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gie islandoise, est remplie d’avantures merveilleuses, & de combats des dieux avec les géans. Ces détails sont suivis d’une espece de dictionnaire poétique, dans lequel les noms des dieux sont mis avec toutes les épithetes qu’on leur donnoit ; Snorro Sturleson l’avoit compilé pour l’usage des Islandois, qui se destinoient à la profession de scaldes ou de poëtes.

A l’égard des morceaux contenus dans l’Edda de Saemund Sigfusson, qui sont parvenus jusqu’à nous ; la premiere de ces pieces est un poëme appellé voluspa, c’est-à-dire l’oracle de Vola ; c’est un poëme de quelques centaines de vers qui contient le système de Mythologie qu’on a vu dans l’Edda des Islandois. Cet ouvrage est rempli de desordre & d’enthousiasme ; on y décrit les ouvrages des dieux, leurs fonctions, leurs exploits, le dépérissement de l’univers, son embrasement total, & son renouvellement, l’état heureux des bons, & les supplices des méchans.

Le second morceau est nommé havamal, ou discours sublime ; c’est la morale d’Odin qui l’avoit, dit-on, apportée de la Scythie sa patrie, lorsqu’il vint faire la conquête des pays du Nord ; on croit que sa religion étoit celle des Scythes, & que sa philosophie étoit la même que celle de Zamolxis, de Dicenaeus, & d’Anacharsis. Nous allons en rapporter les maximes les plus remarquables.

« L’hôte qui vient chez vous a-t-il les genoux froids, donnez-lui du feu : celui qui a parcouru les montagnes a besoin de nourriture & de vêtemens bien séchés.

» Heureux celui qui s’attire la louange & la bienveillance des hommes ; car tout ce qui dépend de la volonté des autres, est hasardeux & incertain.

» Il n’y a point d’ami plus sûr en voyage qu’une grande prudence ; il n’y a point de provision plus agréable. Dans un lieu inconnu, la prudence vaut mieux que les trésors ; c’est elle qui nourrit le pauvre.

» Il n’y a rien de plus inutile aux fils du siecle, que de trop boire de biere ; plus un homme boit, plus il perd de raison. L’oiseau de l’oubli chante devant ceux qui s’enyvrent, & dérobe leur ame.

» L’homme dépourvu de sens, croit qu’il vivra toûjours s’il évite la guerre ; mais si les lances l’épargnent, la vieillesse ne lui fera point de quartier.

» L’homme gourmand mange sa propre mort ; & l’avidité de l’insensé est la risée du sage.

» Aimez vos amis, & ceux de vos amis ; mais ne favorisez pas l’ennemi de vos amis.

» Quand j’étois jeune, j’étois seul dans le monde ; il me sembloit que j’étois devenu riche quand j’avois trouvé un compagnon ; un homme fait plaisir à un autre homme.

» Qu’un homme soit sage moderément, & qu’il n’ait pas plus de prudence qu’il ne faut ; qu’il ne cherche point à savoir sa destinée, s’il veut dormir tranquile.

» Levez-vous matin si vous voulez vous enrichir ou vaincre un ennemi : le loup qui est couché ne gagne point de proie, ni l’homme qui dort de victoires.

» On m’invite à des festins lorsque je n’ai besoin que d’un déjeuner ; mon fidele ami est celui qui me donne un pain quand il n’en a que deux.

» Il vaut mieux vivre bien, que long-tems ; quand un homme allume son feu, la mort est chez lui avant qu’il soit éteint.

» Il vaut mieux avoir un fils tard que jamais : rarement voit-on des pierres sépulcrales élevées sur les tombeaux des morts par d’autres mains que celles de leurs fils.

» Les richesses passent comme un clin d’œil ; ce sont les plus inconstantes des amies. Les troupeaux périssent, les parens meurent ; les amis ne sont point immortels, vous mourrez vous-même : Je connois une seule chose qui ne meurt point, c’est le jugement qu’on porte des morts.

» Louez la beauté du jour, quand il est fini ; une femme, quand vous l’aurez connue ; une épée, quand vous l’aurez essayée ; une fille, quand elle sera mariée ; la glace, quand vous l’aurez traversée ; la biere, quand vous l’aurez bûe.

» Ne vous fiez pas aux paroles d’une fille, ni à celles que dit une femme ; car leurs cœurs ont été faits tels que la roue qui tourne ; la légereté a été mise dans leurs cœurs. Ne vous fiez ni à la glace d’un jour, ni à un serpent endormi, ni aux caresses de celles que vous devez épouser, ni à une épée rompue, ni au fils d’un homme puissant, ni à un champ nouvellement semé.

» La paix entre des femmes malignes est comme de vouloir faire marcher sur la glace un cheval qui ne seroit pas ferré, ou comme de se servir d’un cheval de deux ans, ou comme d’être dans une tempête avec un vaisseau sans gouvernail.

» Il n’y a point de maladie plus cruelle, que de n’être pas content de son sort.

» Ne découvrez jamais vos chagrins au méchant, car vous n’en recevrez aucun soulagement.

» Si vous avez un ami, visitez-le souvent ; le chemin se remplit d’herbes, & les arbres le couvrent bien-tôt, si l’on n’y passe sans cesse.

» Ne rompez jamais le premier avec votre ami ; la douleur ronge le cœur de celui qui n’a que lui-même à consulter.

» Il n’y a point d’homme vertueux qui n’ait quelque vice, ni de méchant quelque vertu.

» Ne vous moquez point du vieillard, ni de votre ayeul décrépit, il sort souvent des rides de la peau des paroles pleines de sens.

» Le feu chasse les maladies ; le chêne la strangurie ; la paille détruit les enchantemens ; les runes détruisent les imprécations ; la terre absorbe les inondations ; la mort éteint les haines ».

Telles étoient les maximes de la théologie & de la morale de ces peuples du Nord. On voit que l’une & l’autre étoit adaptée au génie d’un peuple belliqueux, dont la guerre faisoit les délices : il n’est donc pas surprenant qu’une nation nourrie dans ces principes, se soit rendue redoutable à toute la terre, & ait fait trembler les Romains mêmes, ces vainqueurs & ces tyrans du reste de l’univers. La crainte de l’opprobre dans ce monde, & des supplices reservés dans l’autre à ceux qui périssoient d’une mort naturelle ; la vûe de la gloire & du bonheur destinés à ceux qui mouroient dans les combats, devoient nécessairement exciter chez les Scandinaves, un courage à qui rien ne pouvoit résister. Un roi de Danemarck établit à Jomsbourg une république propre à former des soldats ; il y étoit défendu de prononcer le nom de la peur, même dans les plus grands dangers. Ce législateur réussit en effet à détruire dans les soldats le sentiment de la crainte. En effet, les Jomsbourgeois ayant fait une irruption en Norwege, furent vaincus, malgré leur opiniâtreté : leurs chefs ayant été faits prisonniers furent condamnés à la mort. Cette nouvelle loin de les allarmer, fut pour eux un sujet de joie ; & personne ne donna le moindre signe d’effroi. L’un d’eux dit à celui qui alloit le tuer, de le frapper au visage : je me tiendrai immobile, & tu observeras si je donne quelque signe de frayeur. Un roi des Goths mourut en chantant une hymne sur le champ de bataille, & s’écria à la fin d’une strophe, les heures de ma vie se sont envolées, je mourrai en riant. Un auteur de ce pays, parlant d’un com-