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tion & non de la dispute. Il falloit d’abord comparer les deux caracteres l’un avec l’autre, pour voir en quoi ils different, en quoi ils se ressemblent, & quel est celui dans lequel on reconnoît le mieux l’antique. Il falloit ensuite rapprocher des deux alphabets les lettres greques nommées lettres phéniciennes par les Grecs eux-mêmes, parce qu’elles étoient originaires de la Phénicie. Comme cette contrée differe peu de la Palestine, il étoit assez naturel d’examiner les caracteres d’écritures qui en sont sortis, pour remarquer s’il n’y auroit point entre eux & les caracteres hébreux & samaritains des rapports communs qui pussent donner quelque lumiere sur l’antiquité des deux derniers ; c’est ce que nous allons faire ici.

Le simple coup-d’œil fait appercevoir une différence sensible entre les deux caracteres orientaux ; l’hébreu net, distinct, régulier, & presque toûjours quarré, est commode & courant dans l’Ecriture ; le samaritain plus bisarre, & beaucoup plus composé, présente des figures qui ressemblent à des hieroglyphes, & même à quelques-unes de ces lettres symboliques qui sont encore en usage aux confins de l’Asie. Il est difficile & long à former, & tient ordinairement beaucoup plus de place ; nous pouvons ensuite remarquer que plusieurs caracteres hébreux, comme aleph, beth, zain, heth, theth, lamed, mem, nun, resch, & schin, ne sont que des abbréviations des caracteres samaritains qui leur correspondent, & que l’on a rendus plus courans & plus commodes ; d’où nous pouvons déjà conclure que le caractere samaritain est le plus ancien ; sa rusticité fait son titre de noblesse.

La comparaison des lettres greques avec les samaritaines ne leur est pas moins avantageuse. Si l’on en rapproche les majuscules alpha, gamma, delta, epsilon, zeta, heta, lambda, pi, ro & sigma, on les reconnoîtra aisément dans les lettres correspondantes aleph, gimel, daleth, hé, zain, heth, lamed, phé, resch & schin,


avec cette différence cependant que dans le grec elles sont pour la plûpart tournées en sens contraire, suivant l’usage des Occidentaux qui ont écrit de gauche à droite, ce que les Orientaux avoient figuré de droite à gauche. De cette derniere observation il résulte que le caractere que nous nommons samaritain étoit d’usage dans la Phénicie dès les premiers tems historiques, & même auparavant, puisque l’arrivée des Phéniciens & de leur alphabet chez les Grecs se cache pour nous dans la nuit des tems mythologiques.

Nos observations ne seront pas moins favorables à l’antiquité des caracteres hébreux. Si l’on compare les minuscules

des Grecs avec eux, on reconnoîtra de même qu’elles en ont pour la plûpart été tirées, comme les majuscules l’ont été du samaritain, & l’on remarquera qu’elles sont aussi représentées en sens contraire. Par cette double analogie des lettres greques avec les deux alphabets orientaux, nous devons donc juger 1°. que tout ce qui a été tant de fois débité sur la nouveauté du caractere hébreu ; sur Esdras, qu’on en a fait l’inventeur ; & sur Babylone, d’où l’on dit que les captifs l’ont apporté, ne sont que des fables qui démontrent le peu de connoissance qu’ont eu les Juifs de leur histoire littéraire, puisqu’ils ont ignoré l’antiquité de leurs caracteres, qui avoient été communiqués aux Européens plus de mille ans avant ce retour de Babylone : 2°. que les deux caracteres nommés aujourd’hui hébreu & samaritain, ont originairement appartenu au même peuple, & particulierement aux anciens habitans de la Phénicie ou Palestine, & que le samaritain cependant doit avoir quelque antériorité sur l’hébreu, puisqu’il a visiblement servi à sa construction, & qu’il a produit les majuscules greques ; étant vraissemblable que les premieres écritures ont consisté en grandes lettres, & que les petites n’ont été inventées & adoptées que lorsque cet art est devenu plus commun & d’un usage plus fréquent.

Au tableau de comparaison que nous venons de faire de ces trois caracteres, il n’est pas non plus inutile de joindre le coup-d’œil des lettres latines ; quoiqu’elles soient censées apportées en Italie par les Grecs, elles ont aussi des preuves singulieres d’une relation directe avec les Orientaux. On ne nommera ici que C, L, P, q & r, qui n’ont point tiré leur figure de la Grece, & qui ne peuvent être autre que le caph, le lamed, le phé final, le qoph, & le resch de l’alphabet hébreu, vûs & dessinés en sens contraire


ce qui présente un nouveau monument de l’antiquité des lettres hébraïques. Comme nous ne pouvons fixer les tems où les navigateurs de la Phénicie ont porté leurs caracteres & leur écriture aux différens peuples de la Méditerranée, il nous est encore plus impossible de désigner la source d’où les Phéniciens & les Israélites les avoient eux-mêmes tirés ; ce n’a pû être sans doute que des Egyptiens ou des Chaldéens, deux des plus anciens peuples connus, dont les colonies se sont répandues de bonne heure dans la Palestine. Mais en vain desirerions-nous savoir quelque chose de plus précis sur l’origine de ces caracteres & sur leur inventeur ; les tems où les Egyptiens & les Chaldéens ont abandonné leurs symboles primitifs & leurs hiéroglyphes, pour transmettre l’Histoire par l’écriture, n’a point de date dans aucune des annales du monde : nous n’oserions même assûrer que ces caracteres hébreux & samaritains ayent été les premiers caracteres des sons. La lettre quarrée des Hébreux est trop simple pour avoir été la premiere inventée ; & celle des Samaritains n’est peut-être point assez composée ; d’ailleurs ni l’une ni l’autre ne semblent être prises dans la nature ; & c’est l’argument le plus fort contre elles, parce qu’il est plus que vraissemblable que les premieres lettres alphabétiques ont eu la figure d’animaux, ou de parties d’animaux, de plantes, & d’autres corps naturels dont on avoit déjà fait un si grand usage dans l’âge des symboles ou des hiéroglyphes. Ce que l’on peut penser de plus raisonnable sur nos deux alphabets, c’est qu’étant dépourvûs de voyelles, ils paroissent avoir été un des premiers degrés par où il a fallu que passât l’esprit humain pour amener l’écri-