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nom sont compris tout les genres d’écritures, qui peuvent servir à établir une cause. Tels sont, par exemple, les livres de recette & de payement, les inventaires de meubles qu’on doit vendre à l’encan, les registres des Banquiers. Ces titres produits, l’accusateur établissoit son accusation par un discours, dans lequel il se proposoit de justifier la réalité des crimes dont il s’agissoit, & d’en montrer l’atrocité. Les avocats de l’accusé, opposoient à l’accusateur une défense propre à exciter la commisération ; c’est pourquoi, outre les témoignages en faveur de l’accusé, ils mettoient en usage des raisonnemens tirés de sa conduite passée, & alloient même jusqu’aux conjectures & aux soupçons. Dans la péroraison sur-tout, ils employoient tous leurs efforts pour adoucir, pour toucher & fléchir l’esprit des juges.

Outre les avocats, l’accusé présentoit des personnes de considération qui s’offroient de parler en sa faveur ; & c’est ce qui arrivoit principalement lorsque quelqu’un étoit accusé de concussion. On lui accordoit presque toujours dix apologistes, comme si ce nombre eût été réglé par les lois ; de plus, on faisoit encore paroître des personnes propres à exciter la compassion, comme les enfans de l’accusé, qui étoient en bas-âge, sa femme & autres semblables.

Ensuite les juges rendoient leur jugement, à moins que la loi n’ordonnât une remise, comme dans le jugement de concussion. La remise comperendinatio différoit de la plus ample information, ab ampliatione, sur-tout en ce que celle-ci étoit pour un jour certain au gré du préteur, & celle-là toujours pour le sur-lendemain, & en ce que dans la remise, l’accusé parloit le premier, au lieu que le contraire arrivoit dans le plus amplement informé.

Le jugement se rendoit de cette sorte. Le préteur distribuoit aux juges des tablettes ou bulletins, & leur ordonnoit de conférer entre eux pour donner leur avis. Ces tablettes étoient de trois sortes, l’une d’absolution, sur laquelle étoit écrite la lettre A, absolvo ; l’autre de condamnation, sur laquelle étoit écrite la lettre C, condemno, & la troisieme de plus ample information, sur laquelle étoient écrites les lettres N & L, non liquet, qui signifioient qu’il n’étoit pas clair ; & ce plus amplement informé se prononçoit d’ordinaire lorsque les juges étoient incertains s’ils devoient absoudre ou condamner.

Les juges jettoient ces tablettes dans une urne, & lorsqu’on les en avoit retirées, le préteur à qui elles avoient fait connoître quel devoit être le jugement, le prononçoit après avoir quitté sa prétexte. Il étoit conçu suivant une formule prescrite, savoir que quelqu’un paroissoit avoir fait quelque chose, ou qu’il paroissoit avoir eu raison de la faire, &c. & cela apparemment, parce qu’ils vouloient montrer une espece de doute.

Lorsque les voix étoient égales, l’accusé étoit renvoyé absous. Souvent la formule de condamnation renfermoit la punition ; par exemple, il paroît avoir fait violence, & pour cela je lui interdis le feu & l’eau. Mais quoique la punition ne fût pas exprimée, la loi ne laissoit pas d’exercer toute son autorité contre le coupable, à peu près de même qu’aujourd’hui en Angleterre les juges particuliers qu’on appelle jurès, prononcent que l’accusé est coupable ou innocent, & le juge a soin de faire exécuter la loi. L’estimation du procès, estimatio litis, c’est-à-dire la condamnation aux dommages suivoit la condamnation de l’accusé, dans les jugemens de concussion & de péculat ; & dans les autres, la punition selon la nature du délit.

Si l’accusé étoit absous, il avoit deux actions à exercer contre l’accusateur : celle de calomnie, s’il étoit constant que par une coupable imposture, il eût imputé à quelqu’un un crime supposé ; la puni-

tion consistoit à imprimer avec un fer sur le front du

calomniateur la lettre K ; car autrefois le mot de calomnie commençoit par cette lettre ; de-là vient que les Latins disent integra frontis hominem, un homme dont le front est entier, pour dire un homme de probité. La seconde action étoit celle de prévarication, s’il étoit prouvé qu’il y eût eu, de la part de l’accusateur, collusion avec l’accusé, ou qu’il eût supprimé de véritables crimes.

Outre le préteur, il y avoit encore pour présider à ces sortes de jugemens, un autre magistrat qu’on appelloit judex quæstionis. Sigonius, dont le célébre Nood adopte le sentiment, pense que cette magistrature fut créée après l’édilité, & que le devoir de cette charge consistoit à faire les fonctions du préteur en son absence, à instruire l’action donnée, à tirer les juges au sort, à ouir les témoins, à examiner les registres, à faire appliquer à la torture, & à accomplir les autres choses que le préteur ne pouvoit pas faire par lui-même, tant à cause de la bienséance, qu’à cause de la multitude de ses occupations.

Quoiqu’il y eût des commissions perpétuelles établies, cependant certaines accusations se poursuivoient devant le peuple dans les assemblées, & l’accusation de rébellion, perduellionis, se poursuivoit toujours dans les assemblées par centuries. Or, on appelloit perduellis, celui en qui on découvroit des attentats contre la république. Les anciens donnoient le nom de perduelles aux ennemis.

Ainsi on réputoit coupable de ce crime celui qui avoit fait quelque chose directement contraire aux lois qui favorisent le droit des citoyens & la liberté du peuple ; par exemple, celui qui avoit donné atteinte à la loi Porcia, statuée l’an de Rome 556, par P. Porcius Læca, tribun du peuple, ou à la loi Sempronia. La premiere de ces lois défendoit de battre ou de tuer un citoyen Romain ; la seconde défendoit de décider de la vie d’un citoyen Romain sans l’ordre du peuple ; car le peuple avoit un droit légitime de se réserver cette connoissance, & c’étoit un crime de lèze-majesté des plus atroces que d’y donner atteinte.

Les jugemens se rendoient dans les assemblées du peuple par tribus. Lorsque le magistrat ou le souverain pontife accusoit quelqu’un d’un crime qui n’emportoit pas peine capitale, mais où il s’agissoit seulement d’une condamnation d’amende, ou lors que la condamnation capitale ayant été remise à jour certain, l’accusé, avant que ce jour fut arrive prenoit de lui-même le parti de s’exiler ; alors ces assemblées suffisoient pour confirmer son exil, comme il paroît par Tite-Live, lib. II. cap. xxxv. lib. XXVI. cap. iij.

Voici quelle étoit la forme des jugemens du peuple. Le magistrat qui avoit envie d’accuser quelqu’un, convoquoit l’assemblée du peuple par un héraut public ; & de la tribune, il assignoit un jour à l’accusé pour entendre son accusation. Dans les accusations qui alloient à la peine de mort, le magistrat lui demandoit une caution, vades, laquelle étoit personnellement obligée de se représenter, ce qui fut pratiqué pour la premiere fois à l’égard de Quintius, l’an de Rome 291. Dans les accusations qui ne s’étendoient qu’à l’amende, il lui demandoit des cautions pécuniaires, prædes.

Le jour marqué étant arrivé, s’il n’y avoit point d’opposition de la part d’un magistrat égal ou supérieur, on faisoit appeller l’accusé, de la tribune, par un héraut ; s’il ne comparoissoit pas, & qu’on n’alléguât point d’excuse en sa faveur, il étoit condamné à l’amende. S’il se présentoit, l’accusateur établissoit son accusation par témoins & par raisonnemens, & la terminoit après trois jours d’intervalle. Dans toutes les accusations, l’accusateur concluoit à telle