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Il est vrai qu’il y a quelques expressions dans la Bible, qui ont été un sujet de dispute & de critique, mais ces expressions ne font pas le corps entier du livre. Le latin & le grec, quoique plus modernes & plus connus, ne sont pas à l’abri des épines littéraires ; c’est le sort des langues mortes : voilà pourquoi il est arrivé & il arrive encore que les versions de la Bible se châtient, & s’épurent par une sage critique qui étudie le sens, pese les mots, les combine & les compare peut-être avec plus de sagacité qu’on n’étoit en état de le faire dans quelques-uns des siecles précédens. Mais, nous le répétons, ces expressions ne sont pas le livre ; & quoiqu’on puisse nommer en général un grand nombre de corrections faites depuis le concile de Trente, la vulgate qu’il a approuvée n’en est pas moins une Bible fidele, authentique & canonique ; parce que la foi ne dépend pas sans doute des progrès de la Grammaire, & que les réviseurs modernes n’ont pû s’écarter des traductions primitives qu’ils ont toujours eues devant les yeux pour être leurs guides & la base de leur travail. La Bible, telle que nous l’avons, est donc tout ce qu’elle doit être & tout ce qu’elle peut être ; elle n’a jamais été autre qu’elle est présentement, & ne sera jamais rien de plus. Emanée de l’Esprit-saint, il faut qu’elle soit immuable comme lui, pour être à jamais & comme par le passé, le premier monument de la religion, & le livre sacré de l’instruction des nations.

Si une multitude de cabalistes, de têtes creuses & superstitieuses ont cependant été dans cette opinion, que le texte sacré nous cache des sciences profondes, des vérités sublimes, ou une morale mystique enveloppée sous une apparence historique, & qu’il y faut chercher toute autre chose que ce que le simple vulgaire y voit : ce n’est qu’une folie & qu’un abus, dont il faut en partie chercher les sources dans le génie de ces langues primitives ; & l’antiquité même de ces opinions & de ces traditions insensées prouve en effet qu’on ne sauroit remonter trop haut pour en trouver l’origine. La variété des sens que présente à une imagination échauffée l’écriture ancienne & le langage qu’elle exprimoit, ont dû produire, comme nous avons dit, ces sciences absurdes & frivoles qui ont conduit l’homme à la Fable & à la Mythologie, en réalisant & personnifiant les sens doubles, triples & quadruples de chaque mot. En se familiarisant par-là avec l’illusion & l’erreur, l’on s’est insensiblement mis dans le goût de parodier les faits par des figures & des allégories, comme on avoit parodié les mots en abusant de leur valeur, & en les déguisant par des metatheses & des anagrammes. Le premier pas a conduit au second, & l’histoire a de même été regardée comme une énigme scientifique & comme le voile de la sagesse & de la morale. Telle a été sans doute l’origine de tous les songes mystiques & cabalistiques des chimeres, qui depuis une multitude de siecles ont eu un regne presque continu. Il est à la vérité presque éteint, mais on connoît encore des esprits foibles qui en respectent la mémoire.

Nous n’avons point ici eu en vûe de blâmer généralement tous ceux qui ont cherché des doubles sens dans les livres saints. Les évangélistes & les saints docteurs de la primitive église, qui en ont donné quelquefois eux-mêmes une double interprétation, nous montrent que ce n’a pas toujours été un abus. Mais ce qui étoit sans doute le don particulier de ces premiers âges du Christianisme, & ce qui étoit l’effet d’une lumiere surnaturelle dans les apôtres & leurs successeurs, n’appartient pas à tous les hommes : pour trouver le double sens d’un livre inspiré, il faut être inspiré soi-même ; & dans un siecle aussi religieux qu’éclairé, on doit porter assez de respect à l’inspiration pour ne point l’affecter lorsqu’on

n’en a point une mission particuliere. A quoi d’ailleurs pourroit servir de chercher de nouveaux sens dans les livres de la Bible ? Depuis tant de milliers d’années qu’ils sont répandus par tout le monde, ils sont connus sans doute, ou ne le seront jamais : il est donc tems de renoncer à un travail dont on doit reconnoître l’inutilité & redouter tous les dangers. Puisque la religion a tiré de ces livres tout le fruit qu’elle devoit en attendre ; puisque les cabalistes & les mystiques s’y sont épuisés par leur illusion, & s’en sont à la fin dégoûtés, il convient aujourd’hui d’étudier ces monumens respectables de l’antiquité en littérateurs, en philosophes même, & en historiens de l’esprit humain.

C’est, en terminant notre article, à quoi nous invitons fortement tous les savans. Ces livres & cette langue, quoique consacrés par la religion, n’ont été que trop abandonnés aux réveries & aux faux mysteres des petits génies : c’est à la solide Philosophie à les revendiquer à son tour, pour en faire l’objet de ses veilles, pour étudier dans la langue hébraïque la plus ancienne des langues savantes, & pour en tirer en faveur de la raison & du progrès de l’esprit humain, des connoissances qui correspondent dignement à celles qu’y ont puisées dans tous les tems la Morale & la Religion.

* HÉBRAISME, subst. m. (Gram.) maniere de parler propre à la langue hébraïque. Jamais aucune langue n’eut autant de tours particuliers ; ce sont les caracteres de l’antiquité & de l’indigence. Voyez les articles Hébraïque Langue, & Idiotisme.

* HÉBRAIZANT, particip. pris sub. (Gram.) On dit d’un homme qui a fait une étude particuliere de la langue hébraïque, c’est un hébraïzant. Mais comme les Hébreux étoient scrupuleusement attachés à la lettre de leurs écritures, aux cérémonies qui leur étoient préscrites, & à toutes les minuties de la loi ; on dit aussi d’un observateur trop scrupuleux des préceptes de l’Evangile, d’un homme qui suit en aveugle ses maximes, sans reconnoître aucune circonstance où il soit permis à sa raison de les interpreter, c’est un hébraïzant.

HEBRE, (Géog. anc.) fleuve de Thrace, qui prend son nom des tournans qu’il a dans son cours, suivant Plutarque le géographe. Il n’y a guere de riviere dont les anciens ayent tant parlé, & dont ils ayent dit si peu de chose. Pline, liv. XXXIII. chap. iij. le nomme entre les rivieres qui rouloient des paillettes d’or : ce fleuve a toûjours eu la réputation d’être très-froid. Virgile (Egl. X. v. 85.) nous en assûre :

Nec si frigoribus mediis, Hebrumque bibamus.

Et Horace enchérissant sur son ami, n’en parle que comme s’il étoit couvert de neige & de glace :

. . . . Hebrusque nivali compede vinctus.

Ep. III. v. 3.

M. Delisle a exactement décrit l’origine & le cours de ce fleuve, qu’on nomme aujourd’hui la Moeriza. Nous nous contenterons de dire ici qu’il a sa source au pié du mont Dervent, traverse la Romanie, passe à Phillippoli, à Andrinople, à Trajanopoli, & se décharge dans l’Archipel, à l’entrée du golfe de Mégarisse, vis-à-vis Samandraki. (D. J.)

HÉBREU, subst. m. (Hist. & Gram.) nom propre du peuple dur qui descendit des douze patriarches fils de Jacob, qui furent les chefs d’autant de tribus. Voyez Hébraïque Langue & Juifs.

HEBRIDES, HEBUDES, WESTERNES, isles, voyez ce dernier.

HÉBRON, ou CHÉBRON, (Géog.) ancienne ville de la Palestine, dont il est beaucoup parlé dans l’ancien Testament. Elle étoit située sur une hauteur, à 22 milles de Jérusalem vers le midi, & à 20