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la navette poussée coulera sur la planchette & sur les fils de chaîne baissés, & s’en ira à l’autre bout du métier, appuyée dans sa course contre la jumelle d’en-bas du peigne ou rot. Un pareil mouvement de corde, après que l’étoffe aura été frappée, la fera passer, à l’aide d’une pareille crosse, placée au côté où elle est, de ce côté à celui d’où elle est venue, & ainsi de suite.

Mais une piece très ingénieusement imaginée, & sur laquelle il faut fixer son attention, c’est la petite piece de bois k, k ; elle est taillée en dedans en s, & percée de deux trous m, n. Le trou m est un peu plus grand que le trou n. Il y a dans chacun une pointe de fer fixée dans la jumelle d’en-bas, ou plûtôt dans la planchette sur laquelle la navette est posée.

Qu’arrive-t-il de-là ? Lorsque la navette se présente en k pour entrer, elle arrive jusqu’en n sans effort ; en n elle presse la piece, qui a là un peu plus de hauteur ou de saillie qu’ailleurs ; mais le trou m étant un peu plus grand que le trou n, & ce trou m n’étant pas rempli exactement par sa goupille, la piece cede un peu, & la quantité dont elle cede est égale précisément à la différence du diametre du trou m, & du diametre de la goupille qui y passe. Cela suffit pour laisser entrer la navette qui se trouve alors enfermée ; car la piece k, k ne peut pas se déplacer, passé le point ou trou m, qu’elle ne se déplace de la même quantité passé le trou n ; ainsi la navette ne peut ni toucher, ni avancer, ni reculer. Elle s’arrête contre la crosse ; & poussée ensuite par la crosse, elle a, au sortir de l’espace terminé par la petite piece k, k, une espece d’échappement qui lui donne de la vîtesse. Ajoutez à cela que la planchette sur laquelle elle est posée, est un peu en talud vers le rot ou peigne.

On voit, fig. 16, la navette en dessus, & fig. 17, la navette en dessous ; aa est sa longueur ; bb, sa poche ; c, la bobine dans le fil va passer sur le petit cylindre ou tambour t, & sortir par l’ouverture latérale l. ee sont deux roulettes horisontales, fixées dans son épaisseur, & qui facilitent son mouvement contre la jumelle inférieure du rot ; ff, ff en font quatre verticales prises aussi dans son épaisseur, mais verticalement, & qui facilitent son mouvement sur la planchette qui la soutient.

La figure 18 montre la bobine séparée de la navette, & prête à être mise dans sa poche.

Avec le secours d’une navette semblable, un seul ouvrier peut fabriquer des draps larges, des étoffes larges, des toiles larges, des couvertures, & généralement toutes les étoffes auxquelles on emploie deux ou trois hommes à la fois.

On assure qu’expérience faite avec cet instrument, le travail d’un homme équivaut au travail de quatre autres avec la navette ordinaire.

Quoique la navette angloise convienne particulierement aux étoffes larges, on l’a essayée sur les étoffes étroites, comme de trois quarts ou d’une aune, & l’on a trouvé qu’elle ne réussissoit pas moins bien.

Passer le drap à la perche. Lorsque le drap est fabriqué, le maître de la manufacture le fait passer à la perche pour reconnoître les fautes des tisseurs ; delà il passe à l’épinseur. L’épinseur en tire toutes les pailles & autres ordures. De l’épinsage il est envoyé au foulon.

De l’épinsage des draps. On voit figure 19, la table de l’épinseur. A, le drap en toile ; bb, la table ; cc, les tréteaux qui la soutiennent ; d, tréteaux mobiles pour incliner plus ou moins la table à discrétion.

Il faut avoir grand soin de mettre le drap épinsé sur des perches, si on ne l’envoie pas tout de suite au foulon, parce que le mélange de l’huile de la

carde, de la colle & de l’eau qui a servi à humecter les trames, le feroit échauffer & pourrir, si on ne l’étendoit pas pour le faire sécher.

Du dégrais & du foulage des draps. Dans les bonnes manufactures il y a un moulin à dégraisser & un moulin à fouler. C’est le moulin à dégraisser qu’on voit figure 20, & le moulin à fouler qu’on voit figure 21. Dans le premier, les branches ou manches des maillets sont posés horisontalement, & les auges ou vaisseaux toujours ouverts. Dans le second, les branches sont perpendiculaires, & les vaisseaux toujours fermés, afin que le drap n’ayant point d’air, s’échauffe plus vîte & foule plus facilement. Ces derniers moulins sont appellés façon de Hollande, parce que c’est de-là qu’ils nous viennent. Celui de l’hôpital de Paris, situé à Essonne, sur la riviere d’Etampes, est très-bien fait.

Quand on veut qu’un drap soit garni & plus ou moins drappé, on lui donne plus ou moins de largeur sur le métier, & on le réduit à la même au foulage. C’est le foulon qui donne, à proprement parler, aux draperies leur consistance, l’effet principal des coups de maillets étant d’ajouter le mérite du feutre à la régularité du tissu. C’est par une suite de ce principe que les étoffes lisses reçoivent leur dernier lustre sans passer par la foulerie, ou que, si quelques-unes y sont portées, c’est pour être bien dégorgées, & non pour être battues à sec : elles perdroient en s’étoffant la légereté & le brillant qui les caractérisent.

Les étoffes qu’on y portera pour y prendre la consistence de drap, y gagneront beaucoup si elles ont eû leur chaîne & leur trame de laine cardée, ou du moins leur trame faite de fil lâche, & leur chaîne filée de rebours. Plusieurs personnes qui courroient d’un même côté, iroient loin sans se rencontrer ; mais elles ne tarderoient pas à se heurter & à se croiser en marchant en sens contraires. Il n’y a pas non plus beaucoup d’union à attendre des poils de deux fils lâches, s’ils ont été filés au rouet dans le même sens. Mais si l’un des deux fils a été fait à corde ouverte & l’autre à corde croisée ; si les poils de la chaîne sont couchés dans un sens, & ceux de la trame dans un autre, l’insertion & le mélange des poils se fera mieux. Quand les maillets battent & retournent l’étoffe dans la pile du foulon, il n’y a point de poils qui ne s’ébranlent à chaque coup. Les poils qui sous un coup formeront une chambrette en se courbant ou en se séparant des poils voisins, s’affaissent ou s’allongent sous un autre coup qui aura tourné l’étoffe d’un nouveau sens, le propre du maillet & la façon dont la pile est creusée, étant de faire tourner le drap à chaque coup qu’il reçoit. Si donc les poils de la chaîne & de la trame ont été filés en sens contraires, & qu’ils se hérissent, les uns en tendant à droite, & les autres en tendant à gauche, ils formeront déja un commencement de mélange, qui s’achevera sous l’impression des maillets. Mais l’engrenage en sera d’autant plus prompt, si les deux fils sont d’une laine rompue à la carde, comme il se pratique pour les draps.

Toute autre étoffe à fil de trame sur étaim, se drappera suffisamment par la simple précaution du fil de rebours, & acquérera au point desiré la contention & la solidité du feutre. On dit jusqu’au point desiré ; car si l’étoffe, soit drap, soit serge, devenoit vraiment feutre, par une suite de son renflement, elle se retireroit trop sur sa largeur & sur sa longueur ; elle se dissoudroit même si on la poussoit trop à la foulerie.

Mais, dira-t-on, ne pourroit-on pas aussi-bien filer les chaînes à corde croisée, & les trames à corde