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un lieu nommé muspelheim ; c’est un monde lumineux, ardent, inhabitable aux étrangers, situé à l’extrémité de la terre ; Surtur le noir y tient son empire ; dans ses mains brille une épée flamboyante ; il viendra à la fin du monde ; il vaincra tous les dieux, & livrera l’univers en proie aux flammes.

Ces morceaux tirés de l’Edda, font connoître quelle étoit l’imagination de ces anciens Celtes, & leurs idées sur la formation du monde & sur sa destruction, qui devoit entraîner les dieux & les hommes. On voit aussi que leurs dogmes tendoient à exciter le courage, puisqu’ils assignoient des places aux enfers pour ceux qui mouroient de vieillesse & de maladie ; quant à ceux qui périssoient dans les combats, ils alloient au sortir de ce monde dans un séjour nommé valhalla, ou le palais d’Odin, où ils passoient leur tems en festins & en batailles. Voyez Odin, & voyez Valhalla.

Suivant cette mythologie, il y avoit trois grands dieux ; Odin, qui s’appelloit le pere des dieux & des hommes, & de toutes les choses produites par sa vertu ; Frigga, la terre, étoit sa fille & sa femme, & il a eu d’elle le dieu Thor ; c’étoient-là les trois grandes divinités des peuples du Nord. Ils reconnoissoient outre cela plusieurs autres dieux subalternes ; Balder étoit le second fils d’Odin ; on croit que c’est Belenus ou le Soleil. Niord étoit le Neptune des Scandinaves ; il eut un fils & une fille nommés Frey & Freya ; le premier étoit le dieu qui présidoit aux saisons ; Freya étoit la déesse de l’Amour ou la Vénus des Celtes. Tyr, étoit le dieu de la guerre, très révéré par des peuples chez qui la valeur étoit la plus haute des vertus. Heimdall étoit un dieu puissant : on l’appelloit le gardien des dieux ; il défendoit le pont de Bifrost, c’est-à-dire, l’arc-en-ciel, pour empêcher les géants d’y passer pour aller attaquer les dieux dans le ciel. Le dieu Hœder étoit aveugle, mais extrèmement fort ; Vidar étoit un dieu puissant ; Vali ou Vile étoit fils d’Odin & de Rinda ; Uller étoit le gendre de Thor ; Forsete étoit fils de Balder ; c’étoit le dieu de la réconciliation, & il assoupissoit toutes les querelles.

Quelques-uns mettent Loke au rang des dieux ; mais il étoit fils d’un géant, & l’Edda l’appelle le calomniateur des dieux, l’artisan des tromperies, & l’opprobre des dieux & des hommes ; il paroît que les Scandinaves vouloient designer sous ce nom le diable ou le mauvais principe.

Les déesses dont il est fait mention dans l’Edda, sont Frigga, femme d’Odin, c’est la terre ; Saga Eira, déesse de la Medecine ; Gésione, déesse de la Chasteté ; Fylla, compagne & confidente de Frigga ; Freya, la déesse de l’Amour, à qui on donnoit aussi le nom de Vanadis, déesse de l’Espérance ; Siona, la déesse qui enflamme les amans les uns pour les autres ; Lovna réconcilie les amans brouillés ; Vara préside aux sermens & aux promesses des amans ; Vora déesse de la Prudence ; Synia est la gardienne de la porte du palais des dieux ; Lyna, délivre des dangers ; Snotra est la déesse de la Science ; Gna est la ménagere de Frigga ; Sol & Bil, étoient encore des déesses. Il y avoit outre cela les déesses nommées Valkyries : elles choisissoient ceux qui devoient avoir la gloire d’être tués dans les combats ; enfin, Jord & Rinda, sont aussi mises au rang des déesses. Outre ces déesses, chaque homme a une divinité qui détermine la durée & les évenemens de sa vie. Les trois principales sont Urd, le passé ; Werandi, le présent ; & Sculde, l’avenir.

Tous ces dieux & ces déesses passoient leur tems dans le séjour céleste à boire de l’hydromel, & à voir les combats des héros admis avec eux dans le Valhalla ; souvent ils alloient eux-mêmes chercher des

avantures, dont quelquefois ils se tiroient très-mal ; ils combattoient des géants, des génies, des magiciens, & d’autres êtres imaginaires, dont cette mythologie est remplie.

L’Edda parle ensuite d’un tems appellé ragnarokur, ou le crépuscule des dieux : ce tems est annoncé par un froid rigoureux & par trois hivers affreux ; le monde entier sera en guerre & en discorde ; les freres s’égorgeront les uns les autres ; le fils s’armera contre son pere, & les malheurs se succéderont jusqu’à la chûte du monde. Un loup monstrueux nommé Fenris, dévorera le soleil ; un autre monstre emportera la lune ; les étoiles disparoîtront ; la terre & les montagnes seront violemment ébranlées ; les géants & les monstres déclarent la guerre aux dieux réunis ; & Odin lui-même finit par être dévoré. Alors le monde sera embrasé, & fera place à un séjour heureux appellé Gimle, le ciel, où il y aura un palais d’or pur : c’est-là que seront ceux d’entre les dieux qui auront survécu à la ruine du monde, & qu’habiteront les hommes bons & justes : pour les méchans, ils iront dans le Nastrande, bâtiment vaste, construit de cadavres de serpens, où coule un fleuve empoisonné, sur lequel flotteront les parjures & les meurtriers. D’où l’on voit que ces peuples distinguoient deux cieux, le Valhalla & le Gimle ; & deux enfers, Niftheim & Nastrande.

Les idées de ces peuples sur la formation de la terre & la création de l’homme, n’étoient pas moins singulieres que le reste de leur doctrine. Voici comme en parlent leurs poëtes : « dans l’aurore des siecles, il n’y avoit ni mer, ni rivage, ni zéphirs rafraîchissans ; tout n’étoit qu’un vaste abîme sans herbes & sans semences. Le soleil n’avoit point de palais ; les étoiles ne connoissoient point leurs demeures ; la lune ignoroit son pouvoir ; alors il y avoit un monde lumineux & enflammé du côté du midi ; de ce monde des torrens de feux étincelans s’écouloient sans cesse dans l’abîme qui étoit au septentrion, en s’éloignant de leur source, ces torrens se congeloient dans l’abîme, & le remplissoient de scories & de glaces. Ainsi l’abîme se combla ; mais il y restoit au-dedans un air léger & immobile, & des vapeurs glacées s’en exhaloient ; alors un soufle de chaleur étant venu du midi, fondit ces vapeurs, & en forma des goutes vivantes, d’où naquit le géant Ymer ». De la sueur de ce géant il naquit un mâle & une femelle, d’où sortit une race de géans méchans, ainsi que leur auteur Ymer. Il naquit aussi une autre race meilleure qui s’allia avec celle d’Ymer : cette race s’appella la famille de Bor, du nom du premier de cette famille, qui fut pere d’Odin. Les descendans de Bor tuerent le géant Ymer, & exterminerent toute sa race, à l’exception d’un de ses fils & de sa famille, qui échappa à leur vengeance ; les enfans de Bor formerent un nouveau monde du corps du géant Ymer ; son sang forma la mer & les fleuves ; sa chair fit la terre ; ses os firent les montagnes ; ses dents firent les rochers ; ils firent de son crâne la voûte du ciel ; elle étoit soutenue par quatre nains nommés Sud, Nord, Est, & Ouest ; ils y placerent des flambeaux pour éclairer cette voûte ; ils firent la terre ronde, & la ceignirent de l’Océan, sur les rivages duquel ils placerent des géans. Les fils de Bor se promenant un jour sur les bords de la mer, trouverent deux morceaux de bois flottans, dont ils formerent l’homme & la femme ; l’aîné des fils de Bor leur donna l’ame & la vie ; le second, le mouvement & la science ; le troisieme, la parole, l’ouie, la vûe, la beauté, & des vêtemens. Cet homme fut nommé Askus, & sa femme Embla ; tous les hommes qui habitent la terre en sont descendus.

La seconde partie de l’Edda, ou de la Mytholo-