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peine ou amende qu’il jugeoit à propos ; & sa requisition s’appelloit inquisitio. Ensuite l’accusateur publioit par trois jours de marché consécutifs son accusation rédigée par écrit, qui contenoit le crime imputé, & la punition demandée ; le troisieme jour de marché, il finissoit sa quatriéme accusation, & alors on donnoit à l’accusé la liberté de se défendre.

Après cela le magistrat qui s’étoit porté accusateur, indiquoit un jour pour l’assemblée ; ou si c’étoit un tribun du peuple qui accusât quelqu’un de rebellion, il demandoit jour pour l’assemblée à un magistrat supérieur ; dans ces circonstances, l’accusé en habit de deuil, avec ses amis, sollicitoit le peuple par des prieres & des supplications redoublées ; & le jugement se rendoit en donnant les suffrages, à moins qu’il n’intervînt quelqu’opposition, ou que le jugement n’eût été remis, à cause des auspices, pour cause de maladie, d’exil, ou par la nécessité de rendre à quelqu’un les derniers devoirs ; ou bien à moins que l’accusateur n’eût prorogé lui-même le délai en recevant l’excuse ; ou que s’étant laissé fléchir, il ne se fût entierement désisté de l’accusation ; enfin on suivoit l’absolution de l’accusé, ou sa punition s’il avoit été condamné ; mais les différens genres de peines qui étoient portées par la condamnation dans les jugemens publics & particuliers, demandent un article à part ; ainsi voyez Peines (Jurisprud. Rom.)

Nous avons tiré le détail qu’on vient de lire du Traité de M. Nieuport, & lui-même a formé son bel extrait sur le savant ouvrage de Sigonius, de judiciis, & sur celui de Siccana, de judicio centum vitali. (D. J.)

Jugement de zele, (Hist. des Juifs.) c’est ainsi que les docteurs juifs nomment le droit par lequel chacun pouvoit tuer sur le champ celui qui chez les anciens Hébreux renonçoit au culte de Dieu, à sa loi, ou qui vouloit porter ses compatriotes à l’idolâtrie. Grotius cite, pour prouver ce droit, le chapitre ix. du Deutéronome ; mais ce savant homme s’est trompé dans l’application, car la loi du Deutéronome suppose une condamnation en justice, & elle veut seulement que chacun se porte pour accusateur du crime dont il s’agit.

Si Phinées exerça le jugement de zèle, comme il paroît par les Nombres, ch. xxv. v. 7. il faut remarquer que le gouvernement du peuple d’Israel n’étoit pas alors bien formé.

L’exemple des éphores qu’on cite encore pour justifier que même depuis les établissemens des tribunaux civils, les simples particuliers ont conservé, dans les pays policés, quelque reste du droit de punir que chacun avoit dans l’indépendance de l’état de nature ; cet exemple, dis je, ne le démontre pas, parce que quand les éphores faisoient mourir quelqu’un sans autre forme de procès, ils étoient censés le faire par autorité publique, supposé que cette prérogative fût renfermée dans l’étendue des droits dont Lacédémone les avoit revêtus, expressément ou tacitement. Mais, pour abréger, il vaut mieux renvoyer le lecteur à la dissertation de M. Buddeus, de jure zelatorum in gente hebræâ. (D. J.)

Jugement universel, (Peint.) ce mot désigne en peinture la représentation du jugement dernier prédit dans l’Evangile. Plusieurs artistes s’y sont exercés dès le renouvellement de l’art en Italie, Lucas Signorelli à Orviette, Lucas de Leyde en Hollande, Jean Cousin à Vincennes, le Pontorme à Florence, & Michel-Ange à Rome. On a déja parlé, au mot École florentine du tableau du jugement de Michel-Ange, dans lequel il étale tant de licences & de beautés :

Larvarum omnigenas species, & ludicra miris
Induxit portenta modis ; stygiasque sorores,
Infernumque senem, conto simulacra cientem,
Et vada cerulæis sulcantem livida remis.

Cependant le premier qui ait hasardé de représenter ce sujet, est André Orgagna né à Florence en 1329 : doué d’une imagination vive & d’une grande fécondité pour l’expression, il osa peindre dans la cathédrale de Pise le jugement universel, aussi fortement que singulierement. D’un côté, son tableau représentoit les grands de la terre plongés dans le trouble des plaisirs du siecle ; d’un autre côté, regnoit une solitude, où S. Magloire fait voir à trois rois, qui sont à la chasse avec leurs maîtresses, les cadavres de trois autres princes ; ce que l’artiste exprima si bien, que l’étonnement des rois qui alloient chassant, étoit marqué sur leur visage ; il y en avoit un qui, en s’écartant, se bouchoit le nez pour ne pas sentir la puanteur de ces corps à demi-pourris. Au milieu du tableau, Orgagna peignit la mort avec sa faulx, qui jonchoit la terre de gens de tout âge & de tout rang, de l’un & de l’autre sexe, qu’elle étendoit impitoyablement à ses piés. Au haut du tableau, paroissoit Jesus-Christ au milieu de ses douze apôtres, assis sur des nuages tout en feu : mais l’artiste avoit principalement affecté de représenter, d’une maniere ressemblante, ses intimes amis dans la gloire du paradis, & pareillement ses ennemis dans les flammes de l’enfer. Il a été trop bien imite sur ce point par des gens qui ne sont pas peintres. (D. J.)

Jugement & Jugé, (Médecine.) ce mot signifie la même chose que crise, dont il est la traduction littérale : mais le dernier qui est grec, & qui a été adopté par les auteurs latins & françois, est presque le seul qui soit en usage, tandis que l’adjectif jugé, dérivé du mot françois jugement, est au contraire d’un usage très-commun ; ainsi l’on dit d’une maladie, qu’elle est terminée par une crise, ou qu’elle est jugée au septieme ou au onzieme jour, &c. Voy. Crise. (b)

JUGERE, s. m. (Littérat.) mesure romaine en fait de terre ; c’étoit originairement la grandeur de terrain qu’une paire de bœufs attelés pouvoit labourer en un jour. On dit encore en Auvergne, dans le même sens, un joug de terre.

Le jugere faisoit la moitié d’une hérédie ; l’hérédie contenoit quatre actes quarrés ; l’acte quarré, actus quadratus, avoit cent vingt piés, & deux actes quarrés faisoient le jugere.

Pline donne au jugerum des Latins deux cens quarante piés de long. Quintilien, lib. I. cap. ix. lui donne aussi la même longueur, & cent vingt piés en largeur. Enfin, Isidore, lib. XV. cap. xv. confirme la même chose en ces termes : Actus duplicatus jugerum facit ; jugerum autem constat longitudine pedum CCXL, latitudine CXX.

Voilà donc l’étendue du jugere trouvée ; & pour l’évaluer exactement, il ne faudroit pas dire le jugere est un demi de nos arpens, parce que notre arpent differe suivant les différentes provinces. Le rapport du jugere des Romains à l’acre d’Angleterre, est comme 10000 à 16097. (D. J.)

JUGEURS, s. m. pl. (Jurispr.) étoit le nom que l’on donnoit anciennement à ceux des conseillers au parlement qui étoient distribués dans les chambres des enquêtes pour y juger les enquêtes, c’est-à-dire les procès par écrit, dont la décision dépendoit d’enquêtes ou autres preuves littérales. Les conseillers des enquêtes étoient de deux sortes ; les uns jugeurs, les autres rapporteurs : cette distinction subsista jusqu’à l’ordonnance du 10 Avril 1344, qui incorpora les rapporteurs avec le jugeurs.

On parlera plus amplement ci-après, au mot Parlement, de ce qui concerne les enquêtes & les conseillers jugeurs & rapporteurs. (A)