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qu’on ne pouvoit se dispenser entierement de démontrer les converses ; erreur qui leur est commune avec toutes les personnes qui, n’ayant pas naturellement l’esprit net, n’y ont pas un peu suppléé par l’étude de la philosophie.

Troisieme question. La même proposition a-t-elle plusieurs converses toutes aussi vraies qu’elle ?

Je répondrai encore une fois en distinguant : le choix des qualités dont on veut composer l’hypothèse & la thèse étant une fois déterminé, il n’est plus possible de convertir la proposition de plus d’une maniere ; mais, si l’on n’avoit encore déterminé que la qualité qui doit former la these de la directe, on pourroit varier de plusieurs manieres l’expression de cette directe, & par conséquent l’expression & le fond même de sa converse ; savoir, en tirant du sujet pris selon l’acception commune, tantôt une qualité & tantôt une autre, pour en former ce que j’appelle l’hypothèse. A présent, si l’on me demande quelles regles doit suivre un auteur dans le choix de la qualité qu’il destine à former l’hypothèse de la directe ; je répondrai en général, qu’il doit préférer celle qui devenue thèse à son tour, formera la converse la plus utile & la plus élégante. Mais voici une regle plus particuliere : quand on a une classe de théoremes, qui ne different qu’à un seul égard, on doit choisir pour hypothèse la qualité qui constitue cette différence, de sorte que le sujet soit absolument le même dans toutes ces propositions & dans toutes leurs converses. Outre l’uniformité qui résulte de l’observation de cette maxime, ce qui offre plus de commodité à l’attention & à la mémoire ; on en retirera encore l’avantage de pouvoir toujours, sans aucune étude, démontrer les converses de ces sortes de propositions, par une méthode générale qui sera expliquée plus bas. On aura un exemple de ce que je prescris, si dans celui que j’ai allégué à l’occasion de la premiere question, à la place des nombres trois & deux, dont l’un est dans l’hypothèse & l’autre dans la these, on met les nombres 4 & 4, ou 5 & 6, ou 6 & 8, ou 7 & 10, &c. ou généralement a & 2a − 4 ; ce qui fournira des théorèmes sur la somme des angles d’un quadrilatere, d’un pentagone, & généralement d’un polygone quelconque.

Quatrieme question. Convient-il de faire suivre chaque théoreme par une converse ?

La symétrie le demanderoit : mais premierement, comme les Mathématiques s’étendent tous les jours, sans qu’il en arrive autant à la vie de ceux qui s’y appliquent ; il faut, dans ce siecle sur-tout, sacrifier cet avantage à celui de la briéveté, quand on prévoit que ces converses n’auroient aucune utilité considérable : nous devons imiter la sage retenue d’Euclide, qui, quoiqu’il vécût dans un tems où l’objet des Mathématiques étoit mille fois moins vaste qu’à présent, a sû cependant se borner aux converses dont il avoit besoin pour démontrer ses principaux théorèmes, sans qu’on ait lieu de soupçonner un si grand génie d’avoir agi de la sorte par incapacité. En second lieu, on est bien forcé, sur-tout dans les Mathématiques mixtes, d’abandonner souvent le projet d’insérer certaines converses dans un traité, faute de pouvoir en donner la démonstration. Il est bien plus aisé de descendre des causes aux effets, que de remonter des effets aux causes. Le nombre des causes combinées dont on cherche le résultat, étant arbitraire, ce nombre est connu & aussi petit que l’on veut ; au lieu que celui des effets devant être puisé dans la nature, sous peine de se perdre dans des conclusions chimériques ; ce nombre nous est souvent inconnu par l’imperfection de nos sens, & même il est souvent trop considérable pour les forces de notre entendement : sans ces deux obstacles, rien n’empêcheroit que nous ne pussions acquérir sur les

causes physiques des lumieres aussi certaines que celles dont nous jouissons à l’égard de la Géométrie pure ; sçavoir, en employant la voie d’exclusion pour découvrir les converses en Physique, comme on le fait ordinairement en Géométrie pour les démontrer ; mais comment mettre en usage cette méthode, quand on ne peut pas avoir des énumérations complettes, & que la rejection de chaque membre de cette énumération exige des calculs dont nous avons à peine les élémens ? Ceci nous mene tout naturellement à la question suivante.

Cinquieme question. Quelle méthode doit-on mettre en usage pour la démonstration des converses ?

On peut les démontrer d’une maniere qui n’ait aucun rapport avec celle qu’on aura employée pour leurs directes, lorsqu’on est assez heureux pour trouver sans efforts un moyen considérablement plus abrégé ou plus élégant que celui sur lequel on a fondé la certitude de ces directes ; mais voici deux méthodes générales, dont peuvent faire usage ceux qui n’ont pas le génie ou le loisir nécessaire pour faire mieux ; méthodes qui pourront plaire d’ailleurs aux amateurs de l’uniformité, vu la relation qu’elles mettent entre les démonstrations des propositions converses l’une de l’autre.

Pour rendre la premiere méthode appliquable à un théoreme donné, il faut à ce théoreme en joindre un autre dont le sujet soit le même, mais dont l’hypothese & la thèse soient précisément l’opposé de celles de ce premier. Cette seconde directe étant démontrée, ce qui est ordinairement fort aisé à celui qui a déjà démontré la premiere, il faut démontrer la converse de cette premiere, en disant simplement que si elle n’avoit pas lieu, la seconde directe seroit fausse, & démontrer la converse de la seconde, en avertissant seulement que si elle n’étoit pas vraie, la premiere directe ne le seroit pas non plus. Quoique cette méthode soit fort connue, j’espere qu’on me pardonnera d’en rapporter ici la formule, en considération de la regle que j’ai donnée en répondant à la troisieme question, vu que cette regle en deviendra plus intelligible encore, ce qui arrivera aussi aux réflexions que je joindrai à la formule.

Premiere directe. Dans tout sujet qui a les qualités A, B, &c. si la quantité p est égale à la quantité q, la quantité r sera égale à la quantité s.

Seconde directe. Dans tout, &c. si p n’est pas égale à q, r ne sera pas égale à s.

Premiere converse. Dans tout, &c. si r est égale à s, p sera égale à q.

Démonstration. Si p & q étoient inégales, r & s le seroient aussi par la seconde directe ; mais r & s sont supposées égales, donc p & q ne sauroient être inégales.

Seconde converse. Dans tout, &c. si r n’est pas égale à s, p ne sera pas égale à q.

Démonstr. Si p & q étoient égales, r & s le seroient aussi par la premiere directe ; mais r & s sont supposées inégales, donc p & q ne sauroient être égales.

Pour éviter l’idée négative qu’offre l’inégalité prise abstraitement, & les raisonnemens négatifs qu’elle exige quelquefois, on la distribue souvent en deux cas, celui de majorité & celui de minorité ; ce qui donne à la vérité trois directes & trois converses au lieu de deux : Si, dit-on, p=q, on aura r=s ; si p > q, on aura r > s ; & si p < q, on aura r < s, & réciproquement.

On peut même diviser l’inégalité d’une maniere plus déterminée encore, & en quelque façon plus positive, en lui substituant séparément différentes égalités, comme on peut s’en éclaircir par l’exemple des diverses valeurs de la somme des angles des divers polygones : cette méthode fournit un grand nombre de directes, quelquefois une infinité qu’on doit dé-