Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paroit sous Dagobert, ne reconnoît point non plus d’autre auteur de ces lois que ces mêmes seigneurs, & on ne peut raisonnablement aujourd’hui proposer une autre opinion, sans quelqu’autorité nouvelle.

Une note qui est à la fin du manuscrit de Volfenbutel, dit que le premier roi des François n’autorisa que 62 titres, statuit, disposuit judicare ; qu’ensuite, de l’avis de ses seigneurs, cum obtimalis suis, il ajouta les titres 63 & suivans, jusque & compris le 78 ; que longtems après Childebrand (c’est Childebert) y en ajouta 5 autres, qu’il fit agréer facilement à Clotaire, son frere cadet, qui lui-même en ajouta 10 nouveaux, c’est-à-dire jusqu’au 93, qu’il fit réciproquement approuver par son frere.

L’ancienne préface dit en général que ces lois furent successivement corrigées & publiées par Clovis, Thierry, Childebert & Clotaire, & enfin par Dagobert, dont l’édition paroît s’être maintenue jusqu’à Charlemagne.

Clovis, Childebert & Clotaire firent traduire cette loi en langue latine, & en même tems la firent réformer & amplifier. Il est dit aussi que Clovis étoit convenu avec les Francs de faire quelques additions à cette loi.

Elle ne paroît même qu’un composé d’articles faits successivement dans les parlemens généraux ou assemblées de la nation ; car son texte le plus ancien porte presque à chaque article des noms barbares, qui sont sans doute les lieux de ces parlemens.

Childebert & Clotaire, fils de Clovis, firent un traité de paix ; & dans ce traité de nouvelles additions à la loi salique, il est dit que ces résolutions furent prises de concert avec les Francs, & l’on regarde cela comme un parlement.

Cette loi contient un grand nombre d’articles, mais le plus célebre est celui qui se trouve au titre LXII. de alode, où se trouve prononcée l’exclusion des femelles en faveur des mâles dans la succession de la terre salique, de terrâ vero salicâ nulla portio hereditatis mulieri veniat, sed ad virilem sexum tota terræ hereditas perveniat.

Il s’agit ici en général de toute terre salique dont les filles étoient excluses à la différence des autres aleux non saliques, auxquels elles succédoient.

M. Eccard prétend que le mot salique vient de sala, qui signifie maison : qu’ainsi la terre salique étoit un morceau de terre autour de la maison.

Ducange croit que la terre salique étoit toute terre qui avoit été donnée à un franc lors du partage des conquêtes pour la posséder librement, à la charge seulement du service militaire ; & que comme les filles étoient incapables de ce service, elles étoient aussi excluses de la succession de ces terres. Le même usage avoit été suivi par les Ripuariens & par les Anglois de ce tems, & non pas par les Saxons ni par les Bourguignons.

L’opinion qui paroît la mieux établie sur le véritable sens de ce mot alode, est qu’il signifioit hereditas aviatica, c’est-à-dire un propre ancien. Ainsi les filles ne succédoient point aux propres : elles n’étoient pourtant excluses des terres saliques que par des mâles du même degré.

Au reste, dans les pays même où la loi salique étoit observée, il étoit permis d’y déroger & de rappeller les filles à la succession des terres saliques, & cela étoit d’un usage assez commun. C’est ce que l’on voit dans le II. liv. des formules de Marculphe. Le pere amenoit sa fille devant le comte ou le commissaire, & disoit : « Ma chere fille, un usage ancien & impie ôte parmi nous toute portion paternelle aux filles ; mais ayant considéré cette impiété, j’ai vû que, comme vous m’avez été donnés tous de Dieu également, je dois vous aimer de même. Ainsi, ma chere fille, je veux que vous héritiez par portion

égale avec vos freres dans toutes mes terres, &c. ».

La loi salique a toujours été regardée comme une des lois fondamentales du royaume, pour l’ordre de succéder à la couronne, à laquelle l’héritier mâle le plus proche est appellé à l’exclusion des filles, en quelque degré qu’elles soient.

Cette coutume nous est venue de Germanie, où elle s’observoit déja avant Clovis. Tacite dit que dès-lors les mâles avoient seuls droit à la couronne ; il remarque comme une singularité que les peuples de Germanie, appellés Sitones, étoient les seuls chez lesquels les femmes eussent droit au trône.

Cette loi fut observée en France sous la premiere race, après le décès de Childebert de Cherebert & de Gontrant, dont les filles furent excluses de la couronne.

Mais la premiere occasion où l’on contesta l’application de la loi salique, fut en 1316, après la mort de Louis Hutin. Jeanne sa fille, qui prétendoit à la couronne, en fut excluse par Philippe V. son oncle.

Cette loi fut encore réclamée avec le même succès en 1328, par Philippe de Valois contre Edouard III. qui prétendoit à la couronne de France, comme étant fils d’Isabelle de France, sœur de Louis Hutin, Philippe-le-long & Charles IV. qui regnerent successivement & moururent sans enfans mâles.

Enfin le 28 Juin 1593, Jean le Maistre, petit-fils de Gilles le Maistre, prémier président, prononça le célebre arrêt par lequel la cour déclara nuls tous traités faits & à faire pour transférer la couronne en maison étrangere, comme étant contraires à la loi salique & autres lois fondamentales de ce royaume, ce qui écarta toutes les prétentions de la ligue.

La loi salique écrite contient encore une chose remarquable, savoir que les Francs seroient juges les uns des autres avec le prince, & qu’ils décerneroient ensemble les lois de l’avenir, selon les occasions qui se présenteroient, soit qu’il fallût garder en entier ou réformer les anciennes coutumes qui venoient d’Allemagne.

Nous avons trois éditions différentes de la loi salique.

La premiere & la plus ancienne est celle qui a été tirée d’un manuscrit de l’abbaye de Fulde, & publiée par Heroldus, sur laquelle Wendelinus a fait un commentaire.

La seconde est celle qui fut réformée & remise en vigueur par Charlemagne ; elle a été publiée par Pitou & Lindenbrog : on y a ajouté plusieurs capitulaires de Charlemagne & de Louis le debonnaire. C’est celle qui se trouve dans le code des lois antiques.

La troisieme est un manuscrit qu’un allemand nommé Eccard prétend avoir recouvré, beaucoup plus ample que les autres exemplaires, & qui contient la troisieme partie de cette loi, avec une chronologie de la même loi.

Au reste la loi salique est bien moins un code de lois civiles qu’une ordonnance criminelle. Elle descend dans les derniers détails sur le meurtre, le viol, le larcin, tandis qu’elle ne statue rien sur les contrats ni sur l’état des personnes & les droits des mariages, à peine effleure-t-elle la matiere des successions ; mais ce qui est de plus étrange, c’est qu’elle ne prononce la peine de mort contre aucun des crimes dont elle parle ; elle n’assujettit les coupables qu’à des compositions : les vengeances privées y sont même expressément autorisées ; car elle défend d’ôter les têtes de dessus les pieux sans le consentement du juge ou sans l’agrément de ceux qui les y avoient exposées.

Cependant sous Childebert on inséra par addition dans la loi salique, la peine de mort pour l’inceste, le rapt, l’assassinat & le vol : on y défendit toute