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ouverte, que les chaînes à corde ouverte, & les trames à corde croisée ?

On peut répondre que toutes les matieres, soit fil de chanvre, soit lin, coton ou soie, filées au petit rouet, ne pouvant l’être qu’à corde ouverte, on a observé la même chose pour les fils filés au grand rouet. Filés au fuseau, ou filés à corde ouverte, c’est la même chose.

L’effet des fouleries est double. Premierement, l’étoffe est dégraissée à fond. Secondement, elle y est plus ou moins feutrée. On y bat à la terre, ou l’on y bat à sec. On y bat l’étoffe enduite de terre glaise bien délayée dans de l’eau : cette matiere s’unit à tous les sucs onctueux. Cette opération dure deux heures : c’est ce qu’on appelle le dégrais.

Lorsque le drap paroît suffisamment dégraissé, on lâche un robinet d’eau dans la pile qui est percée en deux ou trois endroits par le fond. On a eu soin de tenir ces trous bouchés pendant le battage du dégrais. Lorsque leurs bouchons sont ôtés, on continue de faire battre, afin que l’étoffe dégorge, & que l’eau qui entre continuellement dans la pile, & qui en sort à mesure, emporte avec elle la terre unie à l’huile, aux autres sucs graisseux, les impuretés de la teinture, s’il y a des laines teintes, & la colle dont les fils de chaînes ont été couverts. On ne tire le drap de ce moulin que quand l’eau est, au sortir de la pile, aussi claire qu’en y entrant ; ce qui s’apperçoit aisément.

Voyez, figure 20, le moulin à dégraisser. A, A, le beffroi ; B, B, la traverse ; c, c, c, les manches des maillets ; d, d, les maillets ; c, le vaisseau ou la pile ; f, f, f, les geolieres qui retiennent les maillets & empêchent qu’ils ne vacillent ; g, l’arbre ; h, h, h, h, les levées ou éminences qui font lever les maillets ; i, la selle ; k, le tourillon. Ce méchanisme est simple, & ne demande qu’un coup d’œil.

Lorsque le drap est dégraissé, on le remet une seconde fois entre les mains de l’énoueuse ou épinceuse, qui le reprend d’un bout à l’autre, & emporte de nouveau les corps terreux ou autres qui seroient capables d’en altérer la couleur ou d’en rendre l’épaisseur inégale. Voyez, figure 22, l’épinsage des draps fins après le dégrais. a, le drap ; b, b, faudets à grille dans lesquels le drap est placé ; c, l’intervalle entre les deux portions du drap, où se place l’épinceuse pour travailler, en regardant l’étoffe au jour ; d, d, pieces de bois qui tiennent l’étoffe étendue ; f, f, porte-perche. Figure 23, pince de l’épinceuse.

L’étoffe, après cette seconde visite, qui n’est pratiquée que pour les draps fins, retourne à la foulerie.

Les ordonnances qui assujettissent les fabriquans de différentes manufactures à ne donner qu’une certaine longueur aux draps à l’ourdissage, sont faites relativement au vaisseau du foulon, qui doit contenir une quantité d’étoffe proportionnée à sa profondeur ou largeur. Un drap qui remplit trop la pile, n’est pas frappé si fort, le maillet n’ayant pas assez de chûte. Il en est de même de celui qui ne la remplit pas assez, la chûte n’ayant qu’une certaine étendue déterminée.

Remise au foulon, l’étoffe y est battue non à l’eau froide, mais à l’eau chaude & au savon, jusqu’à ce qu’elle soit réduite à une largeur déterminée ; après quoi on la fait dégorger à l’eau froide, & on la tient dans la pile jusqu’à ce que l’eau en sorte aussi claire qu’elle y est entrée : alors on ferme le robinet, qui ne fournissant plus d’eau dans la pile, la laisse un peu dessécher ; cela fait, on la retire sur le champ.

Tous les manufacturiers ne foulent pas le drap

avec du savon, sur-tout ceux qui ne sont pas fins. Les uns emploient la terre glaise & l’eau chaude, ce qui les rend rudes & terreux ; les autres l’eau chaude seulement. Les draps foulés de cette maniere perdent de leur qualité, parce qu’ils demeurent plus long-tems à la foule, & que la grande quantité de coups de maillets qu’ils reçoivent, les vuide & les altere. Le mieux est donc de se servir du savon ; il abrege le tems de la foule, & rend le drap plus doux.

Il faut avoir l’attention de tirer le drap de la pile toutes les deux heures, tant pour en effacer les plis, que pour arrêter le rétrécissement.

Plus les draps sont fins, plus promptement ils sont foulés. Ceux-ci foulent en 8 ou 10 heures ; ceux de la qualité suivante en 14 heures : les plus gros vont jusqu’à 18 ou 20 heures. Les coups de maillets sont reglés comme les battemens d’une pendule à secondes.

Pour placer les draps dans le vaisseau ou la pile, on les plie tous en deux ; on jette le savon fondu sur le milieu de la largeur du drap ; on le plie selon sa longueur ; on joint les deux lisieres, qui en se croisant de 5 à 6 pouces, enferment le savon dans le pli du drap ; de façon que le maillet ne frappe que sur son côté qui fera l’envers : c’est la raison pour laquelle on apperçoit toujours à l’étoffe foulée, au sortir de la pile, un côté plus beau que l’autre, quoiqu’elle n’ait reçu aucun apprêt.

Quelques manufacturiers ont essayé de substituer l’urine au savon, ce qui a très-bien réussi ; mais la mauvaise odeur du drap qui s’échauffe en foulant, y a fait renoncer.

Les foulonniers qui veulent conserver aux draps leur longueur à la foule, ont soin de les tordre sur eux-mêmes, lorsqu’ils les placent dans la pile, par portion d’une aulne & plus, cette quantité à droite, & la même à gauche, & ainsi de suite, jusqu’à ce que la piece soit empilée. On appelle cette maniere de fouler, fouler sur le large. Au contraire, si c’est la largeur qu’ils veulent conserver, ils empilent double, & par plis ordinaires, ce qui s’appelle fouler en pié.

On ne foule en pié que dans le cas où le drap foulé dans sa largeur ordinaire, ne seroit pas assez fort, ou lorsqu’il n’est pas bien droit, & qu’il faut le redresser.

Voyez figure 21, le moulin à foulon. aa, la grande roue appellée le hérisson ; b la lanterne ; cc, l’arbre ; eee, les levées ou parties saillantes qui font hausser les pelotes ; ff, les tourillons ; gg, les frettes qui lient l’arbre ; hh, les queues des pilons ; i, les pilons ; lll, les geolieres ; m, les vaisseaux ou piles ; nn, les moises ; o, l’arbre de l’hérisson auquel s’engrene la grande roue qui reçoit de l’eau son mouvement.

Du lainage des draps. Lorsque les draps sont foulés, il est question de les lainer ou garnir : pour cet effet, deux vigoureux ouvriers s’arment de doubles croix de fer ou de chardon, dont chaque petite feuille regardée au microscope, se voit terminée par un crochet très-aigu. Après avoir mouillé l’étoffe en pleine eau, ils la tiennent étalée ou suspendue sur une perche, & la lainent en la chardonnant, c’est-à-dire qu’ils en font sortir le poil en la brossant à plusieurs reprises devant & derriere, le drap étant doublé, ce qui fait un brossage à poil & à contre-poil ; d’abord à chardon mort ou qui a servi, puis à chardon vif ou qu’on emploie pour la premiere fois. On procede d’abord à trait modéré, ensuite à trait plus appuyé, qu’on appelle voies. La grande précaution à prendre, c’est de ne pas effondrer l’étoffe, à force de chercher à garnir & velouter le dehors.

Le lainage la rend plus belle & plus chaude. Il