Chine. Pour cet effet S. M. expédia le 12 Avril 1732, un octroi de 40 ans à la compagnie, lui accorda, avec le titre de compagnie royale des Indes, des prééminences, priviléges & franchises, & ordonna que les intéressés des sociétés de l’an 1729, 1730 & 1731 y seroient admis préférablement.

Ces anciens intéressés & les nouveaux s’unirent, & convinrent d’un réglement, qui prescriroit les opérations de la compagnie. Ensuite on tint une assemblée générale, dans laquelle on élut pour président Chrétien-Louis de Plessen, ministre d’état, & on lui adjoignit quatre directeurs & cinq hauts-participans pour former la direction, pourvoir aux besoins, & veiller au maintien, à la sûreté & aux avantages de la société.

C’est ainsi que se forma en 1732 la compagnie royale danoise des Indes orientales & de la Chine, continuée jusqu’à présent. Son commencement consista en 400 actions, chacune de 250 écus courans de Danemark, pour faire le fonds constant de la compagnie : ensuite les intéressés fournirent au prorata par action les frais nécessaires pour l’achat & l’équipement des vaisseaux qu’on avoit résolu de mettre en mer. Le produit du fonds constant fut employé en partie à l’acquisition des maisons, magasins & effets que les anciennes compagnies avoient, tant à Copenhague qu’à Tranquebar, & à faire passer dans l’Inde un fonds qui y resteroit toûjours, pour y soûtenir les fabriques. A mesure que le commerce a prospéré, la compagnie a ajoûté à ses bâtimens & magasins, & a augmenté le fonds continuel de Tranquebar.

Pour donner aux lecteurs une idée juste de l’état actuel de cette compagnie, je pourrois leur mettre devant les yeux les opérations d’année en année ; mais comme ce détail seroit également long & ennuyeux, il suffira de dire que par le résultat que j’en ai tiré, il paroît que la nouvelle compagnie, depuis sa naissance en 1732 jusqu’en 1753 exclusivement, a expédié 60 vaisseaux, dont 28 pour Tranquebar, & 32 pour la Chine. Elle en a eu de retour 43 ; savoir, 19 de l’Inde, & 24 de Canton. Sept de ses vaisseaux se sont entierement perdus, six autres ont échoué, & quatre ont été abandonnés. Malgré ces malheurs, le prix des actions étoit en 1754, tout assuré & tout fourni, d’onze mille jusqu’à 11600 écus de Danemark. Le fonds roulant, c’est-à-dire ce que chaque action a contribué à l’achat, équipement & cargaison des vaisseaux arrivés en 1754, ou en mer, se montoit par vieilles actions à 7750 écus 2 marcs 6 schelings, qui ajoûtés au fonds constant, qui est de 750 écus, donne 8500 écus 2 marcs 6 schelings, prix intrinseque ; le reste, savoir, 2499 écus 3 marcs 10 schelings, est pour l’assurance & le profit de ceux

qui vendent des actions au prix de 11600 écus.

Nous ne ferons pas l’énumération des petits établissemens & des comptoirs que la compagnie danoise possede actuellement dans l’Inde ; nous dirons seulement que depuis peu elle a fait un fonds à Tranquebar pour renouveller le commerce du poivre, & bâtir une loge sur la côte de Travancoor.

Il est bien singulier qu’après tant de malheurs consécutifs éprouvés pendant plus d’un siecle, cette compagnie, cent fois culbutée, détruite, anéantie, se soutienne encore au milieu de la rivalité du même trafic par les trois puissances maritimes. Mais on ne doit pas douter que la protection constante des rois de Danemark, les soins que se sont donnés ceux qui successivement en ont été les présidens ; une direction économe, sage, attentive & desintéressée, une liberté entiere, exempte de gêne dans les assemblées générales & annuelles, où toutes les opérations se décident, ne soient les vraies sources de la subsistance & de la prospérité de cette compagnie, supérieure à ce que les intéressés oserent jamais s’en promettre. (D. J.)

INDE, s. m. (Commerce.) drogue fort employée dans la teinture pour le bleu, & qu’on nomme autrement indigo. Voyez Indigo. (D. J.)

Inde, rouge d’(Hist. nat.) Les Anglois nomment indiam red. ou rouge d’Inde, une espece d’ochre d’un beau pourpre, très-pesante, très-dure & compacte, remplie de particules luisantes, qui colore fortement les mains, s’attache à la langue, est d’un goût austere & astringent ; elle fait une ébullition très-vive lorsqu’elle est jettée dans l’eau, mais elle ne s’y divise point ; elle durcit dans le feu sans changer de couleur. On trouve une grande quantité de cette terre dans l’isle d’Ormus, dans le golphe persique, d’où on la transporte dans l’Inde, où l’on s’en sert pour peindre les maisons. C’est une très-bonne couleur. Voy. Mender d’Acosta, Hist. nat. des fossiles. (—)

* INDÉCENT, adj. (Gram. & Morale.) qui est contre le devoir, la bienséance & l’honnêteté. Un des principaux caracteres d’une belle ame, c’est le sentiment de la décence. Lorsqu’il est porté à l’extrême délicatesse, la nuance s’en répand sur-tout, sur les actions, sur les discours, sur les écrits, sur le silence, sur le geste, sur le maintien ; elle releve le mérite distingué ; elle pallie la médiocrité ; elle embellit la vertu ; elle donne de la grace à l’ignorance.

L’indécence produit les effets contraires. On la pardonne aux hommes, quand elle est accompagnée d’une certaine originalité de caractere, d’une gaiété particuliere & cynique, qui les met au-dessus des usages : elle est insupportable dans les femmes. Une belle femme indécente est une espece de monstre, que je comparerois volontiers à un agneau qui auroit de la férocité. On ne s’attend point à cela. Il y a des états dont on n’ose exiger la décence : l’anatomiste, le médecin, la sage-femme sont indécents sans conséquence. C’est la présence des femmes qui rend la société des hommes décente. Les hommes seuls sont moins décents. Les femmes sont moins décentes entr’elles qu’avec les hommes. Il n’y a presqu’aucun vice qui ne porte à quelqu’action indécente. Il est rare que le vicieux craigne de paroître indécent. Il se croit trop heureux quand il n’a que cette foible barriere à vaincre. Il y a une indécence particuliere & domestique ; il y en a une générale & publique. On blesse celle-ci peut-être toutes les fois qu’entraîné par un goût inconsidéré pour la vérité, on ne ménage pas assez les erreurs publiques. Le luxe d’un citoyen peut devenir indécent dans les tems de calamité ; il ne se montre point sans insulter à la misere d’une nation. Il seroit indécent de se réjouir d’un succès particulier au moment d’une affliction publique. Comme la décence consiste dans une attention