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général doivent être lavées & dégraissées de leur suin. On appelle suin, cette crasse onctueuse qu’elles rapportent de dessus la brebis. Il est si nécessaire d’en purger la laine, qu’on ne fabriquera jamais un beau drap sans cette précaution, à laquelle on n’est pas assez attentif parmi nous, parce qu’elle cause un déchet de trente à quarante pour cent au moins. Cependant il est impossible de dégraisser un drap comme il convient, si la laine dont on l’a manufacturé, n’a pas été bien débarrassée de son suin.

Du lavage des laines. La laine ne se lave pas bien dans l’eau froide. C’est cependant l’usage du Berry & des autres provinces de France, malgré les ordonnances qui enjoignent de se servir de l’eau chaude. C’est toujours la raison d’intérêt qui prévaut. Il est défendu par arrêt du 4 Septembre 1714, de vendre ni exposer en vente aucunes laines, qu’elles n’aient été lavées de maniere à pouvoir être employées en étoffe sans être relavées, & ce à peine de trente livres d’amende pour chaque balle, tant contre le vendeur que contre l’acheteur. On n’excepte que les laines d’Espagne qui auront été lavées sur les lieux, & qui pourront être vendues d’après le lavage d’Espagne.

Cependant les laines d’Espagne qu’on emploie dans les bonnes manufactures sont toutes lavées ou relavées avec de l’eau tiede & de l’urine. Ce dernier ingrédient est absolument nécessaire pour en écarter les parties qui ont été rapprochées & serrées dans l’emballage, de maniere qu’elles feutreroient, si on n’employoit au lavage que l’eau.

La premiere opération du lavage à l’eau chaude se fait dans des baquets ou cuves disposées à cet effet. Il faut observer que l’eau ne soit pas trop chaude, le trop de chaleur amollissant les parties les plus déliées, les rapprocheroit & feroit feutrer. Que l’eau soit seulement tiede. Lorsque l’ouvrier l’aura bien serrée, pressée entre ses mains, il la mettra dans une grande corbeille d’osier, ensuite on la portera dans une eau courante pour la faire dégorger. Pour cet effet, la corbeille étant plongée dans l’eau, qui la pénétrera par-tout, on la relevera, pressera, remuera. Cette manœuvre lui ôtera la mauvaise odeur qu’elle aura contractée au premier lavage. & achevera de la nettoyer. Voyez ce travail dans nos Planches de Draperie, fig. 1. A est la cuve pour laver les laines dans leur suin. B, le laveur. C, la laine dans la cuve. D, la riviere où l’on rinse & dégorge la laine. E, la manne on corbeille qui contient la laine qu’on fait dégorger. F, le laveur. G, un petit banc portatif qui soutient le laveur sur les bords du courant.

Une observation qui n’est pas à négliger, c’est que plus l’eau des baquets destinés au lavage des laines est chargée de suin, plus le lavage s’exécute parfaitement. Ainsi le lavage se fait d’autant mieux, qu’il a déja passé plus de laine dans un baquet avant celle qu’on y met.

Du pilotage des laines. Outre cette premiere opération, il est encore une façon de relaver les laines, & de leur donner une blancheur qui convient au genre d’étoffe que le fabriquant se propose de faire. C’est le pilotage.

Le pilotage n’a lieu que sur la laine à employer en étoffes légeres, telles que les flanelles, les molletons fins, &c. dont le dégrais avec la terre glaise altéreroit la qualité, lorsqu’on les feroit passer au moulin comme les draps & autres étoffes qui ont plus de résistance & de corps.

Pour piloter les laines on se sert du savon fondu dans de l’eau un peu chaude. On en remplit les cuves ou baquets semblables au premier lavage. On y ajoute de l’eau de suin, ou du premier lavage ; & deux hommes qui ont des especes de pilons, l’agi-

tent & la remuent avec la laine qui en prend la blancheur

qu’on desire. On voit cette opération fig. 2. A, la cuve. B, les lissoires, ou bâtons à remuer la laine dans de l’eau de savon. C, les ouvriers qui pilotent.

Après que la laine a été pilotée, on la porte à la riviere pour la rinser & la faire dégorger.

De l’étendage des laines. Lorsque les laines ont été lavées, on les fait sécher ; l’usage dans les campagnes est de les étendre sur les prés, & quelquefois sur la terre ; mais cet usage est mauvais. Les laines se chargent ainsi de poussiere, ou même ramassent de la terre qui s’y attache ; ensorte qu’un manufacturier entendu, lorsqu’il achete des laines qui ont été séchées de cette maniere, & que la proximité des lieux le lui permet, a soin de la faire secouer par les emballeurs, à mesure qu’ils la mettent dans les sacs. On en séparera ainsi la poussiere & les autres ordures qui causeroient un déchet considérable.

Dans les manufactures réglées, on fait sécher les laines sur des perches posées dans des greniers. Il en est de même des laines teintes destinées à des draps & autres étoffes, lorsqu’elles ont besoin de sécher avant que d’être transmises à d’autres opérations relatives à la fabrication. Voyez fig. 3. la disposition des perches sur lesquelles on étend & l’on fait sécher les laines teintes ou en blanc, A, A, A, &c. B, B, B, les perches.

Du triage des laines. Lorsque les laines sont seches, on en fait un triage ; c’est-à-dire qu’on divise les laines d’Espagne de la premiere qualité, en prime, seconde & tierce. Pour celle de Navarre & de France & autres plus communes, on sépare seulement les inférieures des autres.

La finesse du drap est proportionnée à la qualité de la laine ; il faut pour les draps d’Abbeville & de Sedan des laines plus belles que pour ceux de Louviers & de d’Arnetat. Les laines qu’on emploie aux draps d’Elbeuf, sont inférieures à celles du drap de Louvier. On exige dans la fabrication des ouvrages dont nous venons de parler, l’emploi des laines d’Espagne seules.

Après le premier triage des laines communes de Navarre & de France, on en fait un second qui consiste à séparer les laines les plus longues des plus courtes. Les premieres sont destinées aux chaînes des étoffes, les secondes aux trames. Il faut encore que le trieur soit attentif à en rejetter les ordures qu’il rencontre sous ses mains. Voyez fig. iv. cette opération. A est la claie sur laquelle la laine est posée ; B, la laine ; C, le trieur.

Le manufacturier donne le nom de haute laine à la laine longue, & celui de basse laine à la laine courte. On emploie la haute laine aux chaînes, parce que le fil en aura plus de consistence, & que le travail de l’ourdisseur en sera facilité. On ne distingue point de haute & basse laine dans celles d’Espagne, & l’on n’en fait point de triage.

Le triage & le choix ont lieu pour toutes les autres, quelle que soit leur destination ; qu’elles doivent aller à la carde ou au peigne. Nous allons suivre la main-d’œuvre sur celles qui passeront à la carde, & dont on fabrique les draps. Nous reviendrons ensuite à celles qui vont au peigne, & nous exposerons leur usage.

Du battage des laines. Lorsque les laines ont été triées, & que la séparation en a été faite, on les porte par petites portions sur une espece de claie, formée de cordes tendues où on les frappe à coups de baguette, comme on voit, fig. v. A est la claie de corde à battre les laines ; les ouvriers B, B sont deux batteurs.

Cette manœuvre a deux objets. Le premier d’ouvrir la laine ou d’en écarter les brins les uns des au-