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rer du point exact de séparation, il prend de tems en tems, avec une tasse d’argent bien propre, un peu de la teinture ; il la regarde attentivement, & s’il s’apperçoit que les molécules colorées se rassemblent en se séparant du reste de la liqueur, il fait promptement cesser le mouvement des sceaux, pour donner le tems à la fécule bleue de se précipiter au fond de la cuve, où on la laisse se rasseoir jusqu’à ce que l’eau soit totalement déféquée & éclaircie ; alors on débouche successivement des trous percés à différentes hauteurs, par lesquels cette eau étant regardée comme inutile, se répand en dehors des cuves.

La fécule bleue qui est restée au fond de la batterie, ayant acquis la consistance d’une boue liquide, on ouvre les robinets, & on la fait passer dans le reposoir ; c’est dans cette derniere cuve qu’elle se repose & se dégage encore de beaucoup d’eau superflue ; on la met ensuite égoutter dans les sacs en forme de chausses, & quand il ne filtre plus d’eau au-travers de la toile, cette matiere, devenue plus épaisse, est vuidée dans les caissons qu’on a eu soin de disposer par rangs sous le hangard, en les élevant sur des planches à quelque distance de terre.

L’indigo ayant achevé de perdre son humidité dans les caissons, est brisé par morceaux, & lorsqu’il est suffisamment sec, on l’enferme dans des tonneaux, pour le livrer aux marchands.

Il résulte des opérations dont on vient de parler, que l’indigo en masse n’est autre chose qu’une simple fécule précipitée & dégagée du sel qui la tenoit suspendue & errante dans l’eau des cuves ; ainsi la définition qu’en donne le P. Labat, dans son voyage aux îles de l’Amérique, n’est pas exacte, lorsqu’il dit, page 178 du premier volume, que l’indigo est composé du sel & de la substance de la plante. Ce n’est pas la seule faute à reprendre dans cet auteur.

La mauvaise odeur qui s’exhale des cuves, lorsqu’elles sont mises en action, fait périr beaucoup d’ouvriers ; c’est une des principales causes de la diminution des indigoteries dans les îles françoises ; peut-être seroit-il possible de remédier à ce danger, en administrant à propos le sel essentiel de la plante que l’eau entraîne avec elle, & que l’on néglige, faute d’en connoître les propriétés ; c’est aux medecins qui sont dans le pays, à faire sur cela les observations qu’ils croiront nécessaires. On peut aisément retirer ce sel au moyen de la crystallisation, ou par évaporation de l’eau jusqu’à siccité, s’il n’est pas de nature à crystalliser.

Les Teinturiers emploient l’indigo avec différentes drogues, pour teindre en bleu les étoffes de soie & de laine.

Voici la préparation de l’indigo pour la teinture des toiles aux Indes orientales.

L’ouvrier ayant réduit en poudre une certaine quantité d’indigo, la met dans un grand vase de terre qu’il remplit d’eau froide ; il y joint une quantité proportionnée de chaux, réduite pareillement en poussiere ; ensuite il flaire l’indigo, pour connoître s’il ne sent point l’aigre ; & en ce cas-là, il ajoute encore de la chaux, pour lui faire perdre cette odeur. Prenant alors une suffisante quantité de graines de tavaréi, il les fait bouillir dans un sceau d’eau pendant vingt quatre heures : il verse après cela le tout, eau & graine, dans le vase de l’indigo préparé. Cette teinture se garde pendant trois jours, & l’on a soin de l’agiter quatre ou cinq fois par jour avec un bâton de bambou.

Le bleu étant ainsi préparé, on y trempe la toile enduite de cire, après l’avoir pliée en double, ensorte que le dessus de la toile soit en dehors, & que l’envers soit en dedans. On la laisse tremper environ deux heures dans la préparation d’indigo ; puis on la retire teinte en bleu aux endroits convenables.

On voit par là que les teintures indiennes méritent autant le nom de teintes, que celui de toiles peintes.

La longueur & la multiplicité des opérations pour teindre en bleu, fait naître naturellement un doute ; savoir, si l’on n’auroit pas plutôt fait de peindre avec un pinceau les fleurs en bleu, sur-tout quand il y en a peu de cette couleur dans un dessein. Les Indiens conviennent que cela se pourroit, mais ils disent que ce bleu ainsi peint ne tiendroit pas, & qu’après deux ou trois lessives, il disparoîtroit.

La ténacité & l’adhérence de la couleur bleue, doit être attribuée à la graine de tavaréi, qui croît aux Indes orientales. Elle est d’un brun clair, olivâtre, un peu amere, cylindrique, de la grosseur d’une ligne, & difficile à rompre avec la dent.

De quelque maniere que l’indigo soit préparé, on ne s’en sert en Medecine, ni pour l’extérieur, ni pour l’intérieur ; on prétend même qu’en Saxe il est défendu de l’employer intérieurement : cependant je n’oserois décider que ce fût un poison ; c’est assez de savoir que c’est une drogue lucrative, dont toutes les nations se disputent le commerce. Il semble que les indigos des îles françoises conservent encore l’avantage du bon marché, ruineux pour les indigos des colonies angloises, qui sont néanmoins mieux préparés.

Le bon indigo, non falsifié avec de l’ardoise pilée ou du sable, brûle entierement, lorsqu’on le met sur une pelle rouge. Il est léger, flottant sur l’eau ; & si on le rompt par morceaux, l’intérieur doit être net, d’un beau bleu, très-foncé, tirant sur le violet, & paroissant cuivré, si on le frotte avec un corps poli, ou le dessus de l’ongle.

Celui qu’on nomme guatimalo est fort estimé ; il se fabrique aux environs de Guatimala, ville de la nouvelle Espagne.

On fait encore beaucoup de cas de l’indigo sarquisse, qui se tire d’un village de même nom, situé dans les Indes orientales.

Le prix de cette marchandise varie beaucoup ; on l’a vu plusieurs fois monter d’un écu à 7 liv. 10 s. & même fort au-dessus d’une pistole la livre. (M. L. R.)

Indigo batard, (Botan.) plante extrèmement répandue dans les îles de l’Amérique, ressemblant beaucoup au véritable indigo ; elle donne aussi par la fermentation une couleur bleue, estimée plus parfaite & très-supérieure en beauté, mais en si petite quantité, que les habitans la négligent & la regardent comme la mauvaise herbe du pays.

INDIGOTIER, s. m. (Botan. exotiq.) sorte de sous-arbrisseau étranger, dont on tire la fécule si connue sous le nom d’indigo.

Nous allons parler de cette plante & de sa fécule avec beaucoup d’exactitude, à cause de l’utilité que les arts en retirent, & nous nous attacherons à beaucoup d’ordre & de netteté, pour nous garantir des erreurs qui regnent dans quelques ouvrages de botanique, dans tous nos dictionnaires, & plus encore dans les récits des voyageurs.

Noms latins de l’indigotier chez les Botanistes. Nos Botanistes, soit par système, soit par fantaisie, ont fort différentié leurs noms latins de l’indigotier. Il est appellé indigo vera, coluteæ foliis, utriusque Indiæ, act. philos. Lond. n. 276. pag. 703. Nil sive anil glastum indicum, Park. Theat. 600. Emerus americanus, siliquâ incurvâ, Tourn. Inst. 666. Coronilla indica ex quâ indigo volch. 124. Caachira prima, Pis. (ed. 1658.) 198. Hervas de anil, lusitanis, Marcgr. 57. Xiuhquilith pitzahac, sive anil tenuifolia, Hern. 108. Colutea indica herbacea, ex quâ indigo, Herm. Cat. Hort. Lugd. Bat. 168. & Hort. Monsp. 61. Coluteæ affinis fructicosa, floribus spicatis, purpurascentibus, siliquis incurvis, è cujus tincturâ indigo conficitur, Cat. Jamaïc. 141. Hist. 2. 34. Tabula 189. fol. 2. Sban aniliferum indicum, coronillæ