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ble pas permettre un libre cours ; & c’est ainsi que le frere du fondateur de Troie a été dépeint par Sadolet. La douleur de son corps & la grandeur de son ame sont pour ainsi dire combinées la balance à la main, & repandues avec une force égale dans toute la configuration de la statue. Laocoon souffre beaucoup, mais il souffre comme le Philoctete de Sophocle : son malheur nous pénetre jusqu’au fond de l’ame, mais nous souhaitons en même tems de pouvoir supporter le malheur comme ce grand homme le supporte : l’expression d’une ame si sublime surpasse de beaucoup la représentation de la nature. Il falloit que l’artiste de cette expression sentît en lui-même la force de courage qu’il vouloit imprimer à son marbre. C’est encore un des avantages de l’ancienne Grece, que d’avoir possédé des artistes & des philosophes dans les mêmes personnes. La sagesse prêtant la main à l’art, mettoit dans les figures des ames élevées au-dessus des ames communes.

Si l’artiste eût donné une draperie à Laocoon, parce qu’il étoit revêtu de la qualité de prêtre, il nous auroit à peine rendu sensible la moitié de la douleur que souffre le malheureux frere d’Anchise. De la façon au contraire dont il l’a représenté, l’expression est telle, que le Bernin prétendoit découvrir dans le roidissement de l’une des cuisses de Laocoon le commencement de l’effet du venin du serpent. La douleur exprimée toute seule dans cette statue de Laocoon auroit été un défaut. Pour réunir ce qui caractérise l’ame & ce qui la rend noble, l’artiste a donné à ce chef-d’œuvre une action qui dans l’excès de douleur approche le plus de l’état du repos, sans que ce repos dégénere en indifférence ou en une espece de léthargie.

Il est des censeurs qui n’applaudissant qu’à des ouvrages où dominent des attitudes extraordinaires & des actions rendues avec un feu outré, n’applaudissent point à ce chef-d’œuvre de la Grece : de tels juges ne veulent sans doute que des Ajax & des Capanées. Il faudroit pour mériter leurs suffrages que les figures eussent une ame semblable à celle qui sort de son orbite, mais on connoîtra le prix solide de la statue de Laocoon en se familiarisant avec les ouvrages des Grecs, & en contractant pour ainsi dire l’habitude de vivre avec eux. Prens mes yeux, disoit Nicomaque à un homme qui osoit critiquer l’Helene de Zeuxis, prens mes yeux, & tu la trouveras divine.

Pline prit les yeux de Nicomaque pour juger du Laocoon. Selon lui la peinture ni la fonte n’ont jamais rien produit de si parfait. Opus omnibus, dit-il, & picturæ & statuaria artis, præferendum, lib. XXXVI. ch. v. C’est aussi le premier des morceaux qui ayent été représentés en taille-douce dans le livre des anciennes statues de la ville de Rome, mis au jour par Laurent Vaccarius en 1584. On a en France quelques copies de celui du palais Farnese, & en particulier celle qui est en bronze à Trianon. Ce fameux grouppe se trouve encore sur une gravure antique du cabinet du roi ; on remarque sur le devant un brasier, & dans le fond le commencement du frontispice du temple pour le sacrifice que ce grand-prêtre & ses enfans faisoient à Neptune lorsque les deux horribles serpens vinrent les envelopper & leur donner la mort. Enfin le Laacoon a été gravé merveilleusement sur un amétyste par le célebre Sirlet, & cet ouvrage passe pour son chef-d’œuvre. (D. J.)

LAODICÉE, (Géog. anc.) λαοδίκεια, Laodicea ; les Géographes nomment sept villes de ce nom, qu’il importe de distinguer ici.

1°. Laodicée sur le Lycus, Laodicea ad Lycum, & les habitans Laodiceni dans Tacite, est une ville célebre d’Asie, dans la Carie, située près du fleuve Lycus, qui se perd dans le Méandre, à dix lieues de la ville de Colosse au N. E. & à deux lieues d’Hiéra-

polis au S. Pline assure que ses murs étoient baignés

par l’Asopus & le Caprus. Il ajoute qu’elle fut d’abord appellée Diospolis, & ensuite Rhoas.

L’origine du nom Laodicée, vient de ce qu’elle avoit été établie par Antiochus fils de Stratonice, dont la femme s’appelloit Laodicée. S. Paul en parle dans son épître aux Colossiens, & l’auteur de l’Apocalypse la nomme entre les sept églises, auxquelles l’Esprit-Saint adresse ses reproches. Ciceron, liv. II. ép. 17. liv. III. ép. 5. & 20. la représente comme une ville fameuse & de grand commerce, où l’on changeoit son argent, & Tacite dit quelque part : « la même année, Laodicée, l’une des villes illustres de l’Asie, étant presque abîmée par un tremblement de terre, se releva sans nous, & par ses propres forces ».

Il y a une médaille de l’empereur Commode, où Laodicée & les deux rivieres, le Lycus & le Caprus, sont spécifiées λαοδίκεια, λύκος, κάπρος.

On voit encore aujourd’hui par ses décombres, que c’étoit une fort grande ville ; il y avoit trois théatres de marbre, dont il subsiste même de beaux restes. Près d’un de ces théatres, on lit une inscription greque à l’honneur de Tite-Vespasien. Les Turcs appellent les ruines de cette ville eskihissar, c’est-à-dire vieux château : elle étoit archiépiscopale. On y a tenu divers conciles, dont le plus considérable fut en 314, selon Baronius, & selon d’autres auteurs, en 352. Suivant Ptolomée, sa longitude est 59. 15. latitude 38. 40.

Laodicée, près du Liban, ville d’Asie en Syrie, dans un pays qui en prenoit le nom de Laodicene, selon Ptolomée, l. V. c. xv. qui la distingue par le nom de Cabiosa Laodicea. Elle étoit sur l’Oronte, entre Emese & Paradisus, peu loin du Liban. Elle est nommée sur les médailles d’Antonin, de Caracalla, & de Severe, Δαοδικ. προς. Λιβαν ; elle est aussi nommée dans le Digeste, lege I. de Censibus, §. 3. où il est dit, qu’elle étoit dans la Cælésyrie, & que l’empereur Severe lui avoit accordé les droits attachés aux villes d’Italie, à cause des services qu’elle avoit rendus pendant la guerre civile. Long. selon Ptolomée, 69. 40. lat. 33. 45.

Laodicée sur la mer, ville de Syrie, située au bord de la mer : elle est bien bâtie, dit Strabon, avec un bon port, & jouit d’un territoire fertile en grains, & en bons vignobles, qui lui produisent beaucoup de vin. Lentulus le fils, mande dans une lettre à Ciceron, lib. XII. epist. xiv, que Dolabella exclus d’Antioche, n’avoit point trouvé de ville plus sûre pour s’y retirer, que Laodicée en Syrie sur la mer.

Il y a des médailles expresses de cette Laodicée, & sur lesquelles on lit Λαοδικείων πρὸς Θάλασσαν, Laodicensium qui sunt ad mare. Pline, l. V. c. xxj. nous désigne sa situation sur une pointe de terre, & l’appelle Laodicée libre, promontorium in quo Laodicea libera. Ammien Marcellin la met du nombre des quatre villes qui faisoient l’ornement de la Syrie, Antioche, Laodicée, Apamée, & Séleucie. Elle avoit ainsi que les trois autres, reçu son nom de Seleucus ; il nomma la premiere du nom de son pere, la seconde de celui de sa mere, la troisieme de celui de sa femme, & la quatrieme du sien propre. Le P. Hardouin croit que c’est présentement Latakie. La long. selon Ptolomée, 68. 30. lat. 35. 6.

Laodicée, surnommée la Brûlée, Laodicea combusta, Λαοδίκεια Κατακεκαυμένη, ville d’Asie, que les uns mettent dans la Pisidie, d’autres en Phrygie ; d’autres enfin dans la Lycaonie, parce qu’elle étoit aux confins de ces différens pays. Son surnom lui vient de la nature de son terrein, qui paroissoit brûlé, & qui étoit fort sujet aux tremblemens de terre. Ptolomée fixe sa long. à 62. 40. sa lat. à 39. 40.

Laodicée, ville d’Asie, aux confins de la Mé-